Un peu plus d'un an après avoir réalisé "Roma per noi", un film qui retraçait la création comme cardinal de l'évêque de Corse François-Xavier Bustillo, le réalisateur amateur Angelin Leandri s'apprête à tourner une suite à l'occasion de la venue du pape François le 15 décembre prochain à Ajaccio.
Après "Roma per noi", "Roma ind'è noi".
Ce sera le titre du second film que s'apprête à tourner Angelin Leandri à l'occasion de la venue du pape François à Ajaccio. Le réalisateur amateur insulaire de 35 ans ira cette fois poser sa caméra dans les rues d'Ajaccio.
Chercheur indépendant et professeur free-lance dans l'enseignement supérieur à Paris, notamment en droit et culture générale, cet Ajaccien, qui a vécu deux ans à Rome, consacre ses recherches à l'histoire des institutions, en particulier celle du cardinalat.
"L'an dernier, pour faire converger mes centres d'intérêt intellectuels et ma volonté de création, je me suis donc lancé dans le documentaire", précise celui qui avait alors suivi la création en tant que cardinal de l'évêque de Corse par le pape François fin septembre 2023 au Vatican.
Avant ce nouveau tournage en Corse, Angelin Leandri est revenu sur les moments marquants de son premier documentaire qui connaîtra donc une suite dans quelques jours à Ajaccio. Entretien.
France 3 Corse : Il y a un peu plus d’un an, fin septembre 2023, vous aviez réalisé "Roma per noi", un court-métrage consacré à la création en tant que cardinal de l’évêque de Corse, François-Xavier Bustillo. Quelle image retenez-vous de ce week-end ?
Angelin Leandri : Sur le plan de l'expérience générale, pour un baptême du feu, je ne pouvais pas espérer vivre une aventure plus forte et plus belle que celle-là. Je l’ai d’ailleurs compris dès les premières heures de tournage à Rome, où tout était plus ou moins improvisé, avec l’adrénaline et l'excitation que cela implique. Le moment que je garderai le plus en mémoire, c’est la messe du 1er octobre 2023. C’était le lendemain du Consistoire. Quand le cardinal Bustillo a rassemblé les 800 Corses qui avaient fait le déplacement pour une messe pontificale célébrée à la Basilica dei Santi XII Apostoli. C’est le siège de son ordre, celui des franciscains conventuels. C’est d’ailleurs la séquence qui occupe tout le dernier tiers de "Roma per noi".
Lors du tournage, un moment vous a-t-il particulièrement marqué ?
Il y en a un que je n’ai jamais raconté dans les interviews précédentes... Ce jour-là, on avait beaucoup filmé avec mon cadreur, Matthieu Saintenac. Au moment de filmer le “Dio”, qui allait clôturer la messe, la dernière batterie de caméra qu'on avait était complètement déchargée… Et pourtant, elle a tenu environ dix minutes sans que l’on ne sache trop comment ni pourquoi... J'ai tout de suite dit à certains de mes amis présents à Rome : “les gars, c’est un miracle que la technique n'explique pas”. Depuis, de temps en temps, ils se moquent de moi en me ressortant cette phrase... J’ai finalement opté pour "l’Agnus Dei" au montage final mais ça reste quand même un souvenir incroyable que je ne suis pas près d’oublier.
En mai dernier, nous avions consacré un reportage à la sortie du film "Roma per noi" :
Vous le disiez, environ 800 Corses étaient présents à Rome pour la création du cardinal Bustillo. Aviez-vous été surpris par ce déplacement massif des insulaires ?
Pas tant que ça… Au moment de partir pour Rome, je savais depuis quelques semaines déjà qu'on attendait ce nombre-là et que plusieurs avions avaient été affrétés. Je n’ai donc pas tellement été surpris par le nombre, d'autant plus que, jusqu'à cette fameuse messe du 1er octobre, les Corses n'avaient pas encore été tous réunis au même endroit au même moment. Il a fallu donc attendre le dernier jour de ce week-end pour vraiment prendre conscience de l’ampleur de ce déplacement. Certains me disent encore aujourd'hui que c'était peut-être la plus belle messe de leur vie. Il y avait quelque chose de très spécial dans le fait de se retrouver tous ensemble aussi nombreux pour un événement que chacun avait vécu un peu différemment la veille sur la place Saint-Pierre, où nous étions davantage éparpillés.
Le pape a été impressionné par la clameur de la délégation corse. Le cardinal lui a dit qu’il "était venu avec son peuple". Sur le moment, la proximité entre les deux hommes d’Église était-elle perceptible ?
La clameur des Corses sur la place Saint-Pierre a effectivement été la plus impressionnante des 21 délégations présentes ce jour-là. On sait qu'elle a impressionné jusqu'au Pape lui-même. J’avais ça dans les rushs, mais j'étais tellement loin et isolé des autres corses sur la place que les images n’étaient pas assez qualitatives pour les conserver au montage. Mais la séquence a été très bien captée par la réalisation du Vatican, et tout le monde a pu voir ces images. Me concernant, après quelques déboires pour rentrer avec tout le matériel de tournage dans l’enceinte de Saint-Pierre, je me suis retrouvé très loin avec mon cadreur. On voyait mal, c’était assez frustrant, je le raconte dans le film. Je dois dire que ni au moment de la clameur, ni même le lendemain à la messe du 1er octobre, je n'aurais misé sur une venue du pape un an plus tard…Et puis nous n’avons su ce que se sont dit le cardinal Bustillo et le Pape qu’après coup, lorsque le cardinal l’a révélé dans ses différentes interviews… On ne pouvait donc pas bien mesurer à ce moment-là cette proximité entre les deux hommes, qui est sans doute à l’origine du prochain voyage du pape en Corse.
Dans d’autres rushs que vous avez tournés mais qui n’ont pas été conservés au montage final, un Romain avait semble-t-il prédit la venue du pape en Corse. Depuis quelques jours, la séquence circule d’ailleurs sur les réseaux sociaux, dont ceux du Diocèse d’Ajaccio…
C’est vrai ! Finalement, c’est la seule personne qui l’avait vu venir... ! Le bien nommé "Gabriele", à l’origine de "l’annonciation" de cet évènement... Il plaisantait à moitié bien sûr, à la mode romaine, mais au final c'est lui qui avait raison. Dans mon entourage, c’est le seul à l’avoir prédit. Moi, comme beaucoup de Corses je pense, j’aurais eu du mal à imaginer la visite du pape chez nous un an plus tard… Que l’évêque de Corse soit fait cardinal était déjà une grande première dans l’Histoire. Et là, on monte encore d’un cran.
Le cardinal Bustillo est l'un des grands artisans de la venue du souverain pontife dans l’île. En deux ans, il a été nommé évêque de Corse, puis créé cardinal à Rome. En tant qu’observateur passionné par ces questions, que vous inspire sa rapide ascension au sein de l’Église ?
Cela m'inspire une chose assez précise : je trouve que la pastorale de l'Église, lorsqu'elle est bien menée, touche très profondément le cœur des Corses, dont la geste pastorale et l'âme du berger font partie de notre mentalité la plus profonde. Donc, qu'un peuple de pasteurs soit particulièrement touché par un évêque aussi "transhumant", ça ne me surprend pas… Pour moi, le plus intéressant, c'est l'aptitude du cardinal à couvrir le territoire. Je crois que c’est ce qui parle le plus aux Corses. Dans le film, je le sous-entends lorsque je dis qu’au fond, "à Rome, se réconcilient le berger païen et le successeur des apôtres". Pour moi, c'est autant la mythologie du berger homérique que la fonction de l’évêque, muni de sa crosse. Car évidemment, chaque Corse a parmi ses ancêtres un berger. C’est pour moi un enseignement qui me semble être l’une des clés de compréhension de sa popularité dans l’île, qui a nécessairement été très remarquée en plus haut lieu, ce qui explique sans doute cette ascension assez fulgurante.
Si un conclave venait à se tenir, quelle place occuperait, selon vous, le cardinal Bustillo ? Pourrait-il entrer dans la chapelle Sixtine parmi les 120 cardinaux électeurs ?
En tant que Corse, on espère que oui ! Maintenant, si un conclave devait se tenir bientôt, nous serions, je crois, dans une situation assez inédite dont je ne sais pas vraiment si elle est complètement tranchée par le droit canonique... En effet, les Constitutions apostoliques de Paul VI puis de Jean-Paul II, qui fixent les règles du conclave, prévoient expressément un maximum de 120 cardinaux électeurs. Le critère pour être électeur est d'avoir moins de 80 ans. À l'heure où nous parlons, au sein du Collège des cardinaux, qui comprend donc les électeurs et les non-électeurs, exactement 120 cardinaux ont moins de 80 ans. Mais, dans quelques jours, le 8 décembre, se tiendra un Consistoire pour la création de 21 nouveaux cardinaux dont 20 ont moins de 80 ans. Le nombre de cardinaux électeurs potentiels va donc passer à 140. C’est une situation totalement inédite, mais je crois qu'on peut compter sur l'Église pour trouver des solutions, qu’elles soient juridiques ou logistiques...
La question est de savoir si un critère serait susceptible d’être posé pour respecter la limite de 120 ou si le droit de l’Église va s’adapter pour faire rentrer plus de monde dans la Chapelle Sixtine… Il me semble que c’est plutôt cette deuxième option qui se dessine. Mais bon, par définition, nul ne sait quand se tiendra le prochain conclave et beaucoup de choses peuvent évoluer d’ici-là…Et pour ce qui est du cardinal Bustillo, compte tenu de son âge et de la date sa création, je crois qu’il n’y a pas tellement de doute possible.
Le but de ce nouveau film, c'est à la fois d'interroger l'événement en soi et de proposer un portrait de la ville à cette occasion.
Angelin Leandri
Avec ce voyage pastoral à Ajaccio, vous en profitez pour tourner un nouveau film. Ce sera donc la suite du premier ?
Oui. Compte tenu des circonstances, je me suis dit que je ne pouvais pas ne pas envisager de proposer une suite à "Roma per noi". Ça s’appellera : "Roma ind’è noi". J’ai prévu dix jours de tournage à Ajaccio. Toutes les personnes qui souhaitent témoigner sur la venue du pape sont les bienvenues ! Cette suite fait sens pour nous les Corses, avec cette visite historique. Et je suis à titre personnel ravi de repartir aussi vite dans l’aventure du documentaire.
Vous allez donc axer votre documentaire sur la ville, l’effervescence autour de la venue du pape, l’organisation de l’événement ?
Oui. Le but, c'est à la fois d'interroger l'événement en soi et de proposer un portrait de la ville à cette occasion. Il s’agit aussi de continuer à faire converger mon intérêt pour toutes ces questions d’un point de vue intellectuel et ce que je peux en proposer au niveau de la création artistique. Si le tournage se passe bien, j'espère pouvoir monter le film pendant l'hiver et le sortir au printemps prochain.
Vous vous intéressez beaucoup à l’institution du cardinalat et à son histoire. Vous êtes d’ailleurs en train de travailler à l’organisation d’une conférence à Ajaccio. Quand aura-t-elle lieu ?
J’ai effectivement proposé à la Ville d'Ajaccio une conférence sur l'histoire du cardinalat, à partir d'un élément qui m'intéresse un peu plus que les autres, à savoir la dimension esthétique. Je souhaite donc proposer une histoire sur le temps long articulée autour de la question de la centralité de la figure du cardinal dans l'histoire des Arts de l'Occident. Un accord de principe a été obtenu pour qu’elle se tienne dans la cathédrale, mais il reste encore à en fixer la date…