En Corse, le blocage des deux dépôts pétroliers de Corse pour dénoncer la hausse des prix du carburant a été levé, provisoirement. Chez nos voisins sardes, c'est toute l'île qui a été bloquée, durant plus d'une semaine. Retour sur une période mouvementée.
"J'ai aucune idée de combien il reste d'essence dans les pompes", lance le jeune caissier d'une station-service à la sortie nord de Bastia, entre deux encaissements. "Quand y en aura plus, y en aura plus".
Nous sommes le lundi 21 mars dernier. Dehors, des dizaines de voitures font la queue pour parvenir à faire le plein. Certains, prévoyants, se sont munis de jerrycans. Dans certaines stations de l'île, c'est bien plus calme. Et pour cause. Il n'y a plus de carburant à vendre, et les automobilistes ont rebroussé chemin.
Les jeunes agriculteurs bloquaient les dépôts pétroliers d'Ajaccio et de Lucciana depuis le 17 mars. La raison, la flambée des prix des carburants. Ils se plaignaient de l'augmentation spectaculaire du gazole non-routier, que demandent les tracteurs et les engins agricoles. Selon eux, ils doivent faire face à une multiplication des tarifs par deux. Une hausse qui porte le ticket à 1,80 euro le litre.
Depuis le 22 mars, et l'annonce de la mort d'Yvan Colonna, le blocage est levé. Mais c'est uniquement pour ne pas interférer avec le temps du deuil que veut observer une partie de l'île. Les jeunes agriculteurs ont déjà fait savoir que les blocages pourraient faire leur retour rapidement, et de "manière beaucoup plus virulente". Ils exigent "un retour à la normale, c'est à dire le même tarif que l'année dernière".
Economie paralysée
Mais les agriculteurs corses ne sont pas les seuls, bien évidemment, à être pénalisés par la flambée des prix, l'un des dommages collatéraux de la guerre en Ukraine pour les pays européens. Et partout à travers le continent, les initiatives de tous genres se sont multipliées.
L'une, spectaculaire, est apparu à quelques kilomètres à peine de la Corse, de l'autre côté des Bouches de Bonifacio. En Sardaigne, ce sont les transporteurs qui sont montés au créneau. Et pas qu'un peu. Il faut dire que le carburant, à la pompe, a grimpé de manière plus spectaculaire encore en Sardaigne qu'en Corse. Quand le diesel se payait 2,16 euros le litre à Ajaccio, les stations-service affichaient jusqu'à 2,35 euros à Muravera ou Sassari.
Alors, le 11 mars dernier, le cargo Grimaldi entre dans le port de Cagliari, en provenance de Naples, les poids lourds qui s'apprêtent à débarquer ont la surprise de se voir refuser l'accès au quai par des transporteurs. Très vite, les ports de Porto Torres et d'Olbia sont également bloqués. C'est le début d'un mouvement qui va plonger une bonne partie de l'île dans l'incertitude, et la panique.
Les marchandises n'arrivent plus dans les commerces, et restent stockées sur les quais qui, au bout de trois ou quatre jours, commencent à saturer. Certaines d'entre elles sont bonnes à jeter. Plusieurs entreprises, qui ont de plus en plus de difficultés à fonctionner, en raison de l'insularité, brandissent la menace de licenciements. Les Sardes se ruent dans les supermarchés, où beaucoup de produits viennent à manquer.
Sans surprise, le mouvement n'a pas vraiment le plein soutien de la population, et des socio-professionnels. Si le combat est partagé par le plus grand nombre, les moyens choisis pour se faire entendre sont contestés par beaucoup.
Le 17 mars, les agriculteurs montent au créneau. Dans le quotidien L'Unione Sarda, Francesco Terzitta, producteur agricole de Valledoria, et porte-parole des professionnels du secteur du nord de l'île, déclare : "cette manifestation n'est plus ce qu'elle était à l'origine. C'est devenu l'oppression d'une minorité qu'en tant qu'agriculteurs sardes nous ne pouvons plus tolérer". Et les exemples d'agriculteurs qui voient leur récolte pourrir en raison de l'absence de liens avec le continent commencent à être mis en avant.
Mesure provisoire
Mais le blocage a continué. Et la Sardaigne est devenue pour le gouvernement italien l'illustration de ce qui pourrait advenir en Italie si un mouvement de plus grande ampleur des transporteurs se développait à travers le pays. D'autant que des débuts de mobilisation se voient ailleurs que sur l'île. "Les conséquences en cas de blocage total du transport routier seraient désastreuses, avec des dommages énormes", selon Arnaldo Boeddu, le secrétaire général de la fédération nationale des transporteurs Cgil.
Sous la menace d'une panique générale, ou par conviction, le 19 mars dernier, le Conseil des ministres italien a approuvé un décret-loi comportant des mesures urgentes pour contrer les effets économiques et humanitaires de la crise ukrainienne. Un décret-loi où une place non négligeable était faite aux problèmes de carburant, incitant les transporteurs à lever le blocus.
Le point qui a focalisé l'attention, chez les automobilistes à travers l'Italie, c'est la réduction de 25 centimes des droits d'accise sur la vente du carburant pendant une durée d'un mois. L'effet, immédiat, sera une baisse du prix à la pompe de 25 centimes. Soit une baisse de 10 centimes de plus que celle annoncée par le Premier ministre français, Jean Castex, le 12 mars dernier.
Lento ritorno alla normalità dopo il blocco in Sardegna ma per molte merci c'è da attendere https://t.co/6A2e18x1Wv
— informazione interno (@infoitinterno) March 21, 2022
Une bouffée d'air frais pour les budgets, mais selon Arnaldo Boeddu, le secrétaire général de la fédération nationale des transporteurs Cgil, "il faudra mener un raisonnement plus sérieux et approfondi sur les politiques énergétiques et industrielles : il n'est pas possible que notre économie soit à la merci d'un conflit qui prend lieu dans un autre pays ou la protestation d'une catégorie de travailleurs".
Un chantier qui concerne une grande partie de l'Europe, et qui devra aller bien plus loin qu'une aide financière provisoire.