Transports, carburants, commerces en Corse : 5 questions à Isabelle De Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence

L'Autorité de la concurrence doit rendre le mois prochain un avis sur la situation de quatre secteurs clés de l'économie en Corse : les carburants, la grande distribution, les transports maritimes et la gestion des déchets. Isabelle De Silva, sa présidente, nous en donne les premières pistes.

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Cela fera bientôt un an que Bruno Le Maire a saisi l'Autorité de la concurrence pour se pencher sur l'économie corse.

En octobre 2019, au lendemain de la crise des Gilets jaunes, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire demandait un diagnostic sur quatre secteurs-clés : la distribution de carburants, la grande distribution, le transport maritime et la gestion des déchets. Des secteurs sujets aux préoccupations de concurrence en raison de leur concentration.

En décembre 2019, plusieurs membres de l'Autorité de la concurrence se sont donc rendus sur l'île pour entendre les principaux acteurs de ces secteurs économiques : entrepreneurs, syndicalistes, acteurs sociaux, élus et fonctionnaires.

Ils reviennent à nouveau en Corse mardi 29 et mercredi 30 septembre pour finaliser leur avis sur "le niveau de concentration des marchés (grandes surfaces, carburants, déchets et transports maritimes)".

En attendant, la présidente de cette autorité administrative indépendante, Isabelle De Silva, nous a donné quelques pistes sur les quatre axes principaux de l'enquête. 
 

  • Pourquoi l'essence est-elle plus chère en Corse ?
"Le thème de la distribution de carburant nous a paru fondamental à la fois dans le débat sur la cherté de la vie en Corse par rapport au continent et aussi à l'égard du poids du carburant dans le budget des ménages corses", explique Isabelle De Silva.
"Une partie importante du travail a été de bien comprendre la chaîne de distribution du carburant en Corse avec ses particularités notamment au niveau des dépôts".

L'entreprise Rubis Énergie est en effet en situation de monopole. Elle détient les deux dépôts pétroliers de l'île.
Concernant la distribution de ce carburant, Isabelle De Silva pointe une particularité corse : "Il n’y a pas de réseau de stations essence et hypermarchés low-costs comme on peut le voir sur le continent".

Vito Corse, filiale de Rubis Énergie détient à son tour la moitié des stations-service de l'île. L'autre moitié est détenue par Total.

Sur ce thème-là, comme sur d'autres, l'Autorité de la concurrence ne s'interdit pas de modifier la loi pour pouvoir agir. "On pourrait également envisager l’application du droit de la concurrence et de ces outils traditionnels", complète sa présidente.

Ces décisions seront explicitées au moment de la remise de l'avis, au mois d'octobre.
 
  • Pourquoi les prix sont-ils plus élevés que sur le continent ?

Pour répondre à cette question récurrente, l'Autorité de la concurrence s'est penchée sur la structure du réseau de distribution alimentaire, en comparaison avec d'autres régions françaises. 

"Ce n'est pas une situation sans nuances, prévient Isabelle De Silva. Il y a des catégories de prix sur lesquels effectivement, c’est plus cher en Corse que sur le continent, mais cela dépend vraiment des catégories de produits".

Une raison qui peut expliquer ces différences de prix avec le continent serait l'absence de grandes et moyennes surfaces (GMS).

Contrairement à d'autres régions de France, "il y a une priorité donnée aux petits commerces, aux commerces de centre-ville, qui se traduit par un moins grand nombre d’autorisations données aux grandes surfaces qui auraient souhaité s’ouvrir".

En conséquence, il y a moins de concurrence que sur d'autres régions comparables sur le continent. 
"De façon plus générale, nous envisageons, si cela paraît utile, de proposer des modifications législatives qui pourraient concerner la façon dont les marchés sont appréhendés en Corse et pour avoir plus d’outils de pilotage pour résoudre ces problèmes de concentration", affirme la présidente. 

"L’un des points sur lesquels on reviendra dans l’avis, ça sera les initiatives qui avaient été mises en place notamment après le mouvement des gilets jaunes avec le mécanisme des paniers de produits de première nécessité", complète Isabelle De Silva.

Le 29 mars 2019, les acteurs de la grande distribution en Corse (Casino, Leclerc, Auchan et Carrefour) s'étaient engagés à créer un panier de plus de 200 produits de première nécessité à prix bas. Une charte avait été signée. La réussite ou non de cette initiative sera évoqué dans l'avis rendu le mois prochain.

Des pistes de réponses sont également d'ordre législatif. Le dispositif appelé "seuil de revente à perte" peut notamment avoir des effets sur les prix en supermarchés.

Le seuil de revente à perte représente la limite de prix en dessous de laquelle un distributeur ne peut revendre un produit sous peine d’être sanctionné. Il pourrait être modifié, adapté pour la Corse, "compte-tenu du fait que les problématiques de transport peuvent peser sur le prix de vente des produits".
 
  • Transports maritimes : vers un partenariat public-privé ?
"On a vraiment passé beaucoup de temps sur ce sujet pour voir comment cela fonctionnait, est-ce qu’il y a des inefficacités ou pas, est-ce qu’il y a des façons de faire différemment", explique Isabelle De Silva. 

"On est face à un système qui aujourd’hui a une structure qui vient de son histoire. Il y a depuis 20 ans énormément de litiges et de contentieux sur les conditions de desserte de la Corse".
L'autorité de la concurrence s'est notamment penchée sur les problématiques des ports, des dessertes, de la façon dont les OSP (obligations de service public) et de DSP (délégations de service public) sont accordées.

"C’est un sujet absolument essentiel parce qu’il se répercute sur la distribution des biens sur tout le territoire. On peut avancer et trouver des nouvelles pistes pour mieux adapter le dispositif".

Une compagnie maritime régionale voulue par les nationalistes, la Semop (Société d’économie mixte à opération unique), partenariat public-privé, devait bientôt prendre la mer. Un appel d'offres pour désigner un partenaire privé vient d'être invalidé, retardant la procédure.
 
  • Que faire des déchets ?
La gestion des déchets en Corse est problématique voire critique. Les politiques de traitement ont donné la priorité l'enfouissement, or l'île a atteint la limite de ses capacités de traitement dans un certain nombre de sites. 

"C'est l'un des sujets les plus complexes à traiter, annonce d'emblée Isabelle De Silva. Cela n'a pas seulement impact pécuniaire pour les collectivités et pour les citoyens mais aussi un impact sanitaire et environnemental".
L'Autorité de la concurrence s'est penchée sur la problématique des lieux de traitement des déchets. "L’idée de renvoyer les déchets sur le continent fait l’objet de débats importants", commente Isabelle De Silva.

Face à ce sujet des plus délicats, elle évoque la possibilité de trouver de nouveaux outils législatifs, des outils complémentaires à l'État pour pouvoir intervenir et remédier aux dysfonctionnements.
 
  • Quel est l'impact de la pandémie sur l'économie corse ?
L'avis de l'Autorité de la concurrence devait être rendu au premier semestre 2020. L'échéance a été retardée pour pouvoir "apprécier les conséquences de la pandémie de Covid sur l'économie corse"

"Nous avons refait un nouveau complément d’enquête pour demander aux acteurs des précisions sur la manière dont la pandémie avait affecté leur activité", explique Isabelle De Silva.
"L’année 2020 a été particulière parce que cela a touché tous les secteurs de l’économie corse, dont certains que nous étions en train d’examinerCela fait donc partie des défis de cette étude que de prendre en compte cela et que les propositions soient bien pertinentes"

Isabelle De Silva peut déjà se réjouir du climat dans lequel s'est déroulée l'étude : "Nous avons pu observer beaucoup d’intérêt tout au long des derniers mois, beaucoup de volonté de participer et de nous aider dans nos analyses"

Les résultats de l'enquête de l'Autorité de la concurrence seront dévoilés d'ici un mois. 
 
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