En pleine crise du coronavirus, Erwan Berton 42 ans, pêcheur à Leucate (Occitanie), prend la mer à bord de Fleur de Sel, plusieurs fois par semaine pour aller y jeter ses filets. Cet artisan pêcheur tente de traverser la crise grâce à la vente directe de ses poissons.
Cela fait 10 ans qu'Erwan Berton a fait, ce qu’il appelle, un pari sur l’avenir ! La revente d’une partie de sa pêche en circuit court. Aujourd’hui, alors que d’autres restent à quai, Erwan est l’un des rares à « sortir la tête de l’eau ». Mais vendre en direct n'est pas un chemin facile, cela se construit sur plusieurs mois...
Rencontre avec ce jeune pêcheur de Leucate, qui s'est engagé dans un système de production vertueux, même en pleine crise sanitaire quand la criée a fermé.
Aujourd'hui, vous pêchez encore ?
Pour des raisons économiques, je travaille seul et j'exploite en alternance mes deux bateaux. J'en ai un de 5 mètres pour l’étang où je capture de la daurade royale, du loup et de l’anguille et un autre de 7,90 mètres, Fleur de Sel, pour la mer, avec lequel je pêche le thon rouge à la ligne, le poulpe de roche aux casiers mais également le poisson « blanc » au filet maillant.
Vous avez fait le choix, depuis longtemps, de distribuer votre poisson en circuit court, la crise sanitaire affecte-t-elle votre activité ?
Mon entreprise fait environ la moitié de son chiffre d’affaire à l’export et avec la vente en gros. L’autre partie de nos revenus vient des restaurateurs et des particuliers. La fermeture de la criée jusqu'à nouvel ordre, me prive d'une bonne partie de ces revenus. Aujourd’hui, je peux dire que je vais sur l’eau pour garder mon entreprise à flots. Je peux passer en mode survie grâce à mon réseau de vente directe.
Certains bateaux n’ont d’autre solution que de rester à quai car ils dépendent intégralement du système de vente traditionnel de la criée
Ceux qui ont la possibilité de vendre leur production en local, comme moi, tirent leur épingle du jeu. Mais la vente directe ne peut être qu'une toute petite partie de l’activité, car le réseau n’est pas assez structuré pour le moment.
Pensez-vous que la vente en circuit court, la vente en direct est une réponse adaptée ? Une solution pour traverser cette crise ?
La diversité des entreprises par leur taille, leur situation géographique, leur pêcherie, ne permet pas de dire que la vente en circuit court ou directe est LA solution.
Pour autant c’est une des solutions. Elle peut permettre d’écouler une partie de la production en local, même si cette production est minime. C'est l'opportunité de recréer un lien social entre le pêcheur et la population. Il y a une réelle demande mais cela nécessite un investissement pour le pêcheur, en temps et en infrastructure.
Il appartient à chacun de voir vers quoi il veut tendre, de se poser les bonnes questions. On ne met pas en place un réseau en période de crise. On peut tout au plus entamer une réflexion. Un réseau qui fonctionne c’est dix ans de travail…
Je pense qu’il manque une entité fédératrice au niveau commercial pour la pêche artisanale en Méditerranée. Une structure à même de gérer des projets de valorisation autre que celles qui existent, même si un gros travail est effectué notamment en Occitanie.
Est-ce que votre démarche fait aujourd’hui des émules autour de vous ?
L’orientation vers le circuit court est une démarche sociétale et de plus en plus de gens y adhérent ! Il suffit de regarder le monde agricole. Le pêcheur, à l’image des autres producteurs ne va pas nager à contre courant si l'opportunité se présente.
Depuis mi-mars, 5 patrons pêcheurs de la petite pêche artisanale m’ont contacté ou se sont renseignés, l'un en Atlantique et les autres en Occitanie. Ils entament une réflexion pour mettre en place de la vente directe et certains sont déjà bien avancés dans leur projet. Cette crise bouscule les certitudes, c’est très probablement un point de bascule, mais attention, les choses ne vont changer que pour une petite partie des pêcheurs car le circuit court ne peut pas assurer tout le chiffre d'affaire. C’est pour cela qu’il faut voir plus loin, réfléchir en fonction de nos différences.
Si la crise déclenche une réflexion, une prise de conscience collective, alors ça sera sera positif. Si elle déclenche une frénésie d’initiatives anarchiques, je ne pense passe que cela soit constructif sur le long terme.
Cette crise met l’accent sur l’aspect commercial, plus que sur les problématiques de techniques de pêche. Notre poisson trouve peu d’acquéreurs car il n’est pas adapté au système de distribution. Il y a très certainement un travail à faire pour le rendre plus attractif. Aujourd’hui la plupart des gens achètent le poisson sous vide et en filet.
Erwan, avez-vous un message à faire passer en cette période difficile pour vous les pêcheurs, à vos confrères et aux consommateurs ?Notre poisson pêché en Méditerranée se prête mal à ce type de transformation, même si certaines initiatives encourageantes voient le jour avec de la transformation de poulpe ou de gambas.
Nous devons essayer de transformer cette période sombre en un phare, à la lueur duquel on pourra entrevoir quelques idées transposables à la filière pêche, par-ci, par-là. Cela pourrait être un nouveau départ pour une partie d’entre nous et rééquilibrer les rapports de force entre les gros et les petits. Les changements pourraient être bénéfiques à toute la filière.
Aux consommateurs, je voudrais dire que le poisson est riche d’espèce, riche en variétés ! Ne vous contentez pas d’une ou deux espèces connues, découvrez le poisson que vous ne connaissez pas et parlez en avec vos pêcheurs sur les réseaux sociaux pendant le confinement, sur les quais le moment venu. Vos pêcheurs auront toujours une recette à partager, de bons conseils à partager avec vous.
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