La crise sanitaire a aggravé la précarité. Des parents, notamment des mères isolées, n’ont plus les moyens de nourrir leurs enfants en bas âge. Créée à la fin du premier confinement, l’association Mamama distribue des colis solidaires pour des bébés en détresse.
"On a réalisé que des femmes ne parvenaient plus à allaiter, et se privaient de nourriture, pour pouvoir nourrir leur enfant, au risque de s’évanouir. Des mamans, exsangues, ne peuvent plus alimenter leur bébé qu'avec l’eau de cuisson du riz, déplore Magali Bragard. Des drames se jouent chaque jour, du fait de la sous-alimentation des nourrissons." Un effroyable constat. Elle le réalise au début de la crise sanitaire. Avec Aicha, Marguerite, et Marielle, photographe, analyste informatique, pédiatre, et scripte pour le cinéma. Dés le premier confinement, elles s’engagent comme bénévoles, pour l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP), et la Croix-Rouge.
Leur mission : suivre quotidiennement par téléphone des patients touchés par le Covid-19 : "les appels les plus difficiles étaient ceux des mères isolées. Elles étaient malades, inquiètes et épuisées. Certaines nous racontaient qu'elles sautaient des repas pour acheter des couches. D’autres n’avaient tout simplement plus rien pour nourrir leur nourrisson."
Une association pour sauver des bébés en détresse
Cette urgence humanitaire bouleverse les quatre trentenaires : "en contactant de nombreuses associations, on a réalisé que l’aide alimentaire des bébés était un maillon manquant essentiel de la chaîne de solidarité. Un enfant âgé d’un mois ne mange pas la même chose qu’un enfant de dix-huit mois. C’est compliqué à organiser, du sur mesure." Les quatre femmes décident alors d’aider les mères désemparées en leur livrant des colis alimentaires et des produits d’hygiène et de première nécessité. En mai dernier, elles créent leur association MaMaMa à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis.
Une précarité aggravée depuis la crise du Covid
La précarité des familles s’est considérablement aggravée depuis le début de la crise sanitaire. Certains parents ont perdu leur emploi dés le printemps. D’autres, victimes de violences conjugales, ou d’une succession d’accidents de vie, se retrouvent dans des foyers d'hébergement d’urgence. Sarah, jeune maman d’une petite fille d'un an, sans emploi accumule les problèmes de santé. "Je perçois le Rsa pour jeunes, 250 euros. Mon mari travaille au noir sur les chantiers. Et pendant le premier confinement, quand tout est arrêté, on n’avait même plus son salaire pour survivre." Aujourd’hui, ils n’ont toujours pas de quoi couvrir leurs besoins vitaux, notamment ceux de leur petite fille : "dans ce foyer, raconte Sarah, ils nous donnent des petits pots pour bébés avec seulement des légumes et des fruits, mais pas de viande ni de poisson, et du lait pour bébé périmé ! C'est stressant de ne pas avoir les moyens de bien nourrir son enfant comme les autres mamans. Car en plus, ici on n’a pas le droit de cuisiner."
Il y a un mois, Sarah découvre MaMaMa : "j’y vais toutes les semaines : on me donne du lait, des céréales pour mettre dans les biberons, des bons petits pots avec de la viande, et des sachets de compléments alimentaires pour épaissir les purées. Des couches aussi . Cela m’a remonté le moral. Je peux compter sur eux. Je peux enfin nourrir mon bébé !"
Parmi les bénéficiaires de l’association, il y a aussi des femmes qui travaillent : des aides-soignantes ou caissières, des femmes de ménage, des auxiliaires de vie qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Beaucoup ont des emplois à temps partiel, et se sont endettées pour survivre pendant le premier confinement : " On disait d'elles qu'elles étaient les premières lignes. Elles tenaient la société à bout de bras. Privées d'école, donc de repas à la cantine trés peu chers voire gratuits. l'alimentation des petits s'est troivée carencée", explique Magali Bragard.
Une grande partie des bénéficiaires sont des femmes
La précarité frappe principalement les femmes. Selon l’étude de l'Institut d'études marketing et d'opinion CSA réalisée en 2018 pour la Fédération des banques alimentaires, 33 % des bénéficiaires sont des familles monoparentales. Et 69% sont des femmes : "ce sont souvent elles qui gardent et nourrissent les enfants", explique Magali, avec souvent des emplois à temps partiel. Elles ne peuvent guère compter sur les pensions alimentaires, impayées. Elles vivent sous le seuil de pauvreté."
Une nouvelle solidarité “grâce “ à l’urgence
Pour accomplir leur action humanitaire, au printemps dernier, les cofondatrices de Mamama lancent des appels à la solidarité, et sollicitent les fabricants de nourriture pour bébés. Soutenues par l'AP-HP, elles décrochent un partenariat avec un leader de l’alimentation infantile. Une alliance inespérée qui leur permet d’assurer la distribution de colis alimentaires pour des centaines de tout-petits : "notre initiative a été possible à cause de l’urgence. Beaucoup d' actions solidaires ont pu être lancées, dans la confiance, grâce à des personnes qui ont suivi leurs sensations, leur instinct." explique Magali..
Ce premier confinement était "une période magnifique pour l'invention d’une solidarité nouvelle. Il suffisait d'appeler et dire" bonjour, on a besoin de", et les gens répondaient. On sentait un grand souffle pour aider les plus fragiles", ajoute Marielle Alluchon.
Une logistique à bâtir
Pour entreposer plusieurs tonnes d'aliments pour bébés, il faut un local. Spacieux. La mairie de Saint-Denis et la communauté de communes leur prêtent un ancien studio de cinéma de près de mille mètres carrés. Une entreprise de travaux publics assure le transport des premiers dons. Et un loueur de projecteurs de cinéma entrepose gracieusement les premiers colis, de 2000 biberons.
Des dizaines d'ami.es, de voisin.es, ont rejoint les quatre pionnières. Aujourd'hui, MaMaMa compte plus d’une centaine de bénévoles. Essentiellement des femmes, de tous horizons, et de tous âges : "on a même une dame de 90 ans, aveugle, qui tricote des vêtements pour nouveaux nés, sur mesure", raconte Aïcha Diémé, avec émotion.
Certaines continuent de travailler. D'autres, victimes de la crise économique liée à l’épidémie du Covid19, n’ont plus d’emploi. Certaines sont même obligées de sous-louer une chambre de leur appartement, et dormir dans leur salon sur un matelas, pour payer leurs charges. Mais, pour accomplir ce qui est devenu leur mission, toutes ces bénévoles engagées déploient une énergie sans pareil.
Des colis sur mesure
Jour et nuit, dans l’immense studio aménagé en site de stockage et de logistique, elles préparent des colis, personnalisés, pour les enfants de zéro à trois ans : "on les adapte, à chaque bébé, selon son âge, son poids, sa taille, précise Marguerite Delalonde. On fournit des boîtes de lait spécifiques, si l’enfant est intolérant au lait de vache, ou s’il a tendance à régurgiter. Quand des mères en sont à un tel point de ne plus pouvoir nourrir leur enfant c'est que leur degré de précarité est extrême. Très vite on a rajouté des vêtements, des couches, des objets de puériculture, des services hygiéniques, et même des doudous."
Sollicitées de toutes parts
Mamama est de plus en plus sollicitée. Les demandes affluent, chaque jour plus nombreuses. L’équipe de bénévoles est en lien étroit avec une trentaine d’associations de quartiers, sept centres de santé municipaux, et plus d’une cinquantaine de centres de Protection Maternelle Infantile (PMI) qui effectuent notamment les suivis médicaux, et les vaccins de jeunes enfants : "depuis la crise sanitaire, explique Brigitte Saleg, directrice de la PMI Les Moulins, en Seine-Saint-Denis, on les mamans hébergées par le Samu social étaient les premières victimes de cette précarité. Beaucoup donnent le sein. Mais celles qui leur donnent du lait artificiel doivent se sacrifier pour nourrir leur enfant. On a vu une maman qui n’avait pas mangé depuis deux jours et un papa qui a failli s’évanouir dans nos locaux."
Même constat pour Luijina Grossi, directrice de la PMI de Villepinte qui salue l'initiative importante de MaMaMa : " on fait remonter les besoins des familles à l’association. Elle nous livre des produits nécessaires et indispensables. C’est une aide précieuse et cela nous évite d’aller à l’autre bout du departement."
"Si MaMaMa n’avait pas été là, confie Brigitte Saleg, il y aurait eu des drames. On n’aurait pas pu répondre à la demande. Il y aurait eu bien davantage d' enfants malnutris depuis le premier confinement. Selon elle, l’action humanitaire de MamaMa est unique : " non seulement ciblés, ces colis sont constitués d' aliments bio de qualité. Ce qui est aussi inédit, c'est la simplicité des démarches. Pour ces parents désemparés. Il n’y a pas de procédure administrative, avec conditions de revenus ou de domiciliation, pour bénéficier de ces colis. C'est important pour ces familles qui , nous le savons , en ont vrament besoin.
Certaines mères se déplacent personnellement : "elles font trois heures de transport aller, et retour, pour nourrir leur bébé pendant une semaine. C'est vous dire la nécessité qu'il y a de pallier le manque alimentaire. Ce besoin de santé publique est immense ! "
Des bénévoles débordées
7300 colis ont étédepuis la création de l’association. Le travail est colossal, avec des nuits blanches, pour préparer les colis, répondre aux messages, faire les suivis de stocks, répartir le planning de distribution.
En six mois, l'équivalent d’un demi-million d'euros de nourriture pour bébés et produits d’hygiène ont été collectés et redistribués.
Emmaus et la Croix Rouge ont fait appel à l'association. La Mairie de Paris vient de faire appel à son aide sur prescription des travailleurs sociaux. Et le département de Seine-Saint-Denis de commander près de 700 colis de toute urgence ! L'association reçoit des demandes venant de tous les départements d'Ile de France, et même de villes plus lointaines comme Nantes ou Marseille.
Mamama a dû s'affilier à la Banque Alimentaire mais ce n’est pas suffisant : "on est en permanence en train de courir après des dons en nature. acheter des couches,
Une cagnotte en ligne a été lancée pour acheter des services hygiéniques, certains produits alimentaires, et payer les pleins d’essence des bénévoles qui sillonnent l’Ile de France pour apporter les colis. 20 000 euros ont été récoltés. Mais cela ne suffit pas: "on a dû dire non à des milliers de personnes adressées par d'autres associations".
Des subventions d'environ 70000 euros sont promises par département et la Préfecture de Seine Saint-Denis. Mais pour les cofondatrices, ce ne sera toujours pas suffisant.
Une réponse globale aux femmes victimes de précarité
L’équipe de Mamama veut apporter une réponse globale : "on veut aussi offrir de nouveaux horizons, sur du long terme, permettre à ces femmes d'avoir un emploi." un partenariat est en train d'être monté avec une association d’insertion aux métiers de la restauration, et la société de production de cinéma qui nous loue notre entrepôt. L'objectif est de lancer une cantine de tournage solidaire avec les femmes qui ont besoin de colis alimentaires, pour leur permettre de gagner leur vie, comme cuisinières."L’équipe travaille aussi avec une association qui valorise des friches urbaines avec des serres et des bacs de permaculture pour produire et vivre de cette agriculture.
Un appel à une mobilisation, une action de service public
30 000 jeunes enfants en détresse ont été identifiés en Ile de France : "un bilan qui risque fortement de s'aggraver dans les prochains mois, à cause de la crise économique."
La malnutrition infantile est invisibilisée. Les femmes ont honte et n’en parlent pas : "notre action est un geste de service public. Nous opérons au milieu de la nuit, au milieu de notre vie. Notre. Ce que nous voulons, c'est être intégrées dans ue démarche globale, avec les PMI, et les centres sociaux. Et tous ensemble, inventer une nouvelle façon de prendre en compte les mères isolées."