Coronavirus : le jour où les chalutiers de Sophie ont dû s'arrêter

Chalutiers qui restent à quai, rapatriement des équipages en urgence, prix du marché qui s'effondrent... Rencontre avec Sophie Leroy, une  armatrice cherbourgeoise au coeur de la crise sanitaire. 

C'est le moment de faire une photo rare à Cherbourg : 7 chalutiers nez au vent, alignés Quai de l'Entrepôt, tous à l'arrêt complet. « On n'avait pas vu cela depuis Noël, seul jour de l'année ou tous les marins rentrent au port » s’émeut Sophie Leroy, directrice générale de l'Armement Cherbourgeois. Connue pour son fort tempérament, l'armatrice normande a dû réagir au plus vite face à la crise sanitaire qui touche l'ensemble du territoire. Lundi soir, suite au discours du Président de la République elle a ordonné à ses navires de rentrer au port.

Nous étions en déplacement à l'étranger avec mon mari, David, et nous nous sommes dit qu'il fallait avant tout assurer la sécurité des marins. Et qu'importe l'état des stocks de poissons en cale. 

Mardi soir 17 mars, tout le monde était revenu à bon port pour un premier jour de confinement.
 

Des marins confinés... au Portugal

Propriétaires de 4 chalutiers, Sophie et David Leroy gèrent une entreprise de 38 personnes dont 33 marins-pêcheurs et navigants. Les « marées » durent moins d'une semaine : 6 journées de travail intense ou il faut virer et filer le chalut de jour comme de nuit. Les hommes travaillent en huis clos et les nouvelles du « monde des terriens » n'arrivent pas toujours à bord ou sont souvent incomplètes.

Lorsque nous avons conversé par radio avec nos capitaines, ils nous relayaient les craintes des matelots qui s'interrogeaient sur la possibilité de contamination entre eux. 

Des interrogations justes qui assombrissent une ambiance de travail réclamant solidarité, courage et dévotion, les nobles qualités du monde de la pêche hauturière.
A bord des chalutiers normands, 11 marins portugais - Ruben, Francisco et Jose - s'inquiètent également. Tous souhaitent naturellement rentrer au pays au plus vite. L'armatrice ajoute : 

Leur vol a été annulé . Nous leur avons immédiatement prêté nos véhicules et fourni une attestation de déplacement dérogatoire pour qu'ils puissent voyager jusqu'au Portugal, dans les plus brefs délais

Et au chômage technique...

Avec le Coronavirus, les marins pêcheurs risquent aussi de perdre gros, car ils sont rémunérés à la part de pêche : plus ils pêchent de poissons, plus ils gagnent. Ils se retrouvent aujourd'hui sans salaire fixe. En cas d'arrêt prolongé cela deviendra problématique alors l'armement normand cherche des solutions.
Robin Génard, chef mécanicien sur le Borée Al est aujourd'hui confiné chez lui à Caen auprès de son épouse et son petit garçon d'un an et demi. « Je n'ai jamais été au chômage », confie-t-il et il poursuit : 

La situation est pour moi complètement nouvelle. D'habitude on gagne bien notre vie, mais si cette situation se prolonge, nous risquons de ne plus rien avoir.

Pendant que le jeune marin s'occupe de son potager - sa deuxième passion - l'armatrice, elle, travaille sur plusieurs pistes pour rémunérer ses équipages. Une solution d'urgence consisterait à verser à ces marins au minimum un SMIC maritime,  même si on doit piocher dans notre trésorerie.


A la criée, les prix du poisson au plus bas

La pêche en haute mer est donc à l'arrêt à Cherbourg, les chalutiers à quai au Guilvinec, la coquille St Jacques arrêtée à Granville. Avec ce ralentissement général, c'est toute une filière qui menace de s'effondrer. Faute d'acheteurs pour le poisson ou certains coquillages, les bateaux rentrent au port.
Cherbourg, principal port de pêche du Cotentin, bénéficie de sa position avancée dans la Manche pour aller chercher au large des espèces valorisées commercialement : raies, saint-pierres, encornets, seiches et autres dorades. Depuis mardi matin les prix du poisson se sont effondrés. l'armatrice précise : 

A la criée, le prix moyen toutes espèces se situe entre 2 et 3 euros. Mardi il était à 80 centimes ! Cela n'a plus de sens de repartir en mer. Ce n'est plus viable pour l'entreprise, pour nos marins et nous allons perdre de l'argent.

La forte baisse des prix en criée s'est confirmée sur toute la semaine. Toute la restauration dite hors foyers ou hors domicile - secteur économique majeur en France comprenant les cantines, les restaurants d'entreprises et les restaurants des villes - a fermé. Les mareyeurs qui achètent habituellement en grandes quantités dans les criées n'étaient plus présents sur ces marchés. Les grandes et moyennes surfaces – ou GMS - qui vendent surtout des produits préparés, congelés, ou préconditionnés ont aussi leur rôle à jouer pour inverser la tendance des consommateurs, qui se tournent peu vers le frais en ce moment. Sans demande les prix s'effondrent. Sophie Leroy rajoute, inquiète :

Une grande partie de nos poissons est habituellement vendue en Italie et en Espagne. Avec la fermeture de ces pays il ne sert plus à rien d'aller pêcher. 

Conséquence inattendue des espèces comme le merlan poisson roi des cantines ou le maquereau exporté habituellement vers l'Italie s'offrent quelque temps de répit au fond de l'eau. Peut être une bonne nouvelle dans un océan d'inquiétude ?  
 

Pêche côtière, peut-être une solution

Aujourd’hui, le Centre de Marée de Cherbourg fonctionne toujours, au ralenti : deux employés sur trois seront au chômage technique à partir de la semaine prochaine. Néanmoins sa directrice Séverine Jean se veut rassurante : « Tant que nous le pourrons, nous resterons ouverts. On nous demande de continuer à alimenter les marchés. Se tourner vers la pêche côtière est une solution ».
Souhait que Sophie Leroy appuie : « Aux côtiers de prendre le relais ! ». Si les hauturiers sont à l'arrêt, une partie des petits bateaux de pêche continue en effet de travailler en activité minimale.
Cette semaine, l'observation du comportement de nombreuses familles venues se confiner dans leurs résidences secondaires pourrait même présager d'une tendance positive : « l'afflux massif de confinés sanitaires a vidé l'étal de nos poissonniers locaux ; il faut encourager les consommateurs à acheter du poisson » note avec espoir Séverine Jean.
En attendant des jours meilleurs, Sophie Leroy s'efforce de maintenir son entreprise de pêche à flot en négociant son avenir entre report d'impôts et réduction des charges avec administrations, assurances et banques. Pragmatique, l'armatrice tente de se projeter 

Dès que cela ira mieux - avec des garanties sur les prix - nous sommes disposés à repartir en mer au plus vite. Notre vie c'est la mer, rien que la mer et nous voudrions être utiles ! 

En attendant les chalutiers restent à quai. 
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