Alors que la filière viande demande depuis quelques années l'interdiction des dénominations "steak" ou "saucisse" pour les protéines végétales, craignant une confusion chez le consommateur. L'Union européenne annule la décision du gouvernement français qui avait cédé aux agriculteurs en février 2024.
La cour de justice de l'Union européenne vient de statuer : il est bien possible de parler de "steak" pour des produits exclusivement végétaux. Successivement, en juin 2022 puis en février 2024, le gouvernement français avait pris des décrets interdisant l'utilisation des termes utilisés par la filière de la viande. Des décrets que le Conseil d'État avait suspendus en référé dans l'attente d'une décision de l'Union européenne sur le sujet. Il appartient désormais au Conseil des sages de statuer définitivement sur la question.
"On nous met à mal"
En apparence, ils ont tout de leurs homonymes à base de protéine animale. En apparence seulement. Les steaks, saucisses, foie gras, nuggets ou encore bacons végétaux sont de plus en plus nombreux dans les rayons de supermarché. Et pour cause : la filière des substituts à la viande se développe de plus en plus. Dans le même temps, les ventes de viande baissent. En moyenne par habitant, la consommation a baissé de 1,7 % sur l'année 2023, selon les chiffres du ministère de l'Agriculture.
Des reculs qui poussent la filière de la viande à monter au créneau. "On soutient une filière qu'est déjà en danger et là on nous met encore à mal cette filière, alerte Didier Massot, boucher et meilleur ouvrier de France. Il y a des saucisses végétales, du jambon végétal, du foie gras végétal…
On s'approprie les termes de boucherie pour vendre du soja donc c'est un petit peu compliqué pour nous.
Didier Massot, boucher et meilleur ouvrier de France
Comme ses confrères, il craint que ces dénominations vouées historiquement à la viande animale, ne créent la confusion chez les consommateurs.
Dans les rayons des supermarchés, les avis sont divisés. "Steak, ce n'est pas réservé à la viande. Dans la tête des gens, oui : steak = viande, mais ça ne me gêne pas", réagit une consommatrice. Un autre relevait qu'une confusion était possible sans vraiment faire attention à ce qu'on achète : "Ils jouent sur le marketing, mais moi, j'essaie de faire attention à ce que j'achète, mais peut-être que certaines personnes vont se faire avoir." D'autres sont plus fermés. "Je n'aime pas, explique une autre cliente. Pour moi un steak, c'est de la viande. Après, je pense qu'ils peuvent trouver un autre mot qui correspondrait mieux au produit."
Des décrets qui ne respectent pas le règlement européen
C'est ce qu'aimerait la filière de la viande et c'est en ce sens que vont leurs revendications depuis quelques années et l'apparition des substituts à la viande. En juin 2022, le gouvernement avait accédé à ces demandes par décret, avant que le Conseil d'État ne le suspende. Alors quand l'hiver dernier, la colère des agriculteurs montait jusqu'à Paris et au ministère de l'Agriculture, le gouvernement a de nouveau pris l'engagement, par décret, d'interdire les dénominations historiques de viande pour les produits végétaux en février 2024.
Une décision suspendue par le Conseil d'État quelques semaines plus tard, en avril, dans l'attente de la décision de la cour de justice de l'Union européenne. Le Conseil d'État émettait un "un doute sérieux sur la possibilité d’adopter de telles mesures nationales au regard du règlement européen".
C'est ce qu'a confirmé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 4 octobre dernier. "À défaut d’adopter une dénomination légale, un État membre ne peut interdire l’utilisation de termes traditionnellement associés aux produits d’origine animale pour désigner un produit contenant des protéines végétales", explique la juridiction européenne dans son arrêt.
Un soulagement pour toute la filière végétale, désormais libre d'appeler ses produits comme elle l'entend, sous réserve de validation du Conseil d'État. Car l'industrie végétale se développe. C'est le cas à Chevilly dans le Loiret, où s'est installée l'usine Happyvore en mai 2023, inaugurée à l'époque par le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. "La loi française ne peut pas s'appliquer sur des produits étrangers, donc cela crée une situation ubuesque où on favorise l'agriculture et la production industrielle étrangère au détriment de l'industrialisation française", soulevait Guillaume Dubois, cofondateur d’Happyvore, au moment du décret gouvernemental de février dernier.
Interrogé à l'époque, un boucher loirétain ne voyait pas le problème de l'utilisation de termes de boucherie. "Ce n'est pas de la concurrence, car ce n'est pas la même clientèle", considérait-il. Il appartient désormais au Conseil d'État de statuer définitivement sur cette question.