Vendredi 16 février, le ministre de l’Intérieur a brièvement évoqué « un travail » du garde des Sceaux sur le Fijait et les personnes qui ont été condamnés. Depuis la création de ce fichier de lutte contre le terrorisme, en 2015, associations et partis nationalistes réclament que les Corses n’y figurent plus. Pour certains, il s’agit d’un « enjeu capital » dans les discussions sur l’autonomie de l’île.
La suppression des noms des militants nationalistes condamnés pour « terrorisme » du Fijait (fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes). C’est ce que réclament des associations de défense des prisonniers dits politiques et partis nationalistes dans le cadre du processus de Beauvau sur l’évolution du statut institutionnel de la Corse.
Vendredi dernier, 16 février, ces derniers auraient pu espérer un début de réponse au fil du long entretien de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur en charge du dossier corse, accordé à Corse Matin. Mais le sujet n’a été que survolé. Il déclare : « Le garde des Sceaux travaille, à la demande du président de la République, à la question du Fijait, sur le fichier des personnes condamnées. C’est une demande Paul-Félix Benedetti, nous l’écoutons. Dans un accord global, l’on peut aborder ces divers sujets qui ne sont pas de nature constitutionnelle. Mais ils ne constitueront pas l’objet du dîner du 26 février prochain. »
Ce dîner vise à trouver un accord entre les élus de la Corse et le gouvernement autour d’une proposition d’écriture constitutionnelle du ministre de l’Intérieur. Si tous les représentants des groupes de l’Assemblée de Corse sont conviés, Paul-Félix Benedetti, chef de file du parti indépendantiste Core in Fronte, a d’ores et déjà fait savoir qu’il n’y participerait pas, fustigeant le ton employé par Gérald Darmanin dans les colonnes du quotidien régional et remontrances faites aux élus insulaires sur l’absence d’accord unanime au sujet du projet d’autonomie.
« Pour les militants nationalistes condamnés, le Fijait n’a pas vraiment de sens »
Le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait) a été créé en 2015 au lendemain des attentats djihadistes qui ont visé la France. « Nous devons pouvoir connaître en permanence l’ensemble des terroristes condamnés, connaître leur lieu de vie, contrôlé leur présence ou leur absence », avait expliqué Manuel Valls, alors Premier ministre, à l’Assemblée nationale.
Le fichier regroupe ainsi toutes les personnes condamnées, ou dans certains cas mises en examen, pour des faits de terrorisme. Ces personnes ont pour obligation de renseigner leur adresse tous les trois mois, de déclarer tout changement de résidence ou déplacement à l’étranger. En cas de non-respect de ces règles, les inscrits au Fijait s’exposent à une amende pouvant aller jusqu’à 30.000 euros ou des peines de prison. Cette loi est rétroactive, c’est-à-dire que des personnes condamnées pour terrorisme avant sa publication peuvent être inscrits au Fijait.
Il faudrait trouver une rédaction qui permette d’atteindre le but originel du texte, à savoir le contrôle d’éventualités de départ en Syrie de terroristes djihadistes.
Éric BarbolosiAvocat
Des dispositions injustes aux yeux des associations et des partis nationalistes. L’avocat Éric Barbolosi explique : « Pour les militants corses condamnés pour des faits de terrorisme et inscrits au Fijait, le Fijait n’a pas vraiment de sens. Puisque le but du Fijait c’est de pouvoir contrôler les allées et venues de terroristes qui sont susceptibles de partir à l’international. Celui qui, en Corse, est condamné pour des faits de terrorisme, dans 99 % des cas, il va revenir en Corse. Mais, malheureusement, sous prétexte de non-discrimination, ce texte s’applique aux Corses comme aux autres. »
Me Éric Barbolosi plaide ainsi pour une « révision du texte » afin de « trouver une rédaction qui permette d’atteindre le but originel du texte, à savoir le contrôle d’éventualités de départ en Syrie de terroristes djihadistes ». « Il suffirait d’adapter le texte avec une réelle action plus particulière, plus spécifique qui permettrait de cibler ceux pour lesquels il a été fait sans pour autant aller atteindre d’autres personnes qui n’étaient en rien concernées par le texte de bases », conclut-il. Selon les associations de défense des prisonniers dits politiques, une trentaine de militants nationalistes condamnés seraient inscrits au Fijait.
Un amendement déposé, mais rejeté en 2021
En 2021, les trois députés nationalistes et le député Paul Molac tous membres du groupe Libertés et Territoires, dorénavant Liot (Liberté, indépendants, outre-mer et territoires), ont déposé un amendement visant à modifier ce texte.
Ils expliquent ainsi que « dans le cadre de lutte contre le terrorisme islamiste, il convient, en aucune manière de réaliser la moindre confusion ou amalgame avec des militants politiques, écologistes, altermondialistes, animalistes, corses, basques… Cela s’avérerait disproportionné par rapport à l’action militante pour laquelle ils ont été condamnés. Par exemple, cette confusion ne saurait s’exercer en ce qui concerne l’enregistrement des informations contenues dans ce Fijait. »
Par cet amendement, les quatre députés demandent à ce qu’une distinction soit établie entre les destructions matérielles de biens et l’atteinte délibérée à la vie humaine. Le texte est rejeté quelques jours plus tard.
« Un élément capital dans sa symbolique et sa portée »
Pour l'association Aiutu Patriotticu, de défense des prisonniers dits politiques, ce retrait des militants nationalistes condamnés du Fijait, dans le cadre du processus de Beauvau, serait « un élément capital dans sa symbolique et sa portée ».
Dans un communiqué datant de 2022, elle estime que « des militants politiques porteurs de revendications, héritier d’une lutte de libération de 50 ans pour sa période contemporaine, soient soumis au même traitement que des assassins aveugles qui n’ont pas d’autres objectifs que de soumettre les consciences par la terreur et d’imposer au monde un modèle de pensée obscurantiste et barbare. »
La libération des « prisonniers politiques » et « l’arrêt des poursuites » faisaient partie des points « incontournables » pour « un processus historique » selon le parti indépendantiste Corsica Libera. La formation, dorénavant appelée Nazione, regrette que ce thème fasse partie des « lignes rouges » fixées par Emmanuel Macron dans le cadre du processus de Beauvau.
Les reportage de Marie-Françoise Stefani :