Covid : "ils sont loin, les applaudissements de 20h", le personnel soignant corse entre dévouement et abattement

La deuxième vague de Covid n'en finit plus d'arriver. Avec ses craintes et ses incertitudes. Et les personnels soignants la redoutent plus que jamais. Nous sommes allés rencontrer Amélie*, aide-soignante à l'hôpital de Bastia, pour prendre le pouls de la profession. 

Amélie tire sur sa cigarette, assise sur un banc derrière l'hôpital de Bastia. 

Il est 23h30, et c'est sa première pause. L'aide-soignante fait partie de l'équipe de nuit.

Depuis 19 heures et jusqu'à 7 heures demain matin, elle assure son service aux Urgences. 

Il y a quelques minutes à peine, elle s'est fait insulter par un sexagénaire qui estimait que le temps d'attente était trop long. 

Le ton est monté, et l'agent de sécurité a dû intervenir pour calmer les choses. 

Des lendemains qui déchantent

A travers la vitre qui donne sur la salle d'attente, elle jette un coup d'œil et l'aperçoit, l'air renfrogné, qui tente de prendre son mal en patience. 

Dans quelques minutes, il sera admis aux Urgences, et elle devra s'occuper de lui. Comme si de rien n'était. 

Mais elle a l'habitude. 

On a les larmes aux yeux quand un patient nous dit merci.

Amélie, aide soignante Hôpital de Bastia

"Ils sont loin, les applaudissements de 20 heures. Le lendemain du confinement, c'est reparti comme avant. Les insultes, et même les agressions reviennent. Et puis le mépris. La carte vitale jetée à la gueule comme si c'était une carte bleue..."

Amélie frissonne, alors que le froid s'est brutalement abattu sur la Corse depuis quelques jours, et enfile une veste en laine. 

"Depuis juillet, c'est encore pire, je ne sais pas pourquoi. On en vient à avoir presque les larmes aux yeux quand un patient nous dit merci".
"Tous les jours, quand on franchit les portes de l'hôpital, on se dit "qu'est-ce qui va m'arriver aujourd'hui ?" 

Amélie, comme tous les aide-soignants et les médecins de l'hôpital de Bastia, est encore sous le coup de la première vague de Covid, en mars et avril...

Et chaque fois qu'elle entend parler de la fameuse "deuxième vague" martelée par les médias, elle craint le pire. 

"On se l'est prise dans la gueule, la première vague. Et ça va être pareil pour la deuxième".

Sur la défensive

La jeune aide-soignante, qui a débuté le métier il y a une dizaine d'années, salue deux pompiers qui chargent un brancard vide dans leur VSAB, et retourne dans le service. 

"Regardez autour de vous. Il y a une vraie appréhension, qui se lit sur tous les visages. On est sur la défensive, on n'est pas prêts à l'affronter. Si ça arrive, il y aura des catastrophes. Le virus a foutu un tel bordel..."

Amélie pointe du doigt une feuille de papier scotchée au mur, indiquant le service Urgences Covid.
"C'est zéro, ce truc. Il n'y a que quatre boxes, il nous manque beaucoup de matériel, malgré les dons et les respirateurs achetés. quatre boxes... Si un cinquième malade arrive, on le met où ? On lui dit de patienter dans la voiture en attendant que ça se libère ?"

L'aide-soignante secoue la tête, l'air las. 

"On a tiré la sonnette d'alarme en disant qu'on était épuisés, et vous savez ce qu'on nous a répondu ? Que tout le monde était épuisé. Voilà où on en est."

Une bataille perdue d'avance

Hector*, un médecin qui profite d'une accalmie pour venir boire un café, confirme :

"Ne croyez pas ce que vous entendez toute la journée. Le pays n'est pas plus armé qu'il y a six mois pour faire face à une flambée des cas."

Le quinquagénaire jette machinalement un coup d'œil à une feuille de soin posée sur le comptoir des entrées, avant de continuer. 

"Si ça continue comme ça, on sait pertinemment qu'on va la perdre, cette bataille. On n'est pas prêts."

Si un malade de la Covid arrive, on lui dit de patienter dans sa voiture ?

Amélie, aide-soignante Hôpital de Bastia

Pour autant, personne n'a baissé les bras. Amélie le rappelle à plusieurs reprises, nul parmi les personnels des Urgences n'a pris les quatorze jours auxquels ils avaient droit pour s'occuper des leurs. 
"Bien sûr que c'est démotivant. Parfois je rentre chez moi, vidée. Et je réfléchis à un travail qui me passionnerait autant que celui-là. Mais que je n'exercerais pas la peur au ventre..."

Amélie sourit. 

"Et puis j'y réfléchis, et je me dis que je l'aime, que j'ai envie de me sentir un peu utile. Je sais qu'on ne va pas sauver tout le monde, mais quand ça arrive, on est heureux."

Une dame âgée attend Hector dans un box pas très loin. Il se lève, et lâche :

"Pour autant, dire qu'on a pas peur, ce serait mentir. Lutter contre la Covid, pour les soignants, aujourd'hui, c'est comme de rentrer dans l'eau, se dire que comme on est habillé, on ne sera pas mouillés. Mais on est dans l'eau. Et on finira trempés..."

Fidèles au poste

Amélie le reconnaît : elle et ses collègues s'y sont habitués, mais les conditions de travail restent très contestables, et le personnel de santé demeure en première ligne. 

Dire qu'on n'a pas peur, ce serait mentir.

Hector, médecin à l'hôpital de Bastia

"Personne n'a été testé positif, dans le service. Mais c'est presqu'un miracle. Aux Urgences on n'a aucun équipement, hormis les masques chirurgicaux. Qui protègent l'autre, et pas nous", critique l'aide-soignante.

"Tout ce à quoi ils servent, c'est à empêcher le porteur possible de la Covid d'attraper notre rhume... Au niveau de l'organisation, tout a été vite fait, mal fait". La jeune femme écarte les bras, pour montrer son impuissance. 
"On a compris qu'on s'en fout de nous. Certains de mes collègues parlent de changer de service, voire de métier, tout simplement. Et puis, finalement ils restent".

On devine une certaine fierté dans le ton d'Amélie. "Même si on se fout de nous, nous, on ne se fout pas des malades..."
 
Et on ne quitte pas un navire. Même quand il coule.

*Les prénoms ont été modifiés
 
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