Commission d'enquête sur l'assassinat d'Yvan Colonna : "A Arles, le système de surveillance vidéo des salles d'activité était très peu regardé. Voire jamais".

Corinne Puglierini et Marc Ollier, les deux derniers directeurs de la maison centrale d'Arles, sont auditionnés durant l'après-midi à l'Assemblée nationale par la commission d'enquête présidée par Jean-Félix Acquaviva.

 L'intitulé de l'audition du jour est le suivant : "dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'Arles"

En clair : les débats du jour ont pour but de mieux comprendre ce qui a pu permettre l'assassinat d'Yvan Colonna, ce 2 mars, par Franck Elong Abé, à travers l'audition de Corinne Puglierini et Marc Ollier, les deux derniers chefs d'établissement de la maison centrale d'Arles. 

La première, durant la majeure partie de la période qui intéresse la commission. Elle en est partie en février 2022, quelques jours à peine avant l'agression mortelle d'Yvan Colonna par Frank Elong Abé. Le second, lui, venait de prendre ses fonctions au moment du drame. 

Zones d'ombre

Laurent Marcangeli, rapporteur de la commission d'enquête, rappelle en préambule : "nous sommes ici à la recherche de la vérité, des vérités sur les parcours de deux hommes détenus, pour des raisons qu'on ne peut pas comparer, mais bénéficiaires, malheureusement pour Yvan Colonna et pour d'autres détenus en France, d'un statut de détenu particulièrement signalé, privatif d'un certain nombre de libertés, et pour la peine non adossé à certaines protections".

 La commission d'enquête devra, selon le député de Corse-du-Sud, "faire la lumière sur un certain nombre de dysfonctionnements, d'erreurs, de manquements, commis par des femmes et des hommes dans l'exercice de leurs fonctions, mais également sur les failles que le système porte en lui. Notre rôle de parlementaire est de les lister, de les cibler, et d'essayer d'apporter des réponses, parce que ce qui s'est passé, par delà les opinions politiques et les convictions, a suscité beaucoup d'interrogations et de questions. Nous devons faire en sorte pour que le moins de zones d'ombres persistent". 

"Omissions et dissimulations"

Jean-Félix Acquaviva, président de la commission, a pour sa part rappelé que madame Puglierini, comme Marc Ollier, son successeur, avaient déjà été entendus le 30 mars 2022, lors des auditions libres de la commission des lois.

Et que le député nationaliste, comme "de nombreux parlementaires" avaient été "désagréablement surpris de constater, à la lumière des conclusions de l'inspection générale de la justice, que la relativisation de certaines procédures, la dissimulation et le fait d'omettre, volontairement et gravement, selon moi, certains faits essentiels à la recherche de la vérité, avaient été une règle adoptée par les personnes auditées".

Un propos préliminaire qui laisse deviner la tonalité de l'audition à venir au moment où débute l'audition de Corinne Puglierini, peu avant 15 heures. 

Corinne Puglierini

Sans surprise, la première question, posée par le président de la commission, porte sur ces prétendues "omissions et dissimulations". "Est-ce que toutes les choses qui nous ont été masquées, je vais parler clairement, sont le fait de votre seule gestion ?  Ou bien avez-vous eu des instructions, de votre hiérarchie, ou au niveau politique, pour une gestion particulière du cas Elong Abé ? Et, en miroir, avez-vous eu des instructions du même type pour gérer le cas Colonna ?" 

Corinne Puglierini répond catégoriquement qu'elle n'a eu aucune instruction particulière. Avant de répondre, avec force détails, aux reproches émis par Jean-Félix Acquaviva, en compulsant l'imposant dossier étalé devant elle. Pour elle, il n'y a eu "aucune volonté de masquer le parcours disciplinaire de monsieur Elong Abé".

La cheffe d'établissement assume néanmoins sa part de responsabilité dans l'estimation erronée qu'elle a faite des signes de passage à l'acte envoyés par Franck Elong Abé. 

Laurent Marcangeli, pour sa part, ne comprend toujours pas comment on peut arriver à justifier qu'"après un tel parcours émaillé d'incidents assez graves, on autorise ce monsieur à avoir accès à un certain nombre d'endroits où d'autres détenus se retrouvent"

Un député de la commission d'enquête résume les interrogations qui affleurent au long de l'échange : "est-ce que vous estimez avoir eu des défaillances, à votre niveau personnel ? Et qu'aurait-on pu faire différemment ?"

L'ancienne responsable de la maison centrale d'Arles ne parle pas de défaillances, mais reconnaît qu'elle n'aurait pas agi de la même manière, à la lumière de ce qui s'est passé. "Je le transfèrerais, je demanderais une affectation plus rapidement... Mais à chaque échelon, après coup, personne n'agirait de la même manière"

quand on étudie le parcours disciplinaire de monsieur Elong Abé, c'était un parcours assez largement apaisé.

Corinne Puglierini

Lorsque Paul-André Colombani s'interroge, une nouvelle fois, sur le manque de signalisation de son comportement, pourtant clairement violent, Corinne Puglierini, en revanche, ne fait pas amende honorable : "quand on étudie son parcours disciplinaire, c'était un parcours assez largement apaisé. C'était une personne détenue qui avait beaucoup de mal a gérer sa frustration, qui était imbue de sa personne, c'est vrai. Mais pour autant ce n'étaient pas des signes annonciateurs d'un passage à l'acte. Beaucoup des gens qui sont en maison centrale passent en commission de discipline...Mais le comportement d'Elong Abé s'était amélioré par rapport à sa détention dans l'établissement précédent, même si, c'est vrai, il n'avait pas un comportement idéal, correct"

En ce qui concerne les rapports entre Yvan Colonna et Franck Elong Abé, leurs liens et les raisons qui auraient pu conduire au drame, Corinne Puglierini affirme qu'ils avaient "de très longues conversations", "durant les promenades", mais avoue son incapacité à répondre clairement. 

Marc Ollier

Marc Ollier était installé dans le bureau de chef d'établissement de la maison centrale d'Arles depuis moins de 24 heures lorsque Franck Elong Abé a agressé mortellement Yvan Colonna dans la salle de sport, ce matin du 2 mars 2022. 

La situation, et l'ambiance, sont un peu différentes de l'audition précédente, en toute logique. Marc Ollier ne peut être tenu responsable des événements qui se sont déroulés alors qu'il venait de rentrer dans ses nouvelles fonctions. "Je peux vous dire ce qui se fait aujourd'hui, depuis le 1er mars 2022. Mais avant, c'est très difficile"
Quand on lui demande ce qu'il pense de la manière dont les choses s'étaient passées avant son arrivée, il ne se réfugie pas derrière ces circonstances de temps : "après coup ce serait facile de vous dire qu'il ne fallait pas faire telle et telle chose. Aujourd'hui je pourrais le dire, mais très sincèrement, je ne sais pas ce que j'aurais fait dans la même situation". 

Les questions ont été plus générales que lors de l'audition de Corinne Puglierini, des questions portant sur les détenus radicalisés, les choses mises en place pour détecter leur dangerosité, la manière dont les détenus peuvent la dissimuler, sur les rapports entre DPS... 

Le système vidéo des salles d'activité était très peu regardé, voire jamais. Ca, c'est très clair.

Marc Ollier

Paul-André Colombani a essayé de comprendre comment personne n'a pu rien entendre de ce qui se passait dans la salle de sport. "Tous, gardiens et détenus, ont dit on n'a rien entendu. Et vues les personnalités, je peux vous dire que s'ils avaient entendu quelque chose, ils l'auraient dit". En ce qui concerne la surveillance vidéo, l'actuel chef de l'établissement a détaillé, une nouvelle fois, la situation à Arles, "où le système vidéo des salles d'activité était très peu regardé, voire jamais. Ca, c'est très clair. On ne peut pas demander à un seul agent de regarder 50 caméras à la fois. Ils n'ont pas les yeux de mouche".  

Le chef d'établissement en a profité pour faire savoir que sur les six recommandations du rapport d'inspection générale de la justice qui ont été adressées à la maison centrale d'Arles, pour corriger les errements de sa gestion, "cinq ont été d'ores et déjà mises en œuvre à 100 %, et la dernière, concernant la vidéo, demande des travaux d'importance, et une formation supplémentaire. Elle est est en cours de mise en place".  

Un sujet est revenu à plusieurs reprises, l'absence, durant de longues minutes, de l'agent qui avait emmené Franck Elong Abé jusqu'à la salle. Une absence soulignée par les conclusions de l'inspection, et qui reste inexpliquée. "Il a mis dix, douze minutes, pour passer. C'est la réalité. L'inspection ne se l'explique pas... Moi je pensais qu'il y avait un groupe de détenus sur l'aile droite, qu'on avait fait remonter, c'est ce qu'on m'avait dit. Mais ce groupe n'existe pas... Donc, voilà..."

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