La Cour de cassation examine la demande de dépaysement de l'enquête concernant maître Anna-Maria Sollacaro, mise sur écoute en 2014. Une affaire qui dure depuis près de cinq ans, et qui, en Corse, n'a abouti qu'à des non-lieux.
C'est aujourd'hui que la Cour de cassation examine la requête en suspicion légitime déposée par les conseils de maître Sollacaro, à la suite de la dernière ordonnance de non-lieu prononcée, le 14 juin dernier.
Le but, que l'enquête sur les écoutes des discussions entre l'avocate ajaccienne et son client, Humbert Danti, en 2014, soit confiée à un nouveau juge d'instruction. Hors de l'île.
Secret professionnel
Tout commence en 2014. Dans le secteur du Valinco, le climat est tendu, et les règlements de comptes, fréquents. Un homme, Paul-Dominique Nicolai, est pris pour cible. Touché par plusieurs balles de Kalachnikov, il parvient à rejoindre le centre hospitalier de Sartène. Le 13 juillet 2014, le restaurateur Humbert Danti est placé en garde à vue avant d'être mis hors de cause. L'avocate qui l'assiste est Anna-Maria Sollacaro.
En 2016, elle apprend que son client était sur écoute, et que plusieurs de ses conversations avec lui ont été captées et retranscrites. Avant d'être versées au dossier. Très irritée, Anna-Maria Sollacaro saisit la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour faire annuler les procès-verbaux. Elle va être entendue.
"Les conversation entre un client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel et ne peuvent être interprétées et transcrites que si elles révèlent des indices de participation de l'avocat lui-même à la commission d'une infraction", rappelle la cour, qui précise que dans ce dossier, il n'y a aucune suspicion d'infraction de la part de l'avocate.
Un précédent douloureux
"Par principe", maître Sollacaro porte plainte à Ajaccio, dans la foulée, pour violation du secret des correspondances entre un avocat et son client.
Par principe, mais aussi parce que l'affaire trouve un écho évident dans son histoire personnelle. Quatre ans auparavant, en 2012, son père, Antoine Sollacaro, était assassiné à Ajaccio. Un crime qui pourrait trouver son origine dans l'amalgame qui aurait été fait entre l'avocat et certains de ses clients.
Des craintes d'autant plus fondées, rappellent les conseils d'Anna-Maria Sollacaro, que Humbert Danti, le client de l'avocate ajaccienne, a été lui-même assassiné par la suite, "et que cela ne peut que légitimer le fait que la partie civile ait émis des craintes à se voir associer avec celui-ci".
Seulement voilà : très vite, un mois plus tard, cette première plainte est classée sans suite. Sans qu'aucune enquête n'ait été menée. L'un des membres du collectif qui soutient Anna-Maria Sollacaro glisse, entre deux audiences : "évidemment, comme l'écoute, qui ne devait pas être versée au dossier, a été supprimée par la chambre d'instruction, pour eux, il n'y a plus d'infraction ! Si elle a été supprimée, c'est qu'elle n'aurait pas due être versée au dossier. Mais pour nous, elle a été versée sciemment..."
Deux non-lieux
Sans suprise, Anna-Maria Sollacaro ne se contente pas de cette décision. "J'irai au bout de ma démarche", affirme-t-elle alors.
Fin 2017, nouvelle plainte, avec constitution de partie civile. L'avocate reçoit le soutien de ses confrères du barreau d'Ajaccio, qui se joignent à la plainte.
Cette fois-ci, les enquêteurs et la juge en charge de l'enquête sur la tentative d'assassinat de 2014 sont entendus. Et tous affirment qu'ils n'ont pas vu le mal dans la transcription de ces conversations, jugées d'"ordre privé", selon la magistrate. Pour les enquêteurs, maître Sollacaro n'était pas avocate sur le dossier.
En mars dernier, le réquisitoire du parquet d'Ajaccio est clair : "l'absence de stratagème ou de dissimulation témoigne de l'absence d'élément intentionnel, l'écoute litigieuse ayant été intégrée dans la procédure en toute bonne foi". La suite, sans surprise, c'est une ordonnance de non-lieu de la juge d'instruction, prise le 14 juin dernier...
Impartialité
D'où la décision d'Anna-Maria Sollacaro et de ses conseils de demander désormais que l'enquête soit menée depuis le continent.
De son côté, Jean-Jacques Fagni, le procureur général de Bastia, qui s'est emparé du dossier, a également demandé son dépaysement : "Le fait qu'elle soit instruite au niveau du tribunal judiciaire d’Ajaccio peut poser difficultés. Je ne dis pas que les magistrats ne soient pas impartiaux mais, vous savez, aujourd’hui, nous sommes très précautionneux avec ce qu’on appelle l’impartialité subjective ; c’est le fait de penser, à l’extérieur, que l’affaire a pu être traitée sans l’impartialité nécessaire".