La pandémie de Covid-19 continue de sévir en France. Et à la crise sanitaire s'est ajoutée une crise économique, alimentée par l'arrêt forcé ou le ralentissement de l'activité d'un nombre important de secteurs. Une crise inédite qui devrait laisser des traces importantes en Corse.
Le fonds monétaire international l’annonçait déjà en juin 2020 : la France n’échappera pas à une crise économique inédite, tant par sa brutalité que par son ampleur, des suites de la pandémie de Covid-19. Pire encore, le pays pourrait être l’un des plus durement touchés.
Presque un an après le début de la crise sanitaire, les perspectives ne sont effectivement pas encourageantes. Après un début d’année compliqué, l’économie française a connu un léger rebond au troisième trimestre. Mais avec le second confinement, le gouvernement s’est vu contraint de revoir à la baisse ses prévisions quant au produit intérieur brut du pays en 2020.
Depuis fin octobre, le ministère de l’Économie et des Finances table ainsi sur une récession à 11% pour l’année. À l’issue du premier confinement, Bercy pensait encore que le taux, légèrement plus optimiste, de 10% ne serait pas dépassé.
Une crise économique inédite depuis l'après-guerre
Selon Statista, qui a recensé dans un graphique l’évolution du PIB en France depuis 1960, le pays n’avait pas connu une telle récession depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En comparaison, la seconde plus forte baisse annuelle de production économique connue sur cette période remonte à la crise financière mondiale de 2008, qui avait alors engendré une contraction l’année suivante de 2,9% du PIB français, relève l’institut.
Vous trouverez plus d'infographie sur StatistaLa Corse parmi les régions les plus affectées
Reste que la pandémie de 2020 n’a pas frappé la France partout de la même manière : la gravité de la crise varie selon les régions étudiées. Parmi les territoires les plus touchés : la Corse. Sur l’île, on prévoit pour l’année prochaine une récession de 18% du PIB, soit sept points de plus que la moyenne nationale.
Première piste d'explication : le tourisme, secteur économique principal de l'île - il représente 33% du PIB Corse, et même 60% dans l'Extrême sud de la Corse -. Si l'année touristique n'a pas été blanche, comme le craignait les professionnels du secteur, les chiffres restent cependant très en deça des précédentes années.
Mais dans les autres secteurs économiques insulaires, l'inquiètude règne également. Au sein des grandes, moyennes, petites et très petites entreprises, ils sont nombreux à partager leurs incertitudes pour l’avenir.
Mélissa Oualit, artisan fleuriste, a ouvert sa boutique il y a un peu plus d’un an dans les quartiers sud de Bastia. Pour la jeune entrepreneure, les confinements ont entraîné une chute importante des rentrées d’argent.
Il y a encore quelques mois de cela, Melissa imaginait embaucher quelqu’un pour l’aider en magasin. Un souhait qui paraît bien lointain désormais : faute au trou dans les recettes, la jeune femme devra pour l’heure rester seule.
Depuis le 28 novembre, la fleuriste a pu rouvrir son commerce. Ce qui n’est toujours pas le cas des cafés, bars et restaurants, fermés à minima jusqu’au 20 janvier, date qui pourrait par ailleurs être repoussée.
Les livraisons, dernière pierre pour tenter de sauver le chiffre d'affaire
Pour tenir le choc, nombre d’établissements alimentaires ont mis les bouchées doubles sur leurs ventes à emporter. Une manière d’atténuer autant que possible les pertes financières. Mais qui ne règle pas tout : depuis plusieurs semaines, le restaurant de Stéphane Scannapieco, situé rue César Campinchi, à Bastia, ne fait plus que des livraisons de pizzas.
Avant confinement, le coin pizzéria ne représentait que 15% de l’activité globale de son restaurant. Le restaurateur étant contraint de garder les 70 couverts de sa salle inoccupés, tous les employés de l’établissement, en dehors du pizzaïolo, ont été mis en chômage partiel.
Les livraisons sont directement assurées par le patron, qui l’annonce dès à présent : faute d’activité, le contrat d’un employé se terminant au 31 décembre ne pourra pas être prolongé en janvier.
Des dispositifs d'aide insuffisants en l'état
Pour Melissa Oualit comme pour Stéphane Scannapieco, difficile de garder le moral dans cette situation. "On ne sait pas trop où l’on va", regrette la jeune femme. Les deux patrons de leur établissement ont bien eu recours, lors du premier confinement, aux aides mises en place par l’Etat.
L’artisan fleuriste indique ainsi avoir touché l’indemnité de 1500 euros du fonds de solidarité du gouvernement. "Mais ça n’a pas servi à grand-chose. 1500 euros, ce n’est rien du tout, et ça n’a pas suffi à payer le loyer", soupire-t-elle. Et pour ce second confinement, elle "n’a pas bénéficié d’aides du tout".
1500 euros, ce n’est rien du tout, et ça n’a pas suffi à payer le loyer
Stéphane Scannapieco explique de son côté avoir eu recours au PGE (prêt garanti par l’Etat, qui vise à faciliter l’accès des entreprises au crédit bancaire. L’Etat apporte sa garantie aux prêts de trésorerie accordés par les banques privées françaises aux entreprises affectées par l’épidémie Covid-19 ; elle couvre 90 % du montant du prêt accordé ou du rééchelonnement de crédits existants) pour le premier confinement.
"Mais là, je ne veux plus en faire. C’est bien beau de faire des prêts, mais après, il faut pouvoir les rembourser. Si reprise d’activité il y a."
Certains commerces contraints au dépôt de bilan
Melissa Oualit et Stéphane Scannapieco ne sont pas des exemples isolés en Corse. Quand certains entrepreneurs, commerçants et artisans tentent tant bien que mal de garder la tête hors de l’eau, d’autres ont déjà jeté l’éponge.
C’est le cas de Daniel*, ex-gérant d’une cantine en Corse-du-Sud. Faute de trésorerie suffisante, le patron s’est vu forcé de fermer pour de bon boutique en novembre dernier. "Avec les confinements, j’avais bien perdu 90% de mon chiffre d’affaire. Je perdais de l’argent tous les mois, ce n’était plus possible. Ce restaurant, c’était le projet de toute une vie. J’ai le sentiment d’avoir tout perdu."
Ce restaurant, c’était le projet de toute une vie. J’ai le sentiment d’avoir tout perdu.
Daniel espère pouvoir un jour, "quand les temps seront plus calmes", rouvrir sa cantine. "Mais il va falloir être vraiment aidé, pas juste des indemnités de principe".
Un plan national de relance de 100 milliards d'euros
Pour éviter que ce scénario ne se généralise au sein des entreprises insulaires, plusieurs dispositifs ont été engagés à échelle nationale et régionale.
L’île bénéficie ainsi, comme l’ensemble des territoires français, du plan national France relance. Présenté en septembre dernier par le gouvernement, celui-ci prévoit de mobiliser 100 milliards d’euros en deux ans autour de trois axes : la transition écologique, la compétitivité, et la cohésion sociale et territoriale.
En Corse, rapportent les autorités gouvernementales, 1 milliard 400 millions d'euros ont déjà été dépensés en soutien aux entreprises depuis le début de la crise. Impossible pour autant d’en savoir plus quant à la déclinaison territoriale du plan : sollicité, le préfet a refusé de répondre à nos questions.
Ce plan de relance ne fait cependant pas l’unanimité en Corse. Depuis plusieurs mois, élus et socio-professionnels dénoncent ainsi des mesures nationales inadaptées aux spécificités de l’économie insulaire.
"Salvezza è Rilanciu", pour "sauver" l'économie corse
C’est en partie pour pallier ces manquements que l’Assemblée de Corse a adopté, le 27 novembre, le premier volet de son propre plan de sauvegarde et relance "Salvezza è Rilanciu".
Coût du volet Salvezza : 400 millions d’euros, répartis entre six thématiques : l’accompagnement au financement des entreprises (26,50 millions), le soutien à l'activité (33,05 millions), l’aide à l'emploi (29,60 millions), l’accompagnement des précaires (10,79 millions), le développement d'un réseau de relance (150.000 euros), et la valorisation des mesures fiscales (307 millions).
100 millions d’euros seront financés par la collectivité de Corse. Les 300 millions restants, correspondants au volet fiscal, devront eux l’être par l’Etat.
Le volet « Salvezza » du plan « Salvezza è Rilanciu » présenté par le Conseil exécutif de #Corse, largement soutenu par les forces vives de l’île, est adopté à l’unanimité par l’Assemblée de Corse !
— Gilles Simeoni (@Gilles_Simeoni) November 27, 2020
Une avancée majeure dans la négociation à venir avec le Gouvernement. pic.twitter.com/SDGIjXKTLf
"Si le plan Salvezza fonctionne dans les mesures qui ont été présentées, je ne peux pas dire s’il sera suffisant, mais il sera utile, c’est certain, analyse Sauveur Giannoni, maître de conférence en sciences économiques à l’Université de Corse. Toute la question est de savoir si la coopération Etat et collectivité de Corse permettra de le mettre en œuvre de façon efficace."
Le gouvernement n’a pour l’heure ni commenté, ni validé le plan.
"On espère que la raison primera, et que la balance penchera du bon côté", glisse Daniel, le restaurateur contraint à la fermeture de son établissement.
"Une économie à la mer", le 16 décembre à 20h55 sur ViaStella
Retrouvez plus d'informations sur la crise économique en Corse des suites de la pandémie de Covid-19 dans l'émission spéciale "Une économie à la mer", diffusée ce mercredi 16 décembre à 20h55 sur France 3 Corse ViaStella.
Une émission présentée par Laurent Vincensini, avec pour invités :
- Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse,
- Jean-Martin Mondoloni, conseiller territorial et président du groupe "Per l'Avvene",
- Karina Goffi, présidente de l'Umih 2B,
- Jean Brignole, secrétaire régional STC,
- Dominique Sialelli, président directeur général de Pietra,
- et enfin Pierre Orsini, président de la chambre de commerce et d'industrie de Haute-Corse.