17 avril 1981, aéroport d'Ajaccio, une bombe contre le Président de la République.

Dans « Mémoire courte » la nouvelle série de magazines proposée par Luc Mondoloni, on s’interroge sur nos amnésies collectives. Qu’est-ce qui fait que des événements à priori marquants disparaissent de la mémoire insulaire ? Premier épisode ce lundi 20 novembre à 20h45 sur ViaStella : un attentat aveugle lors de la campagne présidentielle de 1981.

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Que s'est-il passé le 17 avril 1981 à Ajaccio ?

Le 16 avril 1981, il est 17h passé de quelques minutes quand l’avion du président Valéry Giscard d’Estaing, candidat à sa propre réélection, se pose à Ajaccio afin d’y donner un meeting. Nous sommes à dix jours du premier tour de la Présidentielle. À 17h20, un appel anonyme prévient une personne de l’aéroport à Campo Dell’Oro de l’explosion imminente d’une bombe. À 17h23, l’explosion a lieu dans une consigne à bagages de l’aérogare, causant la mort d’un touriste suisse de dix-neuf ans et faisant huit blessés. L’avion de Valéry Giscard d’Estaing est alors bloqué en bout de piste. Des voitures viennent le prendre sur le tarmac pour le conduire vers son meeting sur la place Miot d’Ajaccio prévu à 19H30. Il y prend la parole en condamnant fermement l’attentat puis se rend au chevet des victimes, à l’hôpital d’Ajaccio, où il se « refuse à toute déclaration ». Il quitte l’Île dans la foulée.

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Pourquoi l'attentat à Ajaccio contre le Président Valéry Giscard d'Estaing a-t-il été oublié ? Luc Mondoloni et ses invités reviennent sur cet événement qui a quasiment disparu de la mémoire collective ©France 3 Corse ViaStella / Sogni

L’Agence France Presse reçoit un texte signé du Mouvement
« Francs-tireurs et partisans corses » (FTPC) mettant en garde quant à « la présence du chef de l’État français » et revendiquant l’attentat à Ajaccio.

Le 18 avril, l’Agence France Presse reçoit un texte signé du Mouvement « Francs-tireurs et partisans corses » (FTPC) mettant en garde quant à « la présence du chef de l’État français » et revendiquant l’attentat à Ajaccio, ainsi que le lancement de deux fumigènes à Marseille durant un meeting de VGE (Valérie Giscard d'Estaing) plus un incendie du dépôt d’hydrocarbures de la société Total à Châteauroux, en mars.

Le 22 avril, Giscard indique auprès de Charles Villeneuve d’Europe 1 pour l’émission « Face à la rédaction » être toujours extrêmement ponctuel dans sa campagne et que malgré cela, il lui a été rappelé à deux reprises d’arriver à 16h30 précises, l’amenant ainsi à s’interroger et à indiquer à la Police d’enquêter auprès de ceux qui avaient insisté sur l’heure de son arrivée. Il s’avance sans l’affirmer vers la piste d’une influence d’un réseau de terrorisme international.

Le 25 avril, les Francs-tireurs et partisans corses (FTPC) démentent la revendication de l’attentat d’Ajaccio et évoquent en plus de cela un amalgame issu d’une concomitance entre l’évènement et leurs deux premiers communiqués (19 mars et 6 avril). De son côté, le FLNC, ayant annoncé une trêve depuis le 2 avril, désavoue l’attentat à la rédaction du « Provençal » à Ajaccio et suspecte les services parallèles de l’Etat afin de les « discréditer ».

Le 26 avril, le scrutin révèle son verdict pour le second tour : il oppose Giscard à Mitterrand. Le 10 mai, François Mitterrand est élu Président de la République. La résolution de l’enquête sur les commanditaires de l’attentat semble alors passer au second plan…

Pourtant, l’affaire sera relancée à plusieurs reprises :

« Lors de l’enquête, on a parlé avec insistance de la participation du S.A.C. marseillais à la mise au point de cet attentat

Louis Minetti, sénateur des Bouches-du-Rhône

  • Notamment, dans un compte rendu des débats parlementaires du Sénat le 27 janvier 1982. Louis Minetti, sénateur des Bouches-du-Rhône, rappelle que « lors de l’enquête » portant sur l’attentat contre Giscard, « on a parlé avec insistance de la participation du S.A.C. marseillais à la mise au point de cet attentat » et que dans cette conjoncture, « le groupe communiste à l’Assemblée nationale a proposé à la commission parlementaire d’enquête sur les activités du S.A.C., de se déplacer en Corse. »
  • En 1982 toujours, deux auditions du Rapport de la Commission d’enquête sur les activités du Service d’action civique soulèvent la piste du SAC et de FRANCIA. Roger Colombani, rédacteur en chef adjoint au « Matin de Paris » indique qu’on lui avait « dit que le SAC marseillais avait joué un certain rôle ». Le Président de la Commission demande ensuite le 13 avril à Christian Bonnet, ancien Ministre de l’Intérieur : « Lors de l’attentat d’avril 1981 contre le Président de la République, M. Giscard d’Estaing, certains ont prétendu que des gens du SAC, notamment de la région marseillaise, n’étaient pas loin ». Ce à quoi il a répondu qu’il n’avait « aucune information sur cette affaire ». Il a même fait part de sa perplexité car « les explosifs avaient été déposés dans une consigne et qu’il n’était pas prévu que le cortège présidentiel passe devant cette consigne, de sorte qu’on peut se demander s’il ne s’agissait pas d’un attentat destiné à faire du bruit. Tout mouvement terroriste de l’extrême droite et de l’extrême gauche, cherche, avant toute chose, à faire parler de lui. Je pense que c’est plutôt cela qui a dû se passer, sans que nous ayons pu déceler les auteurs, malheureusement ». Et il rajoutera : « Force est de dire, d’ailleurs, qu’en ce qui concerne la Corse, nous disposons de très peu d’éléments. Nous n’avons jamais pu, à ma grande irritation, tirer le fil et retrouver les coupables de nombreux attentats ou explosions. Ceux-ci étaient protégés par un mur de silence, qui pouvait être chez les uns le silence de la complicité et chez les autres le silence de la peur. ».
  • Dans son livre « Chasse à l’homme », Lucien Aimé-Blanc, ancien patron de l'Office Central de la Répression du Banditisme, dit avoir été informé par son indicateur Jean-Pierre Maïone-Libaude de l’attentat. Voici un extrait de leur échange à l'époque :
    Jean-Pierre Maïone-Libaude « Tu te souviens de l’attentat à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe contre Giscard ? (…) La bombe dans les consignes de l’aéroport lors d’un voyage aux Antilles. Ça avait fait du bruit, des blessés et des dégâts ! Eh bien, les Corses vont faire pareil lorsque Giscard va se rendre à Ajaccio ! »
    Lucien Aimé-Blanc : « Je croyais que le FLNC avait décrété une trêve ! »
    Jean-Pierre Maïone-Libaude : « Peut-être, mais c’est une autre équipe qui va mettre la bombe. Et ceux-là, je ne les connais pas. Je ne peux pas t’en dire plus, mais je suis sûr de mon coup ! La bombe va exploser lorsque Giscard débarquera de l’avion. Elle sera placée dans les casiers de la consigne de l’aérogare ». 
    À la suite de ce tuyau, Lucien Aimé-Blanc réalise une note d’information, dont il garde une copie, qu’il envoie au Préfet Lambert, directeur général de la Police nationale. Note dont il dit n’avoir reçu aucune réponse. Il s’interroge alors : « pourquoi a-t-on laissé exploser cette bombe, en prenant toutefois la précaution de détourner, au dernier moment, le président Giscard d’Estaing ? Cela au prix de la mort d’un touriste et de plusieurs blessés ! »

    « François Santoni ne savait pas que la direction générale de la Police en avait été informée, et aurait pu le déjouer facilement ! »

    Lucien Aimé-Blanc, ancien patron de l'Office Central de la Répression du Banditisme (OCRB)

  • Dans ses entretiens avec Guy Benhamou en 2000, François Santoni, revient lui aussi sur l’attentat. Il indique préalablement que « le cortège officiel n’emprunte pas l’itinéraire prévu dans l’aérogare, la bombe a explosé dans la salle par laquelle VGE devait initialement passer ». Ensuite, il affirme que les commanditaires sont « une petite équipe de militants du secteur Gravona ». Bien que le FLNC ait décrété une trêve pour ne pas gêner la gauche pendant la campagne pour l’élection présidentielle. il refuse de revendiquer cet attentat sous prétexte que le mouvement n’est alors pas assez fort pour l’assumer. « Nous apprendrons par hasard, grâce aux listings des passagers, que dans l’aéroport se trouvaient au même moment des membres du SAC identifiés par la suite comme ayant participé au massacre d’Auriol ». Pour détourner les soupçons, la version d’une action « barbouzarde » est alors concoctée, selon laquelle l’attentat est un coup monté par l’Elysée. Il aurait visé à attirer la sympathie de l’opinion sur le président transformé en victime des terroristes, lui faire gagner quelques points, et assurer une réélection bien incertaine en mai face au candidat Mitterrand. « Mais c’est bien le FLNC qui a essayé de tuer Giscard ». 

    « En tout cas, il s’avère que les services de sécurité de l’aéroport ont reçu des appels téléphoniques les informant de l’imminence d’une explosion et ces services n’ont rien fait (…) comme si l’attentat arrangeait certains en coulisses ».

    Pierre Poggioli

  • Pierre Poggioli, en cavale au moment de l’attentat et ayant le « Canal d’authentification » des revendications du FLNC, a lui aussi son mot sur l’affaire. Il rappelle que le soir, une manifestation était prévue par les mouvements nationalistes qui finissent par l’annuler, que le FLNC « dément son implication » alors en trêve au moment des faits et que l’attentat est préalablement « revendiqué par un groupe qui s’est déjà attribué des attentats du Front, les FTPC » avant que ces derniers ne le démentent. Il revient sur les auteurs possibles, « des nationalistes isolés ou manipulés refusant la trêve ? (…) une provocation interne à la Droite, tant les rivalités entre les Gaullistes et les Républicains indépendants sont exacerbés ? En tout cas, il s’avère que les services de sécurité de l’aéroport ont reçu des appels téléphoniques les informant de l’imminence d’une explosion et ces services n’ont rien fait (…) comme si l’attentat arrangeait certains en coulisses ». Il évoque également que le « Massacre d’Auriol » amenant à la dissolution du SAC, avait soulevé un lien auprès des enquêteurs entre l’attentat et « certains de ses protagonistes ayant des relations étroites avec des activistes de Francia ».

Mais rien n’y fait, l’attentat ne soulève pas de débat dans l’opinion publique. Et se niche peu à peu dans les limbes de sa mémoire. Les générations nées après 1981 n’en connaissent pas l’existence. Seule une infime frange militante nationaliste née au début des années 1990 en a que vaguement connaissance par la lecture d’écrits de militants, durant ces trois dernières années, dans des publications ou de courts articles sur les médias sociaux en ligne. Pourquoi cette amnésie collective ? C’est la question que se posent Luc Mondoloni et ses invités dans le premier numéro de « Mémoire Courte ».   

📲💻📺 "Mémoire courte : 1981, une bombe contre le président", un magazine à voir lundi 20 novembre à 20h45 et en replay sur France.tv              

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