Témoignage. "Je voyais le mal partout, je me sentais en permanence oppressée", le combat de Sandra, 35 ans, face à la schizophrénie

Publié le Écrit par Axelle Bouschon
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Comme plus de 600.000 personnes en France, Sandra* vit avec une pathologie psychiatrique complexe : la schizophrénie. La jeune femme originaire d'Ajaccio a accepté de raconter son parcours, de la découverte de sa maladie aux conséquences au quotidien.

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D’abord, il y a eu des hallucinations auditives répétées, qui survenaient surtout quand Sandra* se trouvait dans des lieux publics.

"Je pouvais être à la fac, et pendant que le prof faisait cours, entendre une ou plusieurs voix qui parlaient en même temps. Ou être en train de parler avec des amis et d’autres bruits me polluaient le cerveau. Au début, on se dit que ce sont des camarades de classe impolis, même si on ne voit pas les gens bavarder, ou juste un lieu bruyant. Mais en fait, on se rend très vite compte que ça n’a rien à voir, puisque ce sont plus comme des pensées, des ordres qui vous dictent ce que vous devez faire ou vous avertissent sur différents dangers. Et puis on n’arrive plus à suivre les discussions et les cours parce que toutes les voix s’empilent et c’est trop, et on ne parvient plus à se concentrer sur quoi que ce soit."

Ensuite, sont arrivées des angoisses permanentes, des sentiments de traque, et surtout une paranoïa aigüe, accentuée dès qu’elle devait quitter son domicile d’étudiante. "Je voyais le mal partout. J’étais convaincue qu’il y avait quelqu’un ou quelque chose après moi, que j’allais bientôt mourir, qu’on me poursuivait. Tout le monde pouvait être suspect, je me sentais en permanence oppressée. Même ma famille n’était plus sûre."

Sandra se souvient aussi d’hallucinations visuelles, avec son poste de télévision se mettant directement à lui parler, par la voix des présentateurs d’émissions ou en "s’allumant tout seul", interrompant son sommeil, et l’empêchant de déconnecter d'un quotidien devenu infernal.

J’étais persuadée de l’existence d’un complot contre moi

Consciente que quelque chose ne va pas, mais en proie à de nombreuses bouffées délirantes, Sandra ne parvient pas à alerter ses proches du problème. Ce sont eux qui finissent par prendre les choses en main, à la suite d’une importante crise psychotique, au terme de laquelle la jeune femme s’effondre en pleine rue, après plusieurs jours passés sans rentrer chez elle, et donc sans boire, manger, ni se laver ou se changer.

"J’étais persuadée de l’existence d’un complot contre moi. Je n’en pouvais plus, j’étais épuisée. Je voulais que tout finisse, mais j’avais en même temps très peur de mourir. Je savais tout au fond que ce n’était pas normal, mais je ne comprenais pas ce qui m’arrivait."

Hospitalisée en clinique psychiatrique, Sandra passe alors une batterie de tests, est renvoyée face à plusieurs spécialistes. Après de longs mois d’attente, le diagnostic tombe enfin : comme plus de 600.000 Français, et environ 24 millions de personnes dans le monde – soit une sur 300 - elle est atteinte de schizophrénie. Nous sommes en 2011, la jeune femme a alors 22 ans, et c'est tout son monde qui s’effondre.

Une maladie méconnue et stigmatisée

Maladie psychiatrique qui perturbe la perception de la réalité, la schizophrénie se caractérise par un éventail de symptômes variés, allant –entre autres - de troubles cognitifs et sensoriels, à des modifications du comportement, des réductions de l’expression émotionnelle, jusqu’aux délires et hallucinations.

"Généralement, les premiers symptômes apparaissent entre 15 et 25 ans, après un choc émotionnel important, ou la consommation de drogues ou d’alcool. Pour moi, ça a été la rupture avec mon premier petit ami. Mais les médecins m’ont indiqué que même si cela ne s’était pas passé, j’aurais quand même développé ma schizophrénie, seulement peut-être un peu plus tard dans ma vie."

Sévère, complexe, la schizophrénie est également une maladie chronique, qui souffre d’une encore trop importante méconnaissance de la population. Trop souvent stéréotypés dans l’imaginaire public comme des "fous" violents et dangereux aux multiples personnalités – des représentations notamment alimentées par des œuvres cinématographiques ou littéraires tendant à dépeindre les cas les plus extrêmes -, les schizophrènes peuvent être injustement exclus voire ostracisés de leurs cercles sociaux.

Honte et secret

Désormais âgée de 35 ans, Sandra a longtemps hésité avant d’accepter cet entretien. Longtemps hésité aussi, à le faire en son nom, le vrai, ou sous couvert d’anonymat. C’est finalement pour cette seconde option que la balance a penché, de crainte d’être stigmatisée.

De longs cheveux lisses et bruns, la peau pâle, une voix douce quoique parfois rendue légèrement tremblante par l'émotion, rien ne laisse suggérer, au premier abord, qu'elle est atteinte de schizophrénie. Un point auquel elle tient d'ailleurs beaucoup : plus de dix ans après l’annonce de son diagnostic, Sandra refuse toujours de le révéler à plus de personnes que "strictement nécessaire".  

Un tabou, et bien qu’elle le regrette, une certaine honte. Honte de sortir de "la normalité", honte de ne pas pouvoir vivre au jour le jour sans ses médicaments, ses thérapies, ses suivis hospitaliers. Honte d’avoir honte, aussi, d’une maladie contre laquelle elle ne peut rien.

"Je suis la seule personne de ma famille diagnostiquée schizophrène. Personne n’a jamais eu de problèmes mentaux connus avant moi. Entamer la lignée pour ce genre de choses, ce n’est pas très glorieux. Encore plus quand on sait que c’est une maladie avec des prédispositions génétiques : c’est autour de 10 % de chance de la développer quand un parent ou un frère ou sœur l’a, 10 fois plus de chance que dans le cas contraire."

On a même commencé à me parler de procédure de stérilisation définitive, comme la ligature des trompes, alors que je n’avais rien demandé.

Elle qui rêvait, adolescente, d’une famille nombreuse, se souvient des mots douloureux d’un personnel médical, quelques jours seulement après le diagnostic de sa schizophrénie : "« Il ne faudra pas faire d’enfant madame, ce serait égoïste de votre part. » On a même commencé à me parler de procédure de stérilisation définitive, comme la ligature des trompes, alors que je n’avais rien demandé. C’était très violent, et c’est à partir de ce moment-là que je me suis rendue compte de l’impact que tout cela allait avoir sur ma vie."

Déjà "fragile", Sandra sombre dans une sévère dépression. Six mois seulement après son diagnostic, elle fait une première tentative de suicide, et reste hospitalisée plusieurs semaines sans son consentement.

Sortie de l’hôpital avec un nouveau traitement, elle rechute rapidement et tente une seconde fois de mettre fin à ses jours. La jeune femme est cette fois-ci orientée vers une maison d’accueil spécialisée sur le continent, où elle se repose et suit des ateliers de réadaptation psychosociale pendant de longs mois.

"Je ne me souviens plus vraiment de cette période, admet Sandra. C’est très flou. J’étais très médicamentée, beaucoup plus que je ne le suis maintenant, et vraiment très fatiguée. Je ne voyais plus d’intérêt à continuer à vivre, je n’avais plus d’objectifs, plus d’ambitions, plus rien. Et puis ça a dû aller un peu mieux, parce qu’on m’a laissé rentrer chez mes parents."

La Corse manquait – et manque toujours – cruellement de structures d’accueil ou de professionnels pour les maladies psychiatriques sévères.

Retournée dans son foyer familial en région ajaccienne, la jeune femme reprend peu à peu pied avec la réalité, suivie de près par ses proches qui vérifient sa prise de traitement, l’accompagnent aux séances de psychothérapie.

"À l’époque, je n’avais de prise sur rien, donc je n’y pensais pas, mais je me rends bien compte maintenant que ça a été aussi très difficile pour eux. La Corse manquait – et manque toujours – cruellement de structures d’accueil ou de professionnels pour les maladies psychiatriques sévères, donc nous faisions régulièrement des allers-retours entre la Corse et le continent. Mais comme les trajets étaient difficiles pour moi, mes parents ont fini par louer un appartement à Marseille, dans lequel ils restaient tour à tour avec moi."

Des hauts et des bas permanents

En parallèle, Sandra prend part à plusieurs études des troubles schizophréniques, en France, en Europe et même à distance au Canada, où sa famille prend contact avec plusieurs spécialistes.

Suivie, soutenue, et traitée par neuroleptiques [également appelés antipsychotiques, ces médicaments aux effets tranquillisant et anti-délirants sont régulièrement prescrits pour la schizophrénie, ndlr], elle parvient à réduire la sévérité de ses symptômes psychotiques, à retrouver un peu d’indépendance, et renoue même le contact avec quelques amis.

Tout n'est pas parfait pour autant : Sandra continue de souffrir périodiquement d’épisodes psychotiques plus ou moins importants, marqués par des troubles vifs de l’humeur et le retour d'hallucinations auditives et visuelles. En cause, notamment, des interruptions parfois brutales de la prise de ses médicaments.  

"Ce qu’il faut savoir, c’est que les médicaments ont quand même de lourds effets secondaires, comme de la fatigue, des tremblements, ou une prise de poids. Alors quand tout semblait aller mieux, il m’arrivait de me dire c’est bon, tout va bien, je peux les arrêter. D’autres fois, j’oubliais tout simplement de les prendre. La schizophrénie a beaucoup affecté mes capacités mémorielles."

Atténuer ou régresser les effets 

Aujourd’hui, si ses épisodes psychotiques n’ont pas totalement disparus, leur apparition est nettement plus limitée. Sandra n’est pas guérie pour autant : "Il n’existe à ce jour pas de solution à proprement parler pour éradiquer la schizophrénie. Juste des traitements et des thérapies pour en atténuer voire faire régresser un peu ses effets."

Il n’existe à ce jour pas de solution à proprement parler pour éradiquer la schizophrénie.

La jeune femme présente actuellement des symptômes dits "négatifs" [les symptômes de la schizophrénie sont classifiés en trois catégories : positifs (c’est-à-dire une distorsion des fonctions normales, engendrant délires ou hallucinations), négatifs (une diminution ou perte des fonctions habituelles émotionnelles et sociales), et dissociatifs, ndlr]. Parmi lesquels des difficultés à exprimer ses émotions, et l’anhédonie, ou la perte de capacité à ressentir du plaisir.

"J’ai aussi beaucoup de problèmes de concentration, d’organisation et de logique, qui font que je n’arrive pas à lire un livre, suivre un film ou une série, ou trouver un chemin par exemple."

Emploi, amis, amours

Depuis presque quatre ans, Sandra a néanmoins pu débuter une activité professionnelle, à raison de 12h de travail par semaine. Un emploi dans une grande entreprise, à titre de travailleur handicapé, qui lui donne "un peu d’espoir pour la suite". "C’est un petit SAS de normalité. Ce n’est pas évident, et j’ai beaucoup de mal au quotidien, mais je fais de mon mieux."

Grâce au groupe de soutien et aux thérapies de groupe qu’elle suit et a suivi, Sandra s’est également fait de nouveaux amis, pour beaucoup atteints de la même maladie. "C’est très important pour moi, parce que ça facilite tout. Déjà, on comprend sans grand discours quand ça ne va pas, et on n’est pas confrontés à cette peur du rejet de l’autre parce qu’il ne comprend pas, parce que la schizophrénie c’est un grand mot auquel ils ne veulent pas être confrontés."

J’ai deux, trois copines que je fréquente parfois et qui ne sont pas au courant que je suis schizophrène, et qui ne me traitent donc pas différemment.

La jeune femme essaie néanmoins de nouer quelques relations en dehors de son cercle "médical, schizophrénique et familial". "C’est une façon, comme pour le travail, de vivre au-delà de la maladie, de ne plus être défini que par ça. J’ai deux, trois copines que je fréquente parfois et qui ne sont pas au courant que je suis schizophrène, et qui ne me traitent donc pas différemment."

Peut-être ne le feraient-elles pas non plus si elles en avaient la connaissance, reconnaît Sandra. "Mais je ne veux pas le risquer pour le moment. J’ai déjà eu des mauvaises expériences par le passé."

Côté vie de couple, Sandra préfère écourter la discussion. "C’est compliqué, autant en rester là. J’ai eu un petit ami il y a quatre, cinq ans. Mais ça n’a pas duré longtemps. Ma maladie a des conséquences qu’il n’était pas prêt à assumer, c’est comme ça."

Il y a une vie avant et après la schizophrénie. Je sais que je ne retrouverai jamais mon quotidien d’avant.

Très engagée dans la sensibilisation à la schizophrénie, Sandra réfléchit désormais à reprendre, à son rythme, des études pour devenir pair praticien, ces professionnels de santé souffrant eux-mêmes de troubles psychiques, et former pour aider d’autres personnes dans la même situation.

"Je veux garder espoir pour la suite, et montrer que malgré le diagnostic, il faut continuer de s’accrocher. Il y a une vie avant et après la schizophrénie. Je sais que je ne retrouverai jamais mon quotidien d’avant. Mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas construire des jolies choses pour la suite."

(Cet article a été initialement publié le 19/02/2023)

(*le prénom a été modifié)

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