Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées. Ce vendredi, elle nous parle de Juliette et des concerts qu'elle donne, la porte ouverte, pour ses voisins.
► Retrouvez le chapitre 23 :
Chapitre 24 : Le clin d’œil à Juliette…
Facebook dispatche vraiment ses informations n’importe comment ! A cause de cette mauvaise organisation, j’ai raté tous les rendez-vous de Juliette ! Mais pas ce soir. Non, ce soir j’y serai. Ce soir, j’ai « concert ». Avec Juliette !
« La porte ouverte »…
Juliette a décidé d’ouvrir sa porte tous les vendredis soirs à ses voisins. Elle ne les invite pas à rentrer, loin de là, elle les invite à écouter. Car, le rendez-vous est maintenant institué, la veille du week-end (mais ce mot là a-t-il encore un sens ?), elle se met au piano et elle chante, porte ouverte, afin que tout l’immeuble puisse en profiter.Le premier de ces petits concerts privés avait été annoncé par un mot affiché dans le hall d’entrée, près de l’ascenseur. Depuis trois semaines, il est institué. Vendredi dernier, quand Juliette a terminé de jouer, des applaudissements ont retenti dans la cage d’escalier, on me l’a raconté.
Je n’ai pas la chance d’être la voisine de Juliette mais la magie du réseau, c’est que papa filme en direct, retransmettant le moment via un live Facebook. Un chamallow de douceur dans ce drôle de quotidien. Pour sa troisième session, la jeune fille a chanté « les paradis perdus » (ndrl : en accès public sur la page de Juliette Lepage, morceau que je vous invite à écouter.)
Voyez comme on danse…
Je ne vous ai jusque-là pas dit grand chose de Juliette, mais j’y viens. Je l’ai connue il y a quelques années. On m’avait parlé de cette adolescente, aveugle de naissance, qui pratiquait le triathlon. J’avais demandé à la rencontrer avec sa maman puis m’étais invitée chez elles pour tourner une séquence du reportage en plus de la partie sport.J’ai ainsi découvert l’univers de Juliette. Un univers fait de musique, de lecture et d’esprit. Au cours d’une conversation, nous en sommes arrivées à parler de Jean d’Ormesson que j’avais rencontré. Elle m’a dit, «oh, j’aime beaucoup la voix de ce monsieur mais je n’ai jamais rien lu de lui, c’est un regret». Des fois, on croise des personnes à l’occasion d’un reportage puis on tisse des liens à côté. Ce fut le cas avec Juliette et sa maman.
La jeune fille m’avait beaucoup touchée et enthousiasmée, alors je me suis dit, «il faut que je lui fasse découvrir d’Ormesson !». Je me suis donc mise à chercher comment rendre l’idée possible.
J’ai fini par tomber sur la page d’un éditeur en braille et j’ai commandé l’un des seuls livres disponible de l’auteur. Il s’agissait de « Voyez comme on danse », si je me souviens bien (je poserai la question à Juliette). J’échangeais de temps en temps avec l’académicien, alors je lui ai demandé s’il voulait bien écrire le petit mot qui accompagnerait mon cadeau. Un petit mot à l’attention de la jeune fille que sa maman pourrait lui lire. Il a accepté.
Un petit oiseau…
Depuis, Juliette a grandi et a multiplié les projets : le GR20 pour ses 18 ans, juste avant de passer son bac, qu’elle a obtenu avec mention très bien, une chronique radio ( « le clin d’œil de Juliette »), un double cursus d’étude et d’autres expositions à venir… mais chut !J’ai vu Juliette hier. Avec sa maman, elle sont venues jusqu’à chez moi à pied de l’autre bout de la ville pour m’amener des masques en tissu. Elles ont une dérogation pour pousser un peu plus loin.
Car Juliette a une autre particularité. Elle est autiste Asperger. Autiste de haut niveau si vous préférez. Sa cécité, associée à cette autre différence fait que Juliette ressent tout plus fort que nous. Son enfermement à elle, elle a su en faire une ouverture.
Alors, quand après avoir annoncé sur twitter son envie d’aider un peu les gens à oublier leur quotidien morose en jouant de la musique, une personne lui a fait remarquer que c’était un peu prétentieux de sa part et qu’elle devait être pénible à casser les oreilles de ses voisins sans leur demander leur avis, cela l’a désespérée !
Je crois que celui qui s’est permis cette remarque, n’a jamais entendu parler de Juliette. Qu’il ne connaît pas cette jeune femme, ni cette famille et le don de soi qui la caractérise. Depuis le début du confinement, Sandrine, la maman, confectionne des masques en tissus qu’elle distribue gratuitement. Hier, elle m’en a livré cinq pour un ami. Juliette était avec elle. La jeune femme avait retrouvé l’entrain que je lui connais.
Depuis toujours, elle est contrainte de chercher l’ouverture, cet autre regard qui lui fait trouver sa place dans un monde pas toujours adapté à ce qu’elle est. Comme nous, elle a dû trouver sa manière de vivre le moment ! Elle a a choisi la musique en partage et cela lui va bien, n’en déplaise au rabat-joie ! L’aménagement des sorties permis aux personnes différentes comme elle, a ramené le sourire sur ses lèvres.
Il n’empêche, hier, Juliette était inquiète. Inquiète pour sa grande sœur embarquée sur le Charles De Gaulle. Une grande sœur confinée à bord suite à des cas suspectés (désormais avérés) de coronavirus. Et le confinement sur un porte-avion, c’est autre qu’un enfermement ! Vous comprenez pourquoi Juliette chante aussi ? Parce qu’elle aimerait que l’on prenne soin de sa sœur (et de son frère aussi) qui est loin, comme elle et les siens prennent soin des autres. Juliette vit le monde dans tout ce qu’il émet comme ondes. Que dire de celles de ce présent ?
Tiens, à mon tour, je voudrais raconter une petite histoire à la jeune musicienne. L’histoire de Juliette la tourterelle. Celle qui chaque matin venait se poser sur le volet de Rose (je vous l’avais raconté dans un précédent papier). Juliette est revenue régulièrement roucouler, ou plutôt, selon la version de Rose, réclamer son Roméo. La bonne nouvelle, c’est qu’à force d’appeler, elle a fini par le trouver son Roméo ! J’ai même reçu la photo, une vraie scène du balcon ! (Rose est comme ça, un peu paparazzi des fois). Juliette, la musicienne, ne verra pas cette photo mais sa maman saura la lui décrire.
Juliette, la musicienne, fait comme l’oiseau. Elle chante en s’accompagnant au piano et nous fait planer un peu. Le vendredi, à 18h, elle nous offre un billet pour l’ailleurs. Son ailleurs. Elle chante juste et haut, Juliette. Juste et haut dans un monde qui sonne faux.