Climat. Été 2022 : "en Corse, le dérèglement climatique s'accélère"

Sécheresse, canicule, orages et vents violents... Cet été, l'île n'a pas été épargnée par des phénomènes météo extrêmes et intenses. Sont-ils tous imputables au réchauffement climatique ? Éléments de réponse avec Patrick Rebillout, chef du centre météorologique de Corse.

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Au sortir d'un été marqué par de longues et fortes chaleurs, une sécheresse qui a nécessité la mise en place de restrictions d'eau, et une tempête d'une rare violence qui a balayé la façade occidentale de l'île, Patrick Rebillout dresse le bilan climatologique de la saison estivale en Corse. 

Pour l'ingénieur météorologiste, "le climat de l'île va changer dans son fonctionnement et l'intensité de ces phénomènes va augmenter". 

France 3 Corse ViaStella : l’été vient de s'achever. Que retenez-vous des divers phénomènes météo observés dans l'île ?

Patrick Rebillout : D’un point de vue météorologique, l'été s’est terminé le 1er septembre. En Corse, on ne retient pas forcément des épisodes caniculaires mais un été qui aura été très, très chaud tout le temps. Sur la période du 7 mai au 11 août, la température quotidienne était au-dessus de la normale. Au mois d'août, on a ensuite eu des rafraîchissements liés aux orages en montagne. Depuis le 1er septembre, on est toujours au-dessus de la normale. Il faut donc retenir que la période déborde de l’été qui a commencé en mai et qui se termine en fait maintenant, avec des perturbations qui arrivent. On a été à 2,5 degrés au-dessus de la normale. Sur certaines microrégions, comme la Cinarca, le Sartenais, Ajaccio et le Fium’Orbu, on était même 4 à 5 degrés au-dessus des normales.  

Ces fortes chaleurs alliées à l’absence de précipitations ont aussi conduit à une sécheresse sévère ayant entraîné des mesures et des restrictions d’eau... 

Évidemment. Cependant, la sécheresse qu'on a vécue cet été est due au fait que les précipitations depuis janvier et jusqu'à fin juillet ont été 50% inférieures à la normale. Heureusement, la sécheresse s'est finalement interrompue en août où on a eu beaucoup de pluies sur les reliefs. Ce que je retiens, c'est donc une chaleur continue, une absence de précipitations exceptionnelles depuis le 1er janvier et une sécheresse très sévère en début d’été. Finalement, elle était en-dessous de celle de 2017 où l’on n’avait pas eu ces précipitations au mois d’août et qui avait continué en septembre.  

Malgré ces conditions météo, à l'inverse de la Gironde ou du Var,  il n’y a pas eu cet été de très gros incendies dans l’île (le plus important a ravagé 450 hectares dans le Nebbiu). Au 13 septembre, 1651 hectares ont brûlé en Corse depuis le début de l'année. En 2003, année de la canicule, on était à plus de 23.000 sur 12 mois. Comment l'expliquez-vous ? 

C'est sûr que les grands feux dépendent en partie des conditions météorologiques du jour : vent fort, humidité de l'air, stress hydrique de la végétation lié aux sécheresses... Donc, quand ces conditions sont réunies, effectivement, si le feu démarre, il est très difficile de lutter contre et il a tendance à s'étendre. Mais les incendies ne dépendent pas uniquement que des conditions météorologiques. Sur la Corse, cette année, on a certes eu une sécheresse précoce mais on a eu un mois d'août qui a été très arrosé et qui l’a interrompue. Il faudrait regarder les statistiques mais c'est très souvent au mois d'août que les gros feux démarrent dans l’île, quand le stress hydrique de la végétation est à son maximum. D’ailleurs, on a même eu des feux tardifs.

Ensuite, il faut saluer le travail admirable des services de lutte contre les feux de forêt avec des pompiers qui mènent une politique d’intervention dès le feu naissant qui est efficace. Ça n’empêche cependant pas le risque de grands feux. Si dans le futur, on rencontre des sécheresses sévères comme celle-là, forcément le risque des feux de forêt va augmenter.

Le 18 août dernier, la façade occidentale de l’île était balayée par une tempête d’une rare violence causant la mort de cinq personnes. Est-elle forcément liée au réchauffement climatique ?  

On appelle ça tempête mais, en fait, c'est une ligne de grains, c’est-à-dire une ligne orageuse avec des cellules très, très grandes dans l'espace et avec des mouvements verticaux à l'intérieur très violents. Ces lignes de grains ont toujours existé dans l’île. Le 18 août 1948, il y en avait déjà eu une sur la région ajaccienne. Plus récemment, le 14 octobre 2016, on avait assisté au même phénomène lors de la manifestation de la Marie Do sur la place Miot d’Ajaccio.

Concernant l’épisode du 18 août dernier, je vais m'exprimer avec réserve car il y a une enquête en cours. En revanche, ce qui est pratiquement certain, c'est que la proportion de lignes de grains plus intenses va augmenter. Ce n’est pas la fréquence qui va augmenter mais l’intensité du phénomène. Ces lignes empruntent des trajets maritimes et accumulent des énergies sur une mer Méditerranée de plus en plus chaude. Cela va créer de plus en plus de "carburant" pour ces événements. C’est ce que nous dit le changement climatique. Oui, la proportion des événements extrêmes va augmenter. C'est d'ailleurs la même chose pour les cyclones.

Un article du journal Le Monde indique qu'il y a un différentiel de 11.000 décès supplémentaires en France entre le 1er juin et le 22 août 2022 par rapport à la même période en 2019 (avant le Covid). Selon l’INSEE, cette surmortalité pourrait s’expliquer par la vague de chaleur survenue cet été. Qu’en pensez-vous ?

Avant tout, il faudrait, je suppose, essayer de déterminer l'origine des décès. Il est donc difficile de répondre si cela est lié au changement climatique ou à la chaleur de cet été. Après, si on consulte Santé Publique France, on sait que les canicules augmentent le taux de mortalité. Lors des événements extrêmes, il peut y avoir des victimes comme le 18 août dernier. L’été, je pense que la chaleur est le facteur le plus influent sur la santé humaine. Mais il ne faut pas oublier qu'il y a aussi la pollution. En Méditerranée, il y a 500.000 morts par an à cause de la pollution.  

Chaleur et pollution sont d’ailleurs souvent liées...

Absolument. Quand il y a des conditions de fortes chaleurs, cela signifie que l’on est très souvent en anticyclone. Par conséquent, on se retrouve avec des masses d'air pesantes qui ne diluent pas les polluants d’origine anthropique sur une épaisseur de l’atmosphère importante.

Effectivement, les canicules sont des conditions aggravantes même s’il y a aussi les émissions de polluants. Si on les diminue, il y aura moins de victimes. Là, sur ces chiffres-là, il est difficile de relier ça au réchauffement climatique. On peut lui attribuer beaucoup de choses mais il faudrait faire une étude plus précise, notamment voir en fin d’été la part de mortalité due aux fortes chaleurs sur le Continent et en Corse.

D’aucuns ont qualifié l’été 2022 d’historique en termes de hausse des températures et de sécheresse. Autant de phénomènes qui sont amenés à se répéter de plus en plus régulièrement ?

On peut effectivement dire qu’il a été historique. Après, on a l'impression que nous avons attendu cet été 2022 pour constater le dérèglement climatique. Mais on voit bien que des phénomènes similaires se sont déjà produits par le passé. Par exemple, la sécheresse de 2017 avait été plus sévère que celle de 2022. La canicule de 2003, qui a duré longtemps et fait 15.000 morts en France, était néanmoins moins intense en Corse que celle de 2017 qui a duré moins longtemps.

En définitive, le constat de cet été, on aurait déjà pu le faire depuis 2015 où le mois de juillet avait été le plus chaud jamais observé en Corse. Il est désormais à égalité avec juillet 2022. Tout ça pour dire que dans l'île comme sur le Continent le dérèglement climatique a débuté depuis bien longtemps. Il s'accélère.

Depuis quand ?

Depuis une dizaine d'années, si on fait attention, il y a beaucoup d'événements qui le confirment. Cet été, c'est peut-être plus marquant car il y a eu ces feux catastrophiques dans les Landes, ces épisodes caniculaires sur le Continent. Mais, effectivement, et c’est le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui l’annonce, nous allons vers des étés plus chauds, vers des sécheresses plus intenses, vers une augmentation de la fréquence des événements avec de très fortes précipitations. C’est certain. 

Selon le Giec, le climat s’est déjà réchauffé de 1,1 degré et il faut limiter à 1,5 degré. Mais quoi qu'on fasse à partir de maintenant, ce seuil-là sera probablement franchi à l'horizon 2035. La température sera la même quel que soit le scénario d'émissions de gaz à effet de serre.

En Corse, certaines microrégions seront-elles plus impactées que d’autres par ce dérèglement ?

Cela va dépendre des phénomènes météorologiques. Ce qu'annonce le GIEC, ce sont les événements composites, ceux qui vont mêler le vent fort, la pluie, les inondations et les submersions marines.

Pour les submersions marines, ce sont forcément les villes côtières qui y seront très exposées. En 2018, la tempête Adrian avait causé d’importants dégâts sur le littoral à Bastia, Erbalonga et Ajaccio. Les épisodes de submersions marines sont très documentés par le GIEC. À l’horizon 2040, la fréquence pourrait-être annuelle.

Concernant le climat de l'île, il va changer dans son fonctionnement. Cependant, les régions déjà exposées aux inondations, comme la côte orientale, vont sans doute continuer à être très touchées. Mais aucune région de Corse ne sera épargnée. Pour la chaleur, forcément, les villes y seront davantage confrontées car l’ilot de chaleur urbain s’ajoutera. Quant à la canicule, aucune endroit ne sera là aussi épargné sauf qu’elle sera plus difficile à supporter en ville.  

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