Durant 3 ans, la troupe menée par Guy Cimino, en partenariat avec France 3 Corse, a créé une émission de près d'une heure qui passait la Corse à la moulinette. Et laissait une place de choix aux parodies du journal télévisé insulaire.
Pendant de longues années, le présentateur vedette du Corsica Sera c'était Jacques Bastianesi. Mais entre 1995 et 1997, quand vous allumiez France 3 Corse,vous pouviez tomber sur Jacques Ajaccionesi, Jacques Sartenesi, Jacques Ajaccionesi, Jacques Cortinesi, et parfois, lorsqu'il n'était pas de repos, Jacques Ileroussenesi.
5 présentateurs, et un seul visage, celui de Daniel Parigi, créateur, avec la troupe du Teatrinu, de l'émission I Storti, sur l'antenne de France 3 Corse. Durant trois ans, ils se sont livrés à un exercice compliqué, celui de la parodie, à l'usu nustrale, du journal du soir, le vrai. Et à travers lui, à une critique tour à tour tendre, ironique et acerbe de la société corse de l'époque.
Macagna
"C'était un drôle de personnage, Daniel", se rappelle Jacques Bastianesi avec une certaine émotion. "C'était un des premiers humoristes à faire son apparition, avec Teatru Mascone, qui avait aussi fait une pastille, un peu plus tôt, sur notre antenne. C'était la grande époque de la macagna. Et ils ont fait entrer l'humour à la télévision, et de quelle manière. On ne parlait pas que des catastrophes et de l'actu, à l'époque. On essayait aussi de rire un peu".
Jacques Bastianesi, qui était en premier ligne, dans les parodies, a toujours pris ça avec humour, et même encouragé la troupe. "Il y avait une vraie liberté de ton, mais au-delà de ça, il y avait surtout une vraie affection dans les couloirs de France 3, entre la rédaction et les Storti. Tout le monde était solidaire. C'était une ambiance magnifique, liée à une certaine époque".
Hè mortu Bartolitz. Ch'ellu crepi !
Les Storti
Les autres visages de la chaîne ne sont pas épargnés ! Angelina Risterucci estdevenue Angelina Reste Cruche, spécialiste des sujets d'art contemporains incompréhensibles, François Cristiani s'est transformé en François Di e Ghjuche, fin linguiste à la faconde débordante et aux sandales omniprésentes, et Pierre-Jean Luccioni s'appelle désormais Pierre-Jean Paglietta, moustache au vent...
Et comment oublier Charles Frigara, ou plutôt Charles Friportu, redoutable analyste politique "né il y a quelques années, entre des lunettes et un pot de brillantine".
Affection
Si tout le monde, aujourd'hui, parmi les anciens, loue les qualités des parodies des Storti, à l'époque, quelques égos ont parfois été malmenés, et quelques dents ont pu grincer. Mais Marie-Ange Geronimi, qui faisait partie de la troupe, confirme que l'ambiance était bonne : "pour un sketch, j'imitais Angelina Risterucci, et je n'arrivais pas à faire sa voix. Au final, c'est elle qui a fait sa propre voix dans la parodie, en lisant le texte moqueur qu'on avait écrit ! Il y avait un esprit formidable".
La comédienne réfléchit un instant, avant de résumer : "on l'aimait, notre télé. On les aimait, nos animateurs. On les macagnait, et c'est dans l'ordre des choses, de macagner les gens à qui l'on tient".
Guy Cimino, qui a été l'un des instigateurs du programme, se souvient de François Cristiani, qui était connu sous le nom de Joseph Castellani à l'antenne. "Il était mort de rire, il nous disait de foncer, de faire tout ce qu'on voulait. Et pourtant, on ne l'épargnait pas !"
En trois ans, six émissions de 50 minutes ont été livrées aux Insulaires, ravis de l'aubaine. Et pour celles et ceux qui avaient l'âge d'être devant leur écran, en Corse, dans les années 90, des répliques telles que "Hè mortu Bartolitz, ch'ellu crepi !" restent aussi immortelles que le "Ca ne nous regarde pas !" de la Télé des Inconnus...
Liberté... et système D
François Berlinghi a lui aussi fait partie de l'aventure. Et quand on lui demande de partager ses souvenirs, son visage s'illumine. "Quelle époque formidable. Guy Cimino, Daniel Parigi, Dominique Gambini, ils avaient une imagination... Ils inventaient de ces trucs... "
Tout restait à faire, et la joyeuse équipe n'avait aucune pression. "Ca n'avait rien avoir avec ce que l'on peu ressentir avant de rentrer sur scène. C'était comme un jeu, vraiment. On se déguisait, une fois on était des hommes préhistoriques, la fois d'après des chevaliers qui partaient en croisade... On avait une liberté incroyable. On n'avait aucune expérience de la télé, on venait tous du théâtre. Au début on avait peu de moyens, il fallait improviser, trouver des solutions, et c'est parfois de là que venaient les idées les plus folles !"
Personne n'était au courant de ce qu'on faisait, les journalistes parodiés encore moins que les autres.
Fifi Raffalli, réalisateur
Ils s'appuyaient aussi sur un réalisateur, Fifi Raffalli, qui, lui, connaissait le métier, et pour qui les Storti restent "le meilleur souvenir" de sa carrière. Il se rappelle d'une émission qui a en grande partie reposé sur le système D et la débrouille. "Dédé Stefanaggi, le patron de l'époque, nous avait dit "je vous dégage un créneau, faites ce que vous voulez !" On organisait les tournages comme on pouvait, on tournait en équipe légère, Dédé débauchait des cameramen de la rédaction..."
Celui qui, encore aujourd'hui, est à la console, en régie, à France 3 Corse, se rappelle de la première émission, diffusée à Noël 1995. "Personne n'était au courant de ce qu'on faisait, les journalistes parodiés encore moins que les autres. Ils savaient qu'on préparait un truc, mais ils ne savaient pas qu'ils allaient en être les personnages principaux. Ils l'ont découvert à l'antenne !"
Quoi qu'il en soit, il n'aurait pas pu en être autrement. "On s'était enfermé durant trois jours avec Daniel Parigi, en salle de montage, et on a travaillé jusqu'à la dernière minute. L'émission était prête quelques heures à peine avant sa diffusion. Et ça a surpris tout le monde", éclate de rire Fifi.
Vintage
Des décennies après, l'effet de cette première émission de divertissement sur l'antenne de France 3 Corse se fait encore ressentir, même chez celles et ceux qui n'étaient pas nés à l'époque où Jacques Bastianesi présentait le Corsica Sera...
"Si vous saviez le nombre de jeunes, aujourd'hui encore, qui nous disent qu'ils sont tombés sur les Storti par hasard, et qu'ils se sont régalés", confie François Berlinghi, presqu'incrédule. "Ils me ressortent des expressions, des citations de l'époque..."
De quoi, peut-être, avoir envie de retenter dans l'aventure ? "Je ne sais pas si on pourrait encore le faire, sincèrement. Aujourd'hui il y a beaucoup plus de barrières, de bornes, de codes télévisuels... On n'aurait pas la même liberté, ça c'est sûr".
Pas de Storti en 2022... L'humour y a perdu au change, mais on connaît certains journalistes au sein de notre rédaction qui ont dû pousser un "Ouf" de soulagement !
Mais qu'on ne se sente pas pour autant à l'abri. Guy Cimino, invité avec une partie de la troupe sur le plateau du dernier numéro de L'Ochjata, a laissé entendre que pour sa part, il suffisait qu'on le lui propose !