Qui se souvient de Colette Meynard en Corse aujourd'hui ? Elle est pourtant la première femme, en 1980, à avoir été emprisonnée pour l'aide qu’elle a apporté au FLNC. "Mémoire Courte", à voir ce lundi 18 mars à 20h45 sur ViaStella, revient sur cette histoire oubliée et plus largement sur la place des femmes dans la lutte indépendantiste sur l'île. Xavier Crettiez, spécialiste de la violence politique et invité de l'émission, apporte son éclairage sur cette affaire...
Le 4ème numéro de "Mémoire Courte" se penche sur l’amnésie collective qui entoure le personnage de Colette Meynard, première femme ayant effectuée de la prison ferme pour ses liens avec le FLNC. Militante continentale d’extrême-gauche, elle sera condamnée par la Cour de sûreté de l’État en 1980 pour l’aide qu’elle a apportée à Pantaléon Alessandri. Membre fondateur du Front de Libération National de la Corse, celui-ci tentait alors de se procurer des armes lors d'un voyage au Liban. Elle est décédée à Paris en 2012, sans aucun écho en Corse.
Au-delà de cette histoire, Luc Mondoloni et ses invités s'interrogent sur la place des femmes dans la lutte indépendantiste et sur le fait que, malgré leur forte implication, leurs actions aient été évincées du récit national.
Le FLNC a très rarement fait une place aux femmes dans son organisation, hormis pour des conférences de presse clandestines [...] On pourrait proposer une explication plurielle à cette "invisibilisation" des femmes.
Xavier Crettiez, spécialiste de la violence politique
Xavier Crettiez, Directeur du DiReM, Diplôme Renseignements et Menaces globales à Sciences Po, Saint-Germain-en-Lay, est un des invités de "Mémoire Courte". Il nous livre son analyse sur la place des femmes au sein du FLNC.
Luc Mondoloni : avec Colette Meynard, a-t-on affaire à une contribution féminine normale ou exceptionnelle ?
Xavier Crettiez : Il faut insister sur la dimension exceptionnelle du militantisme de Colette Meynard au sein du nationalisme clandestin en Corse. Le FLNC a très rarement fait une place aux femmes dans son organisation, hormis pour des conférences de presse clandestines où la nécessité du nombre appelait la présence de militantes, systématiquement "invisibilisées" (cagoules) et le plus souvent en fond de scène (à l’image de la conférence de presse de Tralonca). On pourrait proposer une explication plurielle à cette "invisibilisation" des femmes.
un aspect culturaliste d’abord avec en Corse un nationalisme très "viriliste" – et sûrement un peu machiste – en résonance avec la culture politique insulaire (les femmes ont longtemps été très peu visibles dans l’espace public). La dimension scénographique du nationalisme clandestin (cagoule, poses guerrières, affichage d’armes de poing) comme sa dimension clivée (multiples affrontements intra-nationalistes) ont permis aux hommes d’avoir la haute main – l’exclusivité même – sur le nationalisme clandestin (et longtemps aussi sur le nationalisme politique).
les racines idéologiques du nationalisme corse ensuite, qui l’ont tenu éloigné du marxisme. À l’inverse d’autres mouvements séparatistes européens comme l’ETA basque ou l’IRA provisoire, qui affichent leur dimension très marxiste, le FLNC est nettement moins ancré dans le gauchisme (c’est une douce litote). Or, les mouvements marxistes mettaient en avant la dimension d’affranchissement non seulement du travailleur mais également des femmes (la fameuse "libération féministe par la Kalachnikov" propre aux Brigades Rouges ou à la Fraction armée rouge). Dès lors, sans culture politique gauchiste, qui ancre le nationalisme dans les mouvements de lutte contre toutes les formes d’oppression (y compris patriarcale), le FLNC n’offrira jamais une visibilité aux femmes.
enfin, c’est également le type de violence pratiquée en Corse qui exclue les femmes de l’organisation. À l’inverse de mouvements utilisant une violence d’affrontement typiquement terroriste impliquant le meurtre dans des espaces publics (ETA, IRA, FLN algérien…), la violence en Corse est surtout à l’encontre de biens immobiliers et assez peu criminelle. Elle ne nécessite pas la ruse pour éviter les fouilles policières ou les barrages policiers, à l’image des attentats du FLN en Algérie souvent portés par les femmes moins faciles à fouiller et moins "soupçonnables" Poser des bombes de nuit dans des villas isolées à l’abri de la police ne nécessite pas le recours à la ruse et la dissimulation. Donc moins de femmes.
Luc Mondoloni : n’y a-t-il pas aussi une volonté de ne pas internationaliser la lutte ?
Xavier Crettiez : Effectivement, l’engagement de Colette Meynard a pu prendre la forme d’un internationalisme ou tout au moins d’une volonté d’internationaliser la lutte armée, en lien avec le Liban. Là encore, si des mouvements comme l’IRA ou l’ETA ont pu reposer sur une vraie internationalisation de leur action (aux USA pour l’IRA ; en Amérique centrale ou du sud pour l’ETA – tout comme les Brigades Rouges ou la Fraction armée rouge dans toute l’Europe), le FLNC demeure un mouvement très tourné sur la sphère nationale et surtout locale (le FLNC vise plus le pouvoir local que l’indépendance nationale). À ce titre, cette dimension de l’engagement de Colette Meynard est tout à fait insolite. D’où son invisibilisation mémorielle.
Luc Mondoloni : on pourrait lui opposer les exemples de grandes figures activistes, sorte d’icônes féminines d’autres luttes non ?
Xavier Crettiez : vous pensez à Gudrun Ensslin et Yoyes je présume. Et vous avez tout à fait raison. Gudrun Ensslin, qui est la co-fondatrice de la Fraction armée rouge (RAF) avec Andreas Baader et Ulrike Mainhof, une autre femme - on notera que sur les trois fondateurs de la RAF, deux sont des femmes ! - et qui mourra en prison. C’est aujourd’hui encore une figure totémique de l’extrême gauche allemande. Quant à Yoyes (de son vrai nom Dolores Catarain), elle a été une des plus hauts gradés au sein de l’ETA (certains l’évoquaient comme la cheffe suprême de l’organisation). Lorsqu’elle abandonne la lutte armée en 1986 suite à la proposition de réinsertion du gouvernement espagnol, l’ETA décide de punir cette "démission" et la fait assassiner sur la place de son village en plein jour, par Kutabi, qui n’est autre que son ancien compagnon ! La figure de Yoyes à l’inverse de celle de Ensslin, illustre d’ailleurs une autre facette des femmes combattantes : la femme traitresse à la cause, celle en qui on ne peut avoir confiance, attestant s’il le fallait du caractère souvent très misogyne des acteurs de la lutte armée. Pour ces derniers, accorder aux femmes un statut de combattante à l’égal des hommes c’est aussi prendre le risque de renverser l’ordre social traditionnel, difficile à vivre dans des sociétés traditionnelles comme la Corse ou même comme le Pays Basque, en dépit du marxisme.
💻📺📲 "1980, la première femme emprisonnée pour ses liens avec le FLNC", une histoire à découvrir dans "Mémoire Courte" lundi 18 mars à 20h45 sur ViaStella et en replay sur France.tv