"Le seul couillon de l'histoire, c'est l'agriculteur", le coup de gueule d'un sénateur face à la crise agricole

L'agriculture française est en crise depuis plusieurs années. Le projet de loi d'orientation agricole, réécrit suite aux mouvements des agriculteurs en début d'année, est à l'arrêt en raison de la dissolution du gouvernement. Ce mercredi 9 octobre, c'est un sénateur qui a décidé de hausser le ton face à la situation.

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C'est la traduction d'une situation délicate qui n'en finit plus pour les agriculteurs français et de la région Centre-Val de Loire. Ce 9 octobre 2024, Vincent Louault, sénateur d'Indre-et-Loire et agriculteur, alerte le gouvernement sur la crise agricole en France. 

"Aujourd'hui, les agriculteurs, n'ont même plus envie de manifester. Ils sont dégoûtés de voir que toutes les filières s'enrichissent, que ce soit les vendeurs de tracteurs, les vendeurs de phytosanitaires, les groupes coopératifs… Tout cela dans un monde de bisounours où le seul couillon de l'histoire, c'est l'agriculteur. Et je peux vous dire que, moi-même étant agriculteur, je comprends leur agacement et leur résignation", a martelé Vincent Louault au Sénat. Après cette déclaration, France 3 a voulu en savoir peu plus et interrogé le sénateur sur la question. 

  • Pouvez-vous nous expliquer cette déclaration ?

Vincent Louault : Quand vous prenez les comptes de grands marchands de viandes comme Bigard, de grosses entreprises comme Lactalis qui ont fait des fortunes en 20 ou 30 ans. Nous, agriculteurs, on se dit que l'on est la variable d'ajustement. Quand c'est l'opulence, cela ne gêne personne que tout le monde mange dans la gamelle, le problème c'est que cette opulence est finie depuis longtemps. Depuis une quinzaine d'années, l'agriculture souffre d'un manque de compétitivité en France à cause des normes plus fortes et des subventions européennes de 1992 qui n'ont jamais été revalorisé. On est la seule profession connectée au cours mondial.

  • Comment inverser cette tendance ?

En amenant un peu de moral dans ce monde de brutes. Il faut que les entreprises qui gravitent autour de l'écosystème agricole apprennent une chose qu'elles ont totalement oubliée, la tempérance. Quand vous êtes une entreprise privée, une coopérative ou un marchand de tracteurs, et que vous ne raisonnez que par centres de profits. À savoir, acheter toujours plus bas et à vendre toujours plus haut, avec les meilleures marges pour garantir le fait que ça soit opérationnel dans sa société privée. Vous oubliez les gens qui dépendent de vous, mais ce n’est pas grave. On importera du blé d'un pays étranger. 

  • Faut-il retrouver un esprit plus collectif ? 

Oui. Mais le collectif ce n'est pas nous qui continuons à nous débrouiller dans ce monde de brutes. Les pouvoirs publics ont aussi leur rôle à jouer. La surtransposition des normes européennes et françaises fait que l'on va tout importer de l'extérieur. On peut me faire des grands discours sur la souveraineté alimentaire qui peut-être garantie grâce à 100% d'importation du Brésil et d'Ukraine. Mais par contre, la souveraineté agricole, celle qui définit notre capacité à produire en Europe, est aujourd'hui mise à mal par l'ultralibéralisme issu d'une volonté européenne de ne mettre aucun garde-fou. 

  • Tout le système agricole est donc à revoir ? 

Le système agricole basé sur un monde où les gens veulent une ultravertu environnementale, à raison ou à tort, dans un monde mondialisé, tue leur agriculture. Le pire, c'est que l'on va importer des matières premières qui seront interdites avec la façon de produire en France et en Europe. Comment voulez-vous que les agriculteurs acceptent ça ? En gros, j'arrête de produire du blé en France et je l'importe d'Ukraine sans aucune norme, ce n'est pas acceptable. Le consommateur se fait avoir aussi car il va manger de la merde.

On devient dépendant de tout le monde donc on a aucune souveraineté agricole. On a une souveraineté alimentaire. Tant que l'on est bien avec les autres pays, on pourra tout importer.

Vincent Louault

  • Dans votre intervention, vous parlez d'une résignation des agriculteurs, qu'en est-elle ? 

Les agriculteurs n'y croient plus. Ils aimeraient que l'Europe ait le courage de ses ambitions et qu'elle fasse un chèque pour arrêter notre agriculture. Ils préféreraient qu'on leur dise que l'Europe ne croit plus dans la production européenne et qu'il faut désormais faire un plan de sortie des agriculteurs. Quand les industries, la métallurgie, le textile ont été arrêtés en France, des chèques ont été faits et cela coûtait des centaines de millions d'euros.

C'est ce que Lactalis nous dit gentiment. Quand Lactalis* dit à ses producteurs qu'ils ne peuvent plus écouler les surplus de la production française parce que ça leur coûte trop cher... L'entreprise sous-entend que ces producteurs ne sont pas compétitifs. Le marché du lait en Europe est capable d'absorber les deux tiers de la production des producteurs. Il y a un tiers qui sert à faire de la poudre de lait sur le marché mondial où ils ne sont pas du tout rentables et avec la hausse de l'énergie, ils ne peuvent plus l'absorber. Donc il faut dire à un tiers de nos agriculteurs d'arrêter. C'est ce que Lactalis nous dit poliment.

*Le groupe Lactalis a annoncé fin septembre acheter moins de lait auprès des producteurs français. À partir de fin 2024, le groupe a prévu de réduire de "quelque 5,1 milliards de litres" de lait d'excédent auprès des éleveurs français. Parmi ses exploitations lâchées par Lactalis, 100 d'entre elles vont être récupérées par la laiterie de Saint-Denis-de-l'Hôtel ("C'est qui le Patron ?!) dans le Loiret. 

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