Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées de confinement. Ce dimanche, elle nous partage sa recherche de lumière et de brosse à dents électrique.
►Pour retrouver les chapitre 4 :
Chapitre 5 : brosse à dents électrique et lumière ...
Ma brosse à dents électrique est tombée en panne. Une nouvelle qui a sonné comme un coup de tonnerre dans la journée de samedi. En plein confinement, comme ça, sans prévenir.
Le désarroi m’a prise au petit matin à cause d’une simple brosse à dents. C’est aussi à ce moment-là que j’ai réalisé que j’avais des poils aux pattes. Heureusement, j’ai une amie qui trouve toujours la bonne formule pour vous rassurer : « T’inquiète, c’est un devoir citoyen, aujourd’hui, d’avoir du poil aux pattes ! ». Ça m’a fait marrer.
En fait, heureusement que j’ai mes amies pour me faire marrer. Il y a celle qui m’a appelée, samedi, en milieu de matinée, pouffant de rire au téléphone. Depuis la veille, son compagnon la tannait avec le système d’arrosage de la maison. Une insistance non appropriée, puisque, loin des grandes chaleurs, il avait largement le temps de s’en préoccuper. Avec un peu de recul, elle venait de comprendre : le chirurgien vasculaire qu’il est dans la vie trouvait là le moyen de réparer des « tuyauteries » malgré le confinement et la mise en sommeil des opérations non urgentes ! « Je t‘envoie la photo », m’a-t-elle lancé en riant.
Je n’avais pas résolu pour autant mon problème de brosse à dents. Mais qu’était mon problème de brosse à dents quand je voyais sur Facebook qu’une copine se trouvait confrontée à une panne de machine à laver ! Taper à la porte du voisin en disant, « solidarité, je vous amène mon linge sale », l’idée m’a beaucoup fait rigoler. Je ne faisais qu’attaquer ma journée !
Mettre de la lumière dans tout
« Imagine, en fait, la Terre secrèterait ses propres anticorps contre nous, les humains, et le coronavirus ne serait justement qu’une des manifestations de son système immunitaire… non, parce qu’elle respire beaucoup mieux, sans nous, la planète, non ?». On changeait de registre avec ma copine sophrologue mais pas de réalité. Pas celle à laquelle on essaie désespérément d’échapper depuis quelques jours.
Comment ? En mettant de la lumière dans tout. C’est ma collègue, Maia Graziani, qui me l’a fait réaliser en deux dessins. Je ne savais pas que Maïa dessinait. On se côtoie mais on ne se connaît pas toujours en vérité.
La lumière, celle qu’on a à l’intérieur, en un coup de fil, j’ai compris que, en même temps que le sourire, d’autres la perdaient. J’ai eu au téléphone mon ami qui bosse dans la grande distribution. Ce n’est pas son métier premier, mais il aide chaque jour au drive une partie de la journée. « Si les cadres ne montrent pas l’exemple, ça n’a pas de sens », m’a-t-il dit, conscient des incidences possibles de la situation sur la vie de ceux qui continuent de travailler.
Le caprice d’une confinée ?
Lui, ne voit plus son fils, « parce qu’on ne sait jamais ». La foule des supermarchés - comme tous ses collègues - il l’a côtoyée de près. Il m’a dit, « J’ai vu sur les réseaux sociaux qu’un copain demandait si une personne avait les moyens de lui faire passer un puzzle de 1.500 pièces. Je vais lui en récupérer un au magasin. Et ne t’inquiète pas, je te récupère aussi une brosse à dent électrique ». M’inquiéter ? Pour le caprice d’une confinée ?
Deux heures plus tard, je recevais la photo de toute la gamme des brosses électriques (je ne savais qu’il y en avait autant en supermarché !) afin de faire mon choix. C’est là que j’ai senti que ce « caprice » lui allait bien.
Parce qu’au fond, cela constituait la normalité de nos rapports dans une réalité qui avait changé. Un peu comme l’appel de fond du syndic que j’avais reçu le matin même, au milieu d’une foule de mails de mes prestataires de service habituels qui se fendaient de leur propre verbiage pour me prier de prendre soin de moi. La vie, la vraie, se reconnaît aux habitudes qu’on ne perd pas.
J’ai donc choisi ma brosse à dents, avant de rajouter dans ma commande une « pierre d’Alun ». Là, il m’a carrément appelée : « mais je la trouve dans quel rayon ta pierre d’Alun ?! ». Ben, celui des déodorant roll-on, voyons, en général, c’est posé juste à côté ! « Ok, je passe plus tard te déposer tout ça au pied de ton immeuble. Tu te désinfectes bien les mains après, hein ?! ». Et, en plus, c’est lui qui s’inquiétait…
Mon autre copain JD
A vingt heures, mon ami n’était toujours pas passé, et, impossible de vous dire pourquoi, j’ai raté la sortie au balcon. Ce qui me l’a fait réaliser, c’est la vidéo envoyée par mon autre copain JD (NDRL : pas celui du dessin d’hier, un autre, un peu plus grand). Lui aussi travaille. Il est embarqué sur le Monte D’Oro, bateau de la Corsica Linea qui assure le transport de fret en ces temps perturbés.
Le navire est amarré, le temps du week-end, dans le port d’Ajaccio, avant de reprendre les rotations assurées en semaine. L’équipage n’a pas le droit de mettre pied à terre. « On est soudés tu sais. Et conscients que, nous aussi, on a notre rôle à jouer dans ce qui se passe et que, pour ça, on n’a surtout pas le droit de tomber malade. Du coup, à bord, on oscille entre fierté et inquiétude. Inquiétude pour nos familles, mais fierté de servir à quelque chose ». Le lieutenant de marine marchande qu’il est venait de me faire parvenir la vidéo de la participation de l’équipage aux manifestations quotidiennes de soutien aux soignants. Le son d’une corne de brune qui accompagne les « hourras » sur les balcons. La lumière dans le noir.
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Cette même lumière qu’on voyait de ce moment de communion dans le dessin de Maïa. Une communion qui, en soirée, recevait en réponse une photo de personnels soignants réunis sur l’héliport de l’hôpital d’Ajaccio. Ils brandissaient entre leurs mains une banderole : « merci du soutien ». Des fois, une image parle mieux que les mots. On en parle de ce frisson qui vous étreint?
Mon ami est finalement venu déposer la brosse à dent. Il avait les traits tirés et je n’ai réussi à lui soutirer qu’un sourire discret. Nous nous sommes parlés quelques secondes de voiture à trottoir. Je l’ai trouvé marqué par les événements. Parce que le vrai coup de tonnerre, ce n’est pas une brosse à dent qui tombe en panne un jour de confinement. Le coup de tonnerre, c’est que nous sommes en guerre.
Et aujourd’hui, c’est l’arrivée d’un navire militaire - le bien nommé - qui nous le fait réaliser…