Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : compter pour passer le temps

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées de confinement. Ce jeudi, elle aborde son rapport au bruit et au temps. 

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► Pour retrouver les chapitre 7 : 

  • Chapitre 8 : Une histoire de temps…


« Un escargot sur ma terrasse… tiens, je vais le suivre !».

J’ai pas trouvé mieux. Pas trouvé mieux que cette phrase volée à une autre confinée pour parler de mon temps du moment. Mon amie a le bon mot facile. Et un truc avec les bestioles. Son temps de confinement elle l’a passé, jusqu’à présent, à chasser la nidation de frôlons (et un peu le bourdon), à traquer l’escargot (de même que « baver » devant des sucreries ?) et je suis certaine que, d’ici la fin de ce cloisonnement forcé, elle aura eu affaire aux fourmis, problèmes récurrent dans sa maison chaque année… en été !

 

Non, ce n’est pas du pessimisme, juste une valeur sur l’échelle de Richter de mon horloge intérieure : jour de cloisonnement 10, ressenti, 40. Vous voyez qu’à cette allure, on  arrive vite à la période estivale. Et donc aux fourmis.
Les mêmes que celles que j’ai dans les jambes en ce moment, gambettes fatiguées de leur promenade récurrente de la chambre au salon.
 

Je les ai comptés


Neuf pas, je les ai comptés. Ben, oui, en même temps, je n’ai plus que ça à faire, compter. Comme lorsque ma voisine d’en face – pas ma voisine de palier, ma voisine de l’immeuble d’en face – m’a dit, ce mardi, qu’elle ne sortait plus depuis dix jours (elle a commencé le confinement d’elle-même avant l’heure) parce qu’elle avait peur, avant de rajouter fièrement (elle a près de 80 ans): « par contre, je monte et descends les escaliers sur quatre étages, quatre fois, quotidiennement ».

 

En temps « normal », je me serais contentée de penser, « Ah, c’est bien ! », un « ah, c’est bien ! » d’ailleurs formulé à haute voix en guise de commentaire dans cette discussion au balcon. Mais dans le contexte actuel, bizarrement, est venu se rajouter, « j’espère qu’elle ne frotte pas trop sa main sur la rambarde », aussitôt suivi d’un, « donc, elle ne sors plus depuis dix jours… si l’on va jusqu’à la fin de la semaine et que l’on rajoute les cinq semaines de confinement supplémentaires qui nous sont promis, elle aura monté et descendu les marches, combien de fois ?...». J’ai fait le calcul mais je garde le résultat pour moi, je ne voudrais pas vous priver d’exercice mental en plus du reste !

 


Je compte, donc. Les jours notamment. C’est pas que j’en aie vraiment envie mais juste que j’y suis obligée. Pour ne pas m’embrouiller, j’enregistre mes papiers en jours : « Jour 1 », « Jour 2 »…. « Jour 9 », aujourd’hui. Non, je ne me suis pas trompée, j’ai commencé à écrire en décalage d’une journée, j’avais intitulé la première page de mon journal, « Le jour d’après » (vous sentez comme j’essaie de faire travailler votre mémoire en même temps que la mienne ? Une vraie solidarité de confinement).

Finalement, heureusement que j’effeuille ce calendrier imaginaire, parce que, en vérité, j’ai l’impression d’avoir perdu mes repères spacio-temporels. J’avais d’abord écrit « spacio-temporaires », la blague. « Aujourd’hui, nous sommes, nous sommes… ». Il faut que je réfléchisse un peu avant de répondre « jeudi ». Je me suis rendue compte que mon cerveau buggait. Qu’il ne trouvait pas ses marques. « Depuis que mes enfants ne vont plus à l’école, j’ai l’impression que c’est tous les jours dimanche », m’a dit dernièrement une amie.

 

Bizarrement la phrase a fait résonnance dans ma tête. Je n ‘ai pas d’enfants, donc pas ce repère en terme de quotidien, par contre, cette réflexion m’a ramenée aux bruits de la vie. Oui, je sais, cette réflexion mérite une explication… pas d’inquiétude, elle va suivre.
 

Le chant des oiseaux


Même en hiver, je dors la fenêtre entre-ouverte, c’est une habitude. En plus de la lumière, les bruits naissants de la ville me réveillent chaque matin.

D’abord le chant des oiseaux, surpassés souvent par les cris des goélands d’Audouin. Avec l’aube vient aussi le fracas des containers à poubelles bougés par les éboueurs effectuant leur tournée. Puis, les premières voitures, vacarme de moteur qui va grandissant.

 

Un peu plus tard, les murmures des gens dans la rue et les rires des enfants à l’heure de l’école viennent s’y mélanger. Une grande symphonie qui connaît son « allegro » aux heures de pointe. Forcément, mon cerveau s’est habitué à tous ces bruits comme autant de repères. Or, depuis dix jours, en plus du cloisonnement, il a perdu ces points d’attache qui donnent, à leur manière, une notion du temps, entraînant par la même toute la mécanique des reflexes inconscients.

Je vous parlais, non sans raison, il y a quelques jours de ce « silence assourdissant ». Clairement, les premiers jours de confinement, je ressentais la même sensation que lorsque, dans ma jeune vie d’adulte, je sortais de boîte, retrouvant le silence après m’être saoulée de bruit. La semaine dernière, je pouvais ressentir les mêmes picotements d’acouphènes dans mes oreilles, par la seule disparition des bruits de la ville. Je ne sais pas si je dois dire « je souffre » ou « je suis dotée » d’une hypersensibilité auditive. Du coup, je dois m’y rattacher à ces repères auditifs - et de manière accrue,- alors, mon cerveau est perdu… le temps d’en trouver de nouveaux (de repères).
 


Le temps c'est le bruit


On revient donc au « temps ».  Qu’est-ce que le temps, d’ailleurs ? « Si personne ne me le demande, je le sais.  Mais si on me le demande et que je veuille le définir, je ne sais plus », disait St Augustin. Je lui accorde le bénéfice du doute, mais l’adage dit qu’il vaut mieux se vouer à Dieu qu’à ses Saints, j’attendrai que Dieu confirme ma version (mais plus tard) : le temps, c’est le bruit (et dire que je ne me sens jamais mieux que dans le silence). Du coup, merci vraiment, les gens, de taper sur vos casseroles chaque soir à 20h aux fenêtres : cela me donne de nouveaux repères.

 

Petit bémol toute fois : les fils de Dieu ont bien failli me trompée, hier, en faisant sonner leurs cloches une demie heure plus tôt que le rendez-vous de la rue. Et dites, les autorités laïques cette fois, la sirène qui retentit chaque premier mercredi du mois, on ne pourrais pas l’instituée en « bruit »  du midi  le temps du confinement? Ça m’aiderait un peu à situer la mi-journée, merci…

Bon, je vais finir par me faire sonner les cloches à écrire tant de bêtises. Vouloir damner le pion à St Augustin, non mais !  J’ai une bonne raison en fait : je voulais faire valoir l’idée que (en l’absence de bruits), je n’avais pas le temps. Pas le temps de faire mon lit, pas le temps de classer la paperasse en retard, pas le temps de ranger mes placards, pas (eu) le temps de rappeler Jean-Côme, André et Léa. Pas le temps de perdre du temps en futilités comme compter le nombre de torchons et de cuillères que j’utilise dans une journée… ah si, tiens, c’est bizarre, pour ça,  j’ai le temps… CQFD !
 


Bon, comme on en est, désormais, aux choses essentielles de la vie, j’ai donc demandé à mon amie de prendre en photo son escargot (l’escargot qu’elle voulait suivre)  afin que vous puissiez en profiter aussi. « Une jolie photo, dans l’herbe », j’ai dit, pour le côté bucolique. Elle m’a répondu, « je peux pas, il court trop vite ! ».

Vous voyez, elle aussi elle n’a pas eu le temps

#StateInCasa





 
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