Récoltes ravagées par les pluies, vignes malades, moissons décevantes : les crises agricoles s'accumulent. Résultat, pour les agriculteurs, ces phénomènes climatiques ont un coût de plus en plus lourd.
Au cours des 40 dernières années, notre planète a connu une forte augmentation des températures. Une hausse de 2,2°C plus élevée en Europe en moyenne au cours des cinq dernières années qu'elle ne l'était à la fin du XIXe siècle. Et les experts du GIEC, (groupe d'expert intergouvernemental sur l'évolution du climat) sont formels, c'est à cause de ces températures plus élevées que nous vivons des phénomènes météorologiques extrêmes.
Avec des conséquences sur l'économie souvent désastreuses. Selon l'ADEME, la baisse des rendements agricoles et le deuxième facteur le plus impactant pour l'économie française au regard des catastrophes naturelles, justes derrières les impacts sur les échanges extérieurs et les flux touristiques.
Quand les inondations succèdent aux sécheresses
En plus d’un contexte de marché difficile, de marges de moins en moins importantes, les agriculteurs doivent faire face à des crises et aléas qui se succèdent. "Les agriculteurs font face à des années de sécheresse et des pics de chaleurs dévastateurs, des hivers trop doux, qui favorisent les pathogènes et vulnérabilisent les cultures face au gel de début de printemps, une pluviométrie trop importante, voire des épisodes de pluies violentes qui inondent parfois durablement les champs, empêchent de semer, voire de récolter de manière optimale", analyse l'association Conséquences qui réalise des études pour augmenter la prise de conscience face aux changements climatiques.
Dans un rapport, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux évalue en 2022 l'impact du changement climatique sur les filières agricoles et alimentaires françaises à trois milliards d'euros.
Les céréaliers et viticulteurs particulièrement touchés
Cette année 2024, très pluvieuse, a été difficile notamment pour les céréaliers et les viticulteurs. "On sait gérer les crises, quand on est agriculteur. C’est notre métier de faire avec le climat. Mais là, c’est tout le temps", détaille Olivier Chaloche, agriculteur à Cortrat près de Montargis à l'association Conséquences qui a rencontré des agriculteurs de différentes régions. On a une accélération trop forte : trop chaud, trop pluvieux, trop sec. L'enchaînement des crises fragilise les exploitations et ne laisse pas de marge pour récupérer. On a l’impression d’avoir la tête sous l’eau en permanence".
Tous racontent leurs difficultés pour les semis, les récoltes, un printemps compliqué pour l’accès aux champs, les maladies fongiques, etc. Selon France stratégie, la crise climatique est responsable de 30% à 70% de la stagnation des rendements du blé en France déjà observée aujourd'hui.
Et d'environ 5% à plus de 11% pour le maïs sur la période 2020-2050. Ces catastrophes naturelles pourraient impliquer des dommages d'un montant d'un milliard d'euros par an d'ici 2050. La région Centre-Val de Loire est donc particulièrement concernée puisqu'elle est avant tout une région productrice de céréales. La moitié de ses surfaces agricoles y sont consacrées.
La profession pessimiste face aux risques
Quelles sont les marges de manœuvre des agriculteurs face aux changements climatiques ? S'ils ont l'habitude de s'adapter face aux caprices de la météo, les crises successives rendent ces adaptations plus complexes. L’agroclimatologue Serge Zaka revient sur les phénomènes pluviométriques récents : "Les agriculteurs ont l’habitude de jongler avec les contraintes. Ils ont à leur disposition différentes variétés, qui peuvent être semées plus tard, voire peuvent changer de cultures, mais cette adaptation se fait souvent au prix d’une baisse de rendement, car les semis prévus initialement étaient optimisés".
Face à ces pertes de récoltes, c'est la diversification des cultures qui semble être la clé, comme l'analyse Christophe Beaujouan, spécialiste climat de la Chambre d'agriculture du Loir-et-Cher. "Avant, un agriculteur spécialisé, ça n'existait pas. Quand il subissait une perte sur une culture, cela représentait un tiers de son activité".
Il alerte pourtant, sur le fait que la monoculture n'est pas forcément un choix des agriculteurs. "C'est le modèle économique qui est le plus rentable. Car les agriculteurs qui sont diversifiés peuvent mieux encaisser les phénomènes météorologiques, mais ce n'est pas toujours économiquement viable".
67% des agriculteurs sont aujourd’hui certains que les dégâts et la perte de rendement provoqués par le dérèglement climatique et les pollutions vont être plus importants que les investissements nécessaires pour faire la transition écologique dans l'agriculture.
Des récoltes qui pourrissent sur place
Dans le Loiret, Olivier Chaloche cultive 220 hectares en grandes cultures, blé, orge, pois ou encore féveroles en agriculture biologique. "La meilleure façon de s’adapter, c’est la diversification et la rotation : avec mes 15 cultures, je réussis quand même à compenser les pertes".
Mais même avec cette diversité, il a subi de plein fouet les précipitations abondantes qui se cumulent depuis le 15 octobre 2023. "Ce qui compte ce n’est pas uniquement le cumul, ce sont surtout des périodes très courtes avec des précipitations très intenses. Ça détrempe les sols, ça ruisselle, ça inonde, ça rend les champs inaccessibles pendant des jours."
C’est une catastrophe quand cela a lieu, comme en 2024 au printemps ou à l’automne, période des semis ou des récoltes. Je n’ai jamais connu une année comme ça avec 30 ans de recul.
Olivier Chaloche, agriculteur dans le Loiret
Il poursuit : "Depuis un an, malgré un sol plutôt drainant, j’ai vu ma culture d'oignons, sur 13 hectares, complètement détruite par le mildiou. Mes cultures de pois d’hiver ont pourri. Je fais aussi de l’orge de brasserie. On récolte en moyenne 4 tonnes par an, mais cette année, la récolte sera de deux tonnes seulement. Les grains sont trop petits ou bien ont pourri".
Pour le tournesol, le phénomène est également inédit, comme le précise Christophe Beaujouan. "Des tournesols dont la pomme pourrit de cette façon, c'est du jamais vu. Même les vieux papis du coin le disent". Alors, comme ses collègues agriculteurs, Olivier Chaloche passe son temps à scruter la météo.
"Psychologiquement, c’est vraiment très dur à vivre : avant l’été, on craint la sécheresse, le coup de chaud qui peut détruire les cultures, et au printemps ou à l’automne, les pluies violentes, les inondations au mauvais moment."
L’agriculture qu’on pratique aujourd’hui est basée sur une optimisation maximale des rendements. La meilleure semence au meilleur moment. Et ce système n’est même pas très rémunérateur. Alors quand les crises se répètent, les rendements baissent, les marges s’effondrent.
Olivier Chaloche, agriculteur dans le Loiret
Tester de nouvelles variétés plus résistantes aux changements climatiques est là aussi une réponse difficile à appliquer sur le terrain. "Ça ne se fait pas en un claquement de doigts. Changer de culture nécessite une nouvelle expertise, de l’expérimentation, des filières. Pour s’adapter au changement climatique, on a besoin de marges de manœuvre qu’on n’a plus du tout aujourd’hui. Nous sommes seuls, mal rémunérés. Il faut aller chercher les marges de manœuvre dans les filières économiques. Sinon, on n’y arrivera pas".
Être assuré, une solution face aux changements climatiques ?
Être assuré en cas de perte de culture ne serait pas une solution viable pour la profession. De nombreux agriculteurs ne sont d'ailleurs pas assurés. "Mécaniquement, le système actuel d’assurance récolte favorise les très grandes exploitations et la monoculture. L’assurance ne prend pas en compte certaines cultures et certaines maladies", déplore Olivier Chaloche.
Laurent Beaubois, porte-parole de la Confédération paysanne du Centre-Val de Loire complète : "Le problème c'est que les assurances prennent la moyenne des trois années antérieures pour fixer un seuil d'indemnisation. Mais s'il y a eu deux ou trois années de suite mauvaises comme c'est le cas actuellement, le seuil est très bas".
Le recours aux assurances ne peut donc servir de curseur pour mesurer l'impact économique du changement climatique. "Les conséquences économiques sont très difficiles à chiffrer parce qu'il n'y a pas un changement type", souligne le porte-parole de la Confédération paysanne.
"À partir du moment où on a de la rentabilité, on peut se faire des économies de secours. Mais la majorité des agriculteurs sont à flux tendu, ils ont déjà la tête sous l'eau. Demander des aides à l'État, ce n'est pas viable à long terme", conclu Laurent Beaubois. Pour les agriculteurs, la solution résiderait donc plutôt dans un modèle économique leur autorisant une meilleure revalorisation de leur production.