L’annonce de la mort d’Yvan Colonna a suscité de nombreuses réactions en Corse et sur le Continent. Pour le sociologue Jean-Louis Fabiani, l’image du militant indépendantiste condamné pour l'assassinat du préfet Erignac résulte d'un double mouvement : patriotique et étatique.
Chants, slogans, banderoles à son effigie. Marques de compassion et de soutien. Depuis son agression le 2 mars dernier à la centrale d’Arles et jusqu’à l’annonce de son décès dans la soirée du 21 mars, le visage d’Yvan Colonna n’aura cessé de réapparaître sur les murs de l'île en même temps que dans les médias insulaires et nationaux.
En Corse, la figure du militant indépendantiste condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Erignac a toujours occupé une place particulière. Le personnage n’a jamais suscité l’indifférence. Idem sur le Continent où sa cavale puis ses trois procès en ont fait l'un des fugitifs puis l'un des détenus les plus médiatisés de ces vingt-cinq dernières années.
Professeur de sociologie à la Central European University de Vienne, Jean-Louis Fabiani voit dans l’image "ambivalente" du militant indépendantiste "une figure importante de la mémoire insulaire". Entretien.
France 3 Corse ViaStella : De sa cavale à son décès lundi soir en passant par ses procès, la figure d’Yvan Colonna est plus que présente dans la société corse. En tant que sociologue, que représente-t-elle selon vous ?
Jean-Louis Fabiani : Il y a deux figures d’Yvan Colonna. La première, c’est la figure corse. Et, très paradoxalement, car on se souvient que l’assassinat du préfet Erignac avait suscité des réactions massives dans l’île avec environ 30.000 manifestants dans les rues, il y a aussi une sorte de légende qui s’est construite autour d’Yvan Colonna et de son personnage. Je ne pense pas que l’assassinat du préfet, auquel il a toujours nié avoir participé, soit au centre. C’est plutôt la figure d’une sorte de victime de la répression d’État : l’image de sa longue cavale est celle de sa résistance à l’État qui s’inscrit dans une mémoire longue de la Corse.
Sur le Continent, comment cette image est-elle perçue ?
Pour beaucoup de Français du Continent, Yvan Colonna est le symbole d’une lutte absurde et violente. J’en parlais encore lundi soir à l’issue d’une conférence à Sciences Po Lille. Ce qui est intéressant pour un sociologue, c’est cette espèce de transformation d’une figure qui a été assez silencieuse et discrète. Ce n’est pas quelqu'un qui a beaucoup parlé finalement mais son image a été transformée au fil du temps en une figure de héros. Un héros un peu négatif aussi. C’est intéressant de voir qu’en Corse, où il ne fait pas l’unanimité, il est devenu une figure importante de la mémoire insulaire.
Depuis son arrestation en juillet 2003, après quatre ans de cavale, jusqu’à son assassinat à Arles, en passant par ses trois procès et le débat sur le statut de "Détenu particulièrement signalé", d’aucuns disent qu’il a été le prisonnier le plus célèbre de ces deux dernières décennies en France. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?
C’est vrai. C’est surtout la personne en cavale qui a été la plus affichée : Il faut se souvenir que son portrait a été placardé partout : dans les gares, les aéroports etc. Il a donc été d’un certain côté fabriqué par l’État. C’est intéressant de voir comment l’Etat en a fait aussi un symbole à travers la recherche, la condamnation et, ensuite, le traitement en prison avec le statut de DPS. Comme souvent, ces constructions symboliques sont le résultat d’un double mouvement : il y a ce que Gilles Simeoni (qui a été son avocat, ndlr) appelle le "patriote corse" mais aussi le fait que l’Etat l’ait désigné comme l’ennemi numéro un.
En juillet 2003, quand Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, déclare que la "police a arrêté l’assassin du préfet Erignac", il bafoue la présomption d’innocence. Cette phrase a-t-elle également contribué à créer ce mythe autour d’Yvan Colonna ?
Tout à fait. Il y a une contradiction : beaucoup de Corses, y compris parmi les nationalistes, n’ont pas apprécié l’assassinat du préfet Erignac. Ils ne l’ont pas condamné mais beaucoup ont pensé que c’était une erreur politique qui ne menait à rien. C’est pour cela que je parle de héros négatif qui a été construit en partie par l’Etat et y compris par Nicolas Sarkozy qui connaissait bien la Corse et la zone de Cargèse-Sagone (sa première épouse était originaire de Vico, ndlr). À ce moment-là, quand l’État met l’accent sur une personne comme ça et qu’elle meurt en prison, on comprend qu'elle puisse être un symbole absolu de la Corse.
Aujourd'hui, Yvan Colonna constitue un symbole de refus de toute compromission et même de toute notion d’autonomie.
Jean-Louis Fabiani
Selon vous, le décès d’Yvan Colonna va-t-il amplifier son image dans la société corse ?
Je le pense. Comme je vous l‘ai dit, cette figure est en quelque sorte ambivalente puisqu'elle marque une résistance absolue à l’Etat. C’est donc le symbole de la résistance. Sa mort tragique, en prison, due à une défaillance de surveillance alors qu’on disait qu’il était le plus surveillé, va, selon moi, fortifier la légende Colonna. C’est intéressant car l’histoire est faite de symboles. Aujourd'hui, Yvan Colonna constitue un symbole de refus de toute compromission et même de toute notion d’autonomie. Alors, la question est de savoir si cette figure va être le moteur des actions à venir ? C’est encore tôt pour y répondre. Néanmoins, sa mort tragique va contribuer à la construction de sa légende et à la dimension du mythe autour de sa personne.