Le 5 mars 2020, les tout premiers cas de Covid-19 étaient décelés dans l'île. Le 13 mars, Georges Betti était admis à l'hôpital d'Ajaccio dans un état préoccupant. Après avoir passé douze jours dans le coma, il a été le premier patient touché par le virus à quitter le service de réanimation de la Miséricorde. Trois ans après, il revient sur la douloureuse épreuve qu’il a affrontée et traversée.
"Il n’y a pas un jour où je n’y pense pas."
Assis à une table du club de tir de Porticcio dont il est le président, Georges Betti n’a rien oublié de ce mois de mars 2020.
"Je suis rentré en réanimation le vendredi 13, précise-t-il. C’est mon chiffre porte-bonheur ; si je n’étais pas rentré ce jour-là, peut-être que je ne serais plus ici aujourd’hui", lâche dans un petit sourire l’homme désormais âgé de 60 ans.
Trois ans après avoir été frappé de plein fouet par une forme grave du Covid-19, il se "souvient de tout". Notamment de sa sortie du coma, douze jours après y avoir été plongé par les docteurs. Il sera d’ailleurs le premier rescapé de la maladie à quitter le service de réanimation de l’hôpital d’Ajaccio.
"Les médecins n’arrivaient pas à me sortir du coma. Quand je me suis finalement réveillé, je ne savais pas où j’étais. Je me suis demandé comment j’avais atterri ici. Je me suis dit que j’avais dû passer par le toit... C’était tellement confus. Après, je vous assure que les premiers temps ont été très durs à vivre sur un plan personnel. Il y avait aussi plein de cas graves partout. Beaucoup de choses sont restées, je ne les oublierai jamais. Ce n’est pas possible…"
D’autant que son père est décédé du coronavirus le 9 mars, quatre jours avant que Georges Betti ne se retrouve en réanimation.
"Au début, on ne savait pas que c’était le Covid, raconte-t-il d'une voix voilée par l’émotion. Mon père a été hospitalisé. Ils ont commencé à le soigner mais il est décédé une semaine après à l’âge de 89 ans. S'il n'y avait pas eu le Covid, il serait toujours là... Quelques jours plus tard, sa compagne est également décédée du coronavirus. Je ne l’ai appris que lorsque je suis sorti du coma", confie-t-il, tout en ayant également une pensée émue pour Antoine Guidicelli, l'ancien président du club de tir. "Il est lui aussi mort en 2020, début mars. On suppose que c'est le Covid..."
Pendant ses douze jours de coma artificiel et son combat pour ne pas mourir, Georges Betti n’a vu "aucun tunnel".
"Un médium m’a même téléphoné pour me demander si j’avais vu le passage. Je n’ai vu aucun passage du tout, ni le bon Dieu, ni personne. J’ai seulement vu que j’étais sur une montagne en train de regarder une ville au loin ; je suppose que c'était Ajaccio. Je pense que l’âme doit à ce moment-là aller quelque part. Par la suite, en posant des questions à mes proches, j’ai un peu analysé le rêve que j’avais fait pendant le coma. J’étais en train de partir. Du moins, je l’ai un peu vécu comme ça…"
"Surtout au niveau du cerveau"
Chez cet ancien commerçant qui a tenu un magasin de fruits et légumes sur la rive sud du golfe d’Ajaccio, les séquelles sont "surtout psychologiques".
"Physiquement, explique-t-il, j’ai repris assez vite. Après une grosse vingtaine de jours à l’hôpital, j’ai fait deux semaines de convalescence au Finosello. Les médecins m’avaient dit que mes poumons étaient dans un sale état. J’ai fait un peu de rééducation tout seul. Je retirais le respirateur de mon nez pour aller "en apnée" dans la salle de bain. J’avais 57 ans et j'étais une personne en bonne santé : pas d’alcool, pas de tabac, pas de problèmes cardiaques, pas de diabète ni de cholestérol. Ça a dû m'aider à retrouver la forme assez rapidement…"
Et d’ajouter, les yeux quelque peu humides : "c’est surtout au niveau du cerveau que ça a été dur."
"Là, je n’ai aucune séquelle si ce n’est peut-être que j’oublie parfois des trucs. Ce n’est pas non plus comme si j’avais la maladie d’Alzheimer, mais je pense que c’est dû à tout un ensemble de facteurs. Et le Covid y est sans doute pour quelque chose. J’ai lu que beaucoup de gens touchés par le virus ont des problèmes de mémoire. Peut-être aussi que le coma a aggravé cela…"
Ci-dessous, son témoignage après sa sortie de réanimation fin mars 2020 :
"Je regardais la télé dans ma chambre. On aurait dit la fin du monde."
Georges Betti
Lorsqu’il a pu quitter le service de réanimation pour une chambre d'hôpital, il se souvient avoir découvert un monde confiné et à l’arrêt.
"Je regardais la télé dans ma chambre. On aurait dit la fin du monde. Il y avait des images du Japon et de la Chine avec plus aucune personne dans les rues. C’était désert. Je me suis alors demandé si je n’étais pas devenu fou tellement ça paraissait improbable. J’ai même téléphoné à un ami pour lui demander si je n’étais pas dans un asile psychiatrique."
Solidarité et entraide
Comme il le faisait déjà lorsque nous l'avions interviewé à sa sortie du service de réanimation, Georges Betti parle toujours librement et sans tabou de la douloureuse expérience qu’il a dû affronter. Malgré tout, sa mémoire conserve aussi "quelques moments positifs" dans cette période trouble.
"Je n’ai aussi rien oublié de l’humanité des soignants, de la solidarité et de l’entraide qu’il y avait entre les gens à l’hôpital d’Ajaccio. On se soutenait tous énormément. On avait plaisir à se mettre à la fenêtre pour écouter le bateau klaxonner quand il rentrait au port et passait devant l’hôpital. Quand j’étais à la maison de repos du Finosello, on se mettait à la terrasse pour écouter une personne jouer de l’harmonica dans l’un des immeubles à proximité. Les êtres humains s’étaient un peu plus rapprochés. Maintenant, c’est reparti pour un tour, ce n’est plus pareil…", regrette-t-il, avec une pointe d'amertume.
Aujourd'hui, il souhaiterait voir davantage les rescapés du Covid dont il fait partie échanger entre eux. "On pourrait essayer de se réunir dans la région ou par le biais des médias afin de donner nos impressions sur ce qu'on a vécu."
"Je ne compte pas me faire vacciner."
Georges Betti
Depuis le printemps 2020, le président du club de tir de Porticcio n’a plus jamais contracté le virus. Et ne vit pas dans la crainte.
"Je ne suis pas vacciné et j’ai pourtant été j’ai été en contact avec des personnes qui l’ont eu. Mes anticorps étaient plus forts. Là, ils ont un peu baissé mais ils sont encore bons. Mon frère a eu le Covid en même temps que moi. 3-4 mois après, il n’avait plus d’anticorps et a été obligé de se faire vacciner. Après, ce sont des polémiques. Certains sont pour, d’autres contre. Moi, je ne compte pas me faire vacciner."
Même s’il ne se passe pas un jour sans qu’il ne pense à l’épreuve qu’il a endurée il y a trois ans, Georges Betti affirme "se sentir bien".
"Le fait de m’occuper du stand de tir me fait du bien. Je vois des gens, je pratique ma passion. Je continue également à faire des compétitions", indique celui qui a notamment participé au championnat de France de tir. Et de son propre aveu, le Covid n’a en rien altéré son habileté. "Je tire pareil qu’avant", assure-t-il avec le sourire.