Dans un contexte de changement climatique, les phénomènes météo violents s'intensifient. En témoignent les tempêtes Ciaran et Domingos de début novembre. Deux épisodes successifs qui ont également eu des répercussions sur certains secteurs du littoral insulaire, confrontés à une érosion marine qui pourrait s'amplifier dans les années à venir.
En novembre dernier, dans l'île, le passage des tempêtes Ciaran et Domingos n'a pas épargné certaines communes du littoral déjà concernées par l'érosion marine.
Cela a notamment été le cas à Olmeto : sur la plage de Tenutella, à quelques dizaines de mètres de l'embouchure du Taravo, le trait de côte a reculé de plus de vingt mètres. Un phénomène qui tend à s'accentuer dans les prochaines années sur le pourtour de la Corse.
Vent, fortes pluies, crues, vagues... Quelles sont les causes exactes de l'érosion du littoral insulaire ? Son intensification est-elle uniquement la résultante du changement climatique ?
Éléments de réponse avec Julie Mugica, océanographe et spécialiste des risques côtiers à la direction régionale du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de Corse.
France 3 Corse : Avec le dérèglement climatique, les phénomènes météo extrêmes s’intensifient. Quelles sont les répercussions sur le littoral de la Corse ?
Julie Mugica : Cela fait plus d’une vingtaine d’années que le BRGM réalise des suivis sur le littoral de l’île dans le cadre du Réseau d’Observation du Littoral (ROL) de Corse en partenariat avec l’Office de l’Environnement (OEC). Nous disposons également d'images aériennes de l’IGN qui remontent jusque dans les années 1940. L’ensemble de ces données ne met pas en évidence le signal du changement climatique sur l’évolution géomorphologique du littoral de Corse et sur les aléas côtiers. Les phénomènes d’érosion marine et de submersion marine constatés avec ces données ne sont pas uniquement liés au changement climatique. En revanche, ils sont fortement susceptibles d’être amplifiés dans les années à venir sous son effet, et en particulier concernant l’élévation du niveau de la mer.
Le recul du trait de côte n’est donc pas uniquement imputable au changement climatique ?
La côte meuble (sableuse ou à galets) est une côte qui bouge par définition et qui a toujours évolué sous l’effet du vent, des vagues et des courants marins. On a donc des phases avancées et des phases de recul du trait de côte, à l’échelle saisonnière ainsi qu’à l’échelle de plusieurs années, voire de plusieurs décennies. Les problématiques actuelles d’érosion marine chronique sont souvent liées à la diminution des sources de sédiments (moins d’apport par les fleuves notamment) et à la perturbation des transits sédimentaires sous l’effet des activités humaines (urbanisation des dunes par exemple).
D’autre part, les tempêtes hivernales sont régulièrement à l’origine de phénomènes d’érosion marine qui peuvent être brutaux mais qui peuvent ensuite être compensés lors de périodes plus calmes. On parle de capacités de résilience ou de récupération naturelle des plages. Cependant, le changement climatique, avec l’élévation du niveau de la mer, induit une action plus haute des vagues sur les plages et donc un export des sédiments vers le large non récupérable naturellement. Les phénomènes d’érosion marine sont donc voués à s’intensifier avec le changement climatique.
En novembre dernier, les deux tempêtes Ciaran et Domingos ont causé d’importants dégâts sur le littoral, notamment sur certaines plages de la commune d’Olmeto. Cet épisode a-t-il été plus intense que d’autres ?
Cet épisode tempétueux a été très impactant sur la plage de Tenutella à Olmeto qui était déjà dans une configuration relativement étroite, et donc assez critique, à la fin de l’été. Cela n’offrait donc pas une protection optimale pour la dune et les enjeux qui l’occupent. Pris indépendamment, les paramètres de vent, de vagues et de niveaux d’eau lors des tempêtes Ciaran et Domingos n’étaient pas exceptionnels. En revanche, elles se sont produites à quelques jours d’intervalle, ce qui est défavorable.
La seconde tempête, Domingos, présentait la particularité défavorable de combiner le pic de vagues avec le pic de la surcote (surélévation du niveau de la mer sous l’effet de la tempête) ainsi qu’une direction sud - sud-ouest à laquelle cette plage est totalement exposée.
Le sable s’est retiré, le pied de dune a reculé de plusieurs mètres...
Sur ce site-là, ce sont des dégâts inédits. Côté Tenutella, on a eu des reculs de trait de côte jusqu'à 25 mètres, un abaissement de l’altitude de la plage jusqu’à deux mètres et un recul du pied de dune de huit mètres, ce qui est très important. Sur ce site, on n'avait jamais mesuré des reculs de cette ampleur-là.
La plage pourrait-elle retrouver sa configuration initiale ?
On ne sait pas si le sable qui a été perdu a été exporté au large à des profondeurs où il ne peut être récupéré naturellement par des conditions de vagues plus clémentes. On ne connaît pas non plus le débit solide du fleuve Taravo qui débouche au centre de la plage et la source de sédiments qu’il représente pour la reconstruction naturelle du cordon littoral.
La plage de Tenutella a déjà bien récupéré. Elle s’est élargie de plusieurs mètres et élevée d’au moins un mètre quelques jours après les deux tempêtes. Cependant, il est peu probable que la dune récupère naturellement. En Corse, si les plages récupèrent vite, le processus est beaucoup plus long pour les dunes édifiées par l’action éolienne, voire impossible lorsqu’elles sont urbanisées comme c’est le cas sur ce site-là.
Le reportage de Marie-France Giuliani et Marion Fiamma à Olmeto :
Ces derniers mois, sur le pourtour de l’île, plusieurs vigilances ont été émises par Météo France pour le paramètre "vague-submersion". Ce phénomène est-il plus récurrent qu’auparavant ?
Cette question relative à la fréquence des tempêtes relève de la compétence des météorologues et climatologues. En revanche, pour ce qui concerne les aléas côtiers, il a été constaté dans le cadre du ROL, des reculs du trait de côte et des pertes de sédiments plus importants entre 2022 et 2023 que les années précédentes, mais pas forcément davantage de phénomènes de submersion marine.
On ne sait pas si les phénomènes d’érosion marine relèvent de la variabilité naturelle des plages - qui sont susceptibles de récupérer - ou bien du changement climatique. Il est donc nécessaire de poursuivre les mesures régulières et d’adapter les protocoles de suivi afin d’évaluer les effets du changement climatique sur les plages corses.
À Olmeto, le recul de la dune est-il également dû à des vagues-submersion et aux fortes pluies des deux tempêtes de novembre ?
Non. La submersion marine est une inondation temporaire des terres par la mer. À Olmeto, les vagues n’ont pas généré de submersion marine mais une érosion marine de la plage et de la dune. L’érosion est une perte de terre, avec des sédiments qui sont emportés.
Concernant la pluie, dans ce cas précis, elle ne semble pas avoir généré de phénomènes d’érosion. Elle peut avoir un effet négatif quand les eaux de ruissellement sont mal gérées, et que les réseaux d’évacuation débouchent trop haut sur la plage et la dune. Ici, la pluie a plutôt généré la crue du fleuve, ce qui a en revanche permis un apport de sédiments sur l’avant-côte. Des sédiments qui sont potentiellement redistribuables pour l’alimentation de la plage.
Quels sont les autres secteurs de l'île particulièrement exposés à l’érosion marine et aux vagues-submersion ?
Ce sont deux aléas distincts liés physiquement mais que l’on n’étudie pas réglementairement de la même façon. Concernant l’érosion marine, la Plaine orientale et la Costa Verde sont des secteurs impactés.
Pour les vagues-submersion, cela concerne surtout les zones basses, celles des embouchures, notamment dans certains secteurs de la Plaine orientale. On retrouve aussi le phénomène à Porto-Vecchio, dans le golfe d’Ajaccio, sur le front de mer de Bastia ou encore dans la région de Cargèse.
"Selon les scénarios du GIEC étudiés, le recul du trait de côte peut atteindre 15 mètres en 2040 et 53 mètres en 2100."
Julie Mugica
Plusieurs solutions existent pour limiter l'érosion et les risques qu'elle engendre. En quoi sont-elles différentes ?
Il existe trois grands types de solutions pour protéger les enjeux.
Les solutions dites "dures" qui consistent à fixer le trait de côte avec des enrochements transversaux ou longitudinaux, ou des murs bétonnés par exemple. Ces ouvrages sont efficaces pour protéger les enjeux en arrière sous réserve qu’ils soient correctement dimensionnés. Ils ont cependant des effets négatifs car ils perturbent les transits sédimentaires naturels et amplifient les phénomènes d’érosion marine de part et d’autre. D’autre part, ils nécessitent un entretien et des réaménagements qui deviennent très coûteux sur le moyen et long terme.
Les solutions dites "souples" accompagnent les processus naturels, sont moins coûteuses, réversibles et ont moins d’impact sur l’environnement à proximité. Il s’agit par exemple de rechargement mécanique en sable ou de restauration dunaire (végétalisation, installation de ganivelles, etc.). Ces solutions efficaces ne sont néanmoins pas applicables à toutes les configurations. Raison pour laquelle un autre type de solutions concerne la recomposition spatiale. Il s’agit de déplacer les enjeux exposés aux phénomènes d’érosion marine.
Enfin, des solutions intermédiaires peuvent être employées dans certains cas, telles que les big-bags ou les géotubes ou bien les rechargements en sable. Quoi qu’il en soit, il n'existe pas de solution "clés en main". Chaque cas doit faire l’objet d’analyses spécifiques et être abordé sous différents angles (environnementaux et socio-économiques) en appui avec les décideurs et gestionnaires du territoire.
Au niveau du BRGM, avez-vous une idée de l’évolution de l’érosion du littoral corse dans les prochaines décennies ?
Une estimation des évolutions potentielles du trait de côte aux horizons 2040 et 2100 a été réalisée à l’échelle de la Plaine orientale. Elle prend en compte les évolutions passées qui sont projetées dans le futur et auxquelles sont ajoutés l’impact de tempête majeure ainsi que l’impact de l’élévation du niveau de la mer à ces échéances.
Selon les scénarios du GIEC étudiés, le recul du trait de côte peut atteindre 15 mètres en 2040 et 53 mètres en 2100. Cela signifie que les secteurs exposés à une érosion chronique vont connaître une amplification des phénomènes. Les secteurs relativement stables, voire en légère avancée du trait de côte, vont connaître une inversion de la tendance avec de nouvelles problématiques d’érosion marine sous l’effet de l’élévation du niveau de la mer.