Transports, commerces, carburants : pourquoi la vie est-elle si chère en Corse ?

Après dix-huit mois de travaux, l'Autorité de la concurrence a rendu ce 17 novembre son avis sur la situation concurrentielle prévalant en Corse. Quatre secteurs en particulier y sont étudiés : les carburants, la grande distribution, la gestion des déchets et la desserte maritime.

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Saisie en février 2019 par le ministre de l'Économie et des finances pour analyser la concentration économique en Corse, l'Autorité de la concurrence a rendu, ce mardi 17 novembre, son avis.

Un rapport dont les conclusions étaient particulièrement attendues, et qui prend en compte l'impact de la crise de la Covid-19 sur l'île.

Quatre secteurs sont au centre des travaux : les carburants, la grande distribution, la gestion des déchets et le transport maritime. Soit les domaines dans lesquels les principales préoccupations avaient été exprimées.

Des carburants significativement plus chers en Corse que sur le Continent

La question de la cherté des carburants revient ponctuellement sur la table des discussions insulaires. Une impression confirmée par l'Autorité : oui, les carburants sont plus chers en Corse qu'ils ne le sont sur le Continent. Et ce, malgré un taux de TVA réduit à 13%, contre 20% ailleurs.

Ainsi, la facture d'un ménage corse est en moyenne plus élevée de +6,7% pour le gazole, et +5,3% pour le SP95 (données Insee 2015). Un différentiel qui "affecte lourdement" le budget de la population, très dépendante de la voiture dans ses déplacements.

Ce surcoût prendrait origine dans les contraintes imposées par l'insularité : la Corse, raisonne l'Autorité de la concurrence, "est approvisionnée en carburants uniquement par voie maritime, ce qui renchérit le coût de l'acheminement par rapport aux autres régions métropolitaines".

Plus encore, une fois le carburant arrivé sur l'île, son transport "jusqu'aux stations-services est également plus coûteux", en raison de la topographie des lieux.

Dernier point d'explication, la saisonnalité de la demande : si les capacités de stockage de pétrole sur l'île sont suffisantes pour les besoins de la population annuelle, les demandes sont multipliées en pleine saison touristique.

Les deux dépôts pétroliers de Corse, situés à Bastia et à Ajaccio, se retrouvent par conséquence en "flux tendus", ce qui peut entraîner des ruptures de stocks et des surcoûts significatifs.

Des stocks de carburants plus importants recommandés

En bref, "des contraintes structurelles particulières affectent l'organisation des marchés de la distribution des carburants en Corse" tranche l'Autorité de la concurrence.

Afin d'y remédier, l'instance recommande la constitution de stocks plus importants dans les dépôts pétroliers.

Une solution qui permettrait d'éviter des pénuries trop fréquentes "qui ont des répercussions négatives sur les acteurs de la distribution de carburants et, in fine, sur les consommateurs corses".

Un panier de course plus coûteux sur l'île de beauté

Même analyse pour les produits alimentaires que pour les carburants : là encore, le prix d'un panier de course moyen est plus élevé en Corse qu'il ne l'est sur le Continent.

Un différentiel de coût d'autant plus dommageable que la Corse est l'une des régions de France où le revenu médian par habitant est le plus faible : la moyenne nationale était de 1.759 euros par mois en 2017, contre 1.669 euros en Corse (-5,1%).

Là encore, les particularités insulaires sont désignées comme principales responsables de l'inflation : le recours au transport maritime alourdi la facture, et les capacités de stockage limitées des magasins impliquent des livraisons de marchandises plus fréquentes que sur le Continent.

Enfin, la densité commerciale des grandes et moyennes surfaces de distribution alimentaire est plus importante en Corse, ce qui peut contribuer à la cherté des produits.

"Des mesures ont été prises par les pouvoirs publics pour remédier à cette situation, telles que l’instauration depuis 1986 d’une TVA à 2,1 % sur l’alimentation humaine, contre 5,5 % ou 20 % sur le continent, en fonction des familles de produits", rappelle l'Autorité.

Une initiative portant sur un panier de 230 produits à bas prix a également été mise en place en 2019 par la Collectivité de Corse et les enseignes de la grande distribution.

Reste que ces mesures ne se sont "que très peu traduites dans le prix final payé par le consommateur". Ce qui laisse suggérer à l'Autorité "une captation de la baisse de TVA dans la marge commerciale de certaines entreprises."

La mise en place sur l'île d'une dérogation à interdiction de la revente à perte

Pour l'Autorité de la concurrence, afin d'améliorer le pouvoir d'achat des ménages corses, il convient de prévoir une dérogation à l'interdiction de la revente à perte sur l'île.

"Et, à tout le moins, de prévoir une dérogation spécifique au dispositif du relèvement de 10 % de seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions prévue par la loi Egalim [loi Agriculture et Alimentation, ndlr] de 2018."

Une exception législative qui pourrait s'inspirer d'une dérogation appliquée depuis décembre 2018 pour l'outre-mer. Là aussi en raison de la cherté de la vie dans les territoires, et des contraintes liées à l'éloignement.

Une gestion des déchets ménagers qui pèse lourd sur le porte-monnaie des habitants

Un constat : les Corses produisent significativement plus de déchets ménagers que la moyenne nationale : 740 kg/habitant, contre 580 kg pour la France entière en 2018.

Une production de déchets qui plus est hétérogène : la densité démographique de l'île est extrêmement variée, et certaines zones sont particulièrement peuplées (on compte 2.300 habitants par km2 à Bastia).

Au-delà de la concentration des habitants, l'arrivée de touristes occasionne chaque année une augmentation sensible de la quantité de déchets produits en période estivale.

L'île ne dispose que de peu d'infrastructures de gestions de déchets – deux centres d'enfouissements sont encore en activité, celui de Prunelli di Fium-Orbu, et celui de Viggianello -. Résultat, "cette situation génère un surcoût important".

La charge à financer par les collectivités publiques insulaires pour le traitement des déchets dépasse largement la moyenne nationale : 243 euros HT, contre 93 euros HT par habitant en moyenne en France (+161%).

Deux objectifs : détecter l'origine des surcoûts et responsabiliser les usagers

Une situation épineuse pour laquelle l'Autorité de la concurrence recommande la réalisation d'études par un tiers indépendant. Celles-ci viseraient à détecter les surcoûts anormaux générés par les marchés publics.

Ces rapports annuels, qui préciseront les prix et la qualité de la gestion publique des déchets, devront ensuite être "largement et systématique" diffusés auprès des usagers.

Autres recommandations : instaurer des collectes porte-à-porte et des taxations incitatives pour responsabiliser les habitants et réduire les tonnages de déchets produits.

Également, l'Autorité invite les pouvoirs publics à "élargir la liste des données « essentielles » des marchés publics ou contrats de concession, […] pour notamment permettre aux autorités de contrôle de connaître les offres des soumissionnaires non retenus, tout en respectant le secret des affaires", et à rendre "systématique la présence d’un représentant de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) de Corse aux commissions d’appels d’offres convoquées dans ce secteur."

La délégation de service publique maritime actuelle en question

Enfin, concernant la desserte maritime, l'Autorité de la concurrence questionne les besoins réels de la population insulaire. Les contrats de la délégation de service public sont à ce jour justifiés par la Collectivité de Corse sur la base d'études réalisées au cours des années 2018 et 2019.

Or, ces études présentent des faiblesses méthodologiques, estime l'instance de la concurrence. Sont citées, entre autres, le fait que les consultations se limitent aux trois opérateurs déjà présents sur le marché ; que les différents types de marchandises et de passagers transportés ne sont pas distingués ; et que la concurrence de l'offre aérienne ne soit pas tenue en compte.

"Ces différents éléments justifieraient que les études préalables soient complétées, afin d’éclairer au mieux les décisions des pouvoirs publics."

"L’équilibre entre la nécessité de garantir le service public de transport maritime Corse-Continent et le respect des règles de la concurrence et du marché intérieur de l’Union européenne suppose un encadrement minutieux de l’organisation de la desserte maritime" argue l'Autorité.
 

Un examen autonome des besoins de la DSP recommandé

Ainsi, en vue de "sécuriser ce service public, renforcer l’émulation concurrentielle et rendre aux usagers […] un service public de qualité, à coût maîtrisé pour l’usager comme le contribuable", l'instance recommande une mission consultative menée par l'Autorité de la régulation des transports.

Celle-ci mènerait à un avis à destination de la Collectivité de Corse, visant à mieux évaluer le besoin de service public de transport maritime.

Dès lors cette expertise sera connue, l’Autorité de la concurrence enjoint "l’autorité organisatrice des transports maritimes entre la Corse et la France continentale" à réexaminer "le bienfondé de certaines exigences imposées dans le cadre des contrats de DSP et des OSP actuels", choix des navires et contraintes en matière d'horaires des dessertes notamment.
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