Il y a trente ans, la Corse était touchée par un épisode pluvio-orageux d’une rare violence. Du Sartenais à la région bastiaise en passant par la Plaine orientale, des crues dévastatrices avaient tout emporté sur leur passage. Retour sur ces inondations tragiques qui ont profondément marqué les esprits. Et atteint des records en termes de cumul de précipitations.
Ponts détruits, routes effondrées, troncs d’arbres et rochers charriés par milliers, villages coupés du monde. Ces images ont 30 ans. Elles datent des 31 octobre et 1er novembre 1993.
En cette période de Toussaint, le ciel déverse sur l’île et sa montagne des trombes d’eau d’une extrême violence. Surtout sur la façade orientale où les cumuls de précipitations atteignent des niveaux jamais vus en l’espace de 48 heures.
"C’est faramineux, souligne Patrick Rébillout, actuel chef du centre Météo-France en Corse. On est à 562 millimètres répartis sur la Haute-Corse. Cela correspond à 844 millions de mètres cubes. C'est le record en métropole. Ça a été sur un et deux jours. Il y a eu un premier épisode, ça s'est bloqué. Ensuite, une nouvelle cellule orageuse est venue se bloquer sur les reliefs, notamment dans le Fiumorbu puis sur Bastia. Ça a été des quantités faramineuses d'eau qui n’ont, pour l’instant, pas été égalées", fait remarquer celui qui travaillait à l’époque des faits au centre Météo-France de l’aéroport de Figari.
30 ans après, retour sur les inondations de la Toussaint 1993 :
Du Rizzanesi à la vallée du Cavu en passant par l’Alta Rocca, c’est toute une partie du Pumonti qui est confrontée à une montée des eaux d’une rapidité inédite.
Très vite, les ruisseaux se transforment en torrents. Dans le Sartenais-Valinco, le Fiumicicoli sort de son lit et emporte tout sur son passage. La zone d’activités du Rizzanesi est dévastée. Des entreprises se retrouvent sous l’eau, tout comme la piste de l’aérodrome de Tavaria, jonchée de troncs d’arbres transportés par des flots déchaînés qui dévalent depuis la montagne.
L'un des drames se joue malheureusement un peu plus haut dans la vallée : au lieu-dit Caldane, la propriétaire d’un établissement thermal est emportée par la crue. La violence de la vague est telle que le pont de la RD 148 n’y résistera pas. Celui d’Arena Bianca, situé un peu plus bas entre Sartène et Propriano, non plus. Le pont génois de Spin’a Cavaddu, construit au XIIIe siècle, restera quant à lui debout. Au total, quatorze ouvrages seront détruits ou endommagés sur l’ensemble de l’île.
Plus au nord, le Cavu déverse lui aussi ses flots continus sur Sainte-Lucie de Porto-Vecchio. Dans la vallée, en contrebas du hameau de Tagliu Rossu et du village de Conca, l’image des voitures et de cette caravane balayées par un torrent d’eau boueuse hante encore les mémoires. Comme celle de cette famille prise au piège dans sa maison. Elle ne devra son salut qu’à l’arrivée de l’hélicoptère des secours qui procédera à une évacuation par les airs.
Quelques kilomètres plus loin, à Solenzara, une voiture est emportée par les flots. Malgré l’intervention rapide de certains témoins de la scène, les deux occupants du véhicule décéderont. Ils feront partie des six personnes à perdre la vie lors de ces tragiques intempéries.
"C’est typiquement un épisode méditerranéen, mais cette fois d'une virulence dont on ne se souvient pas, où qui n’était alors pas enregistrée, analyse trente ans après Patrick Rébillout de Météo-France. À l’époque, on rencontrait davantage de difficultés : on avait une image satellite, mais il n’y avait pas de radar, et très peu de postes d'observation sérieux. On avait donc du mal à suivre cet épisode. Sur la côte occidentale, la crue du Rizzanesi était inattendue, car c’étaient plutôt les contreforts orientaux qui étaient arrosés. Mais, à un moment donné, ça a tellement débordé que ça a engendré une crue sur le Rizzanesi. Il avait notamment beaucoup plu à Levie."
Coupés du monde
Pendant trois jours, une grosse partie de la Corse est plongée sous les eaux. Le plan Orsec est déclenché. Des renforts arrivent du continent. D’importants moyens sont mis en œuvre pour porter assistance aux populations sinistrées. Notamment dans certains villages de l’Alta Rocca, comme Carbini et Orone, qui se retrouvent coupés du monde après l’effondrement des ponts et de la chaussée permettant d’y accéder. Les habitants seront ravitaillés en nourriture et médicaments par hélicoptère.
Sur la plaine Orientale, les champs des cultivateurs d'agrumes ressemblent à de vastes étendues d’eau. Des salles des fêtes et un gymnase font office de dortoir pour héberger les personnes évacuées de certaines zones d’habitation.
Quatre jours après le début de ces crues, Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire, se rend dans une île dévastée par ces inondations qui n’épargnent pas non plus la Castagniccia – avec des villages là aussi coupés du monde –, le Nebbiu et la région de Bastia. Là encore, les dégâts seront considérables, notamment sur le réseau routier où les dommages seront évalués à 175 millions de francs (environ 41 millions d'euros) pour la Haute-Corse. Dans le sud de l'île, ils seront de 190 millions de francs (environ 44 M d'€). L’état de catastrophe naturel sera quant à lui reconnu trois semaines plus tard, avec 160 communes déclarées "zones sinistrées".
Depuis ces dramatiques inondations de la Toussaint 1993, d’autres épisodes pluvio-orageux ont frappé la Corse avec une certaine violence.
"On a eu certains événements qui étaient quand même très proches de celui-ci, notamment en novembre 2016, précise Patrick Rébillout. C’était la première vigilance rouge sur la Haute-Corse. On était quand même sur 500 millimètres d’eau mais ça avait duré une douzaine d'heures."
"Cet événement exceptionnel, replacé dans le contexte d’aujourd'hui, serait sans doute encore plus terrifiant."
Patrick RébilloutDirecteur de Météo-France en Corse
Trente ans après, si les images des crues du Rizzanesi et du Cavu sont toujours ancrées dans les mémoires insulaires, il n’est pas impossible qu’elles puissent de nouveau se reproduire à l’avenir, dérèglement climatique oblige.
"Malheureusement oui, confirme Patrick Rébillout. La Méditerranée est soumise aux pressions méditerranéennes : les extrêmes vont aller en augmentant avec le réchauffement climatique. Cet événement exceptionnel, replacé dans le contexte d’aujourd'hui, serait sans doute encore plus terrifiant."
Plus récemment, la tempête meurtrière du 18 août 2022, marquée par une impressionnante ligne de grains et des vents violents, est venue rappeler que le réchauffement de la Méditerranée pourrait augmenter l’intensité de ces phénomènes extrêmes, et peut-être leur fréquence.
Avant cette crue centennale de la Toussaint 1993, la Corse n’avait plus connu un épisode pluvio-orageux aussi dévastateur depuis novembre 1892…