À la demande du parquet d'Ajaccio, le procès dans lequel devaient comparaître Jean-Dominique Rossi et cinq de ses proches a été renvoyé au 19 avril 2022. L'ex-directeur de la chambre d'agriculture de Corse-du-Sud et plusieurs membres de sa famille sont soupçonnés de fraudes aux aides agricoles.
Il faudra encore attendre quelques mois pour que l'affaire des fraudes agricoles soit jugée. Reporté une première fois, le procès dans lequel doivent comparaître Jean-Dominique Rossi et cinq de ses proches a été renvoyé au 19 avril 2022. Ainsi en a décidé le Tribunal correctionnel d’Ajaccio, mardi 14 septembre, accédant à une demande émanant du parquet.
"Nous avions été prévenus il y a plusieurs mois par le tribunal que l'affaire ne serait pas évoquée aujourd'hui, indique Maître Camille Romani, avocat de Jean-Dominique Rossi. Le renvoi ne nous surprend pas mais il est regrettable car mon client a hâte de s'expliquer pour démontrer à ses juges que tous les chefs de prévention pour lesquels il est poursuivi ne sont pas fondés."
"Je ne souhaitais pas ce report, prolonge Maître Julien Gasbaoui, avocat d'Angèle Rossi, 89 ans et mère de l'ancien directeur de la Chambre d'agriculture de Corse-du-Sud. En revanche, quand j'ai appris qu'une juridiction serait nouvellement composée, il m'est apparu naturel qu'un renvoi soit ordonné. Compte tenu de la complexité de ce dossier et de son ampleur, il est logique qu'un tribunal en prenne connaissance très en amont."
Désormais, le tribunal d’Ajaccio bénéficiera de sept mois supplémentaires pour se plonger dans le détail de cette affaire qui remonte à novembre 2018. Un dossier dans lequel Jean-Dominique Rossi, son épouse, ses deux fils, sa mère et un salarié sont soupçonnés d’avoir perçu indument, entre 2015 et 2018, 1,4 million d'euros de subventions agricoles et d’avoir divisé de manière fictive leur exploitation dans le but de maximiser les aides.
Les cinq membres de la famille Rossi sont poursuivis pour "escroquerie en bande organisée" et "blanchiment aggravé". L'ouvrier agricole, Augustin Gardella, est quant à lui concerné uniquement par le chef d'"escroquerie en bande organisée".
Contrôle judiciaire maintenu
Initialement prévue en novembre 2020, l’audience avait déjà été renvoyée une première fois à la demande de la famille Rossi. Présent ce mardi matin au tribunal d'Ajaccio, Jean-Dominique Rossi s’est vu notifier la prolongation de son contrôle judiciaire. Démis de son poste de directeur de la chambre d’agriculture de Corse-du-Sud en 2019, il peut néanmoins rester employé de celle-ci à condition qu'il n’exerce plus les fonctions de directeur, y compris par interim, ni celles de responsable de l'établissement départemental de l'élevage de Corse-du-Sud. "À l'origine, les obligations qui lui avaient été imposées étaient beaucoup plus dures, précise Maître Romani. Dans un premier temps, le tribunal avait considéré qu'il ne pouvait exercer la moindre activité au sein de la chambre d'agriculture. Fort heureusement, par la suite, on a pu obtenir que ces obligations soient allégées et que seule la fonction de directeur par intérim de cet organisme soit interdite. Aujourd'hui, cette interdiction a été renouvelée mais aucune autre n'a été ajoutée."
Depuis septembre 2020, il a pu réintégrer à la chambre d'agriculture au poste de chef de service du pôle production animale.
Le temps qui passe n'est pas notre allié.
Quant à la famille de Jean-Dominique Rossi, elle ne bénéficie plus des aides agricoles européennes depuis fin 2018, date du début de la procédure. Ce que les avocats de la défense contestent. "Les aides agricoles sont effectivement suspendues, ce qui paraît constituer une atteinte à la présomption d'innocence, considère Camille Romani. La partie administrative du dossier, qui dépend d’ailleurs en grande partie du préfet, fait fi de de cette présomption d'innocence car, si les faits pour lesquels nos clients sont poursuivis ne sont pas constitués, les aides agricoles sont toujours dues. Le temps qui passe n'est donc pas notre allié. Raison pour laquelle, aujourd'hui, nous voulions démontrer au tribunal que les suspicions mises en avant par le parquet n'étaient pas justifiées."
À noter que le 8 avril dernier, la cour de cassation avait annulé la saisie des biens de Jean-Dominique Rossi et de sa famille. Cela faisait suite à une décision du juge des libertés et de la détention qui avait ordonné la saisie en valeur d’un appartement et de terres agricoles d’une valeur totale de 681 000 euros. Ce qui constituait là aussi pour la défense une atteinte "extrêmement importante à la présomption d’innocence". La cour de cassation avait alors estimé qu’à la date des ordonnances critiquées, l’enquête était terminée. Par conséquent, le juge des libertés et de la détention n’était "plus compétent" pour ordonner la saisie des biens.
"On nous reproche de travailler en famille..."
Le point de départ de toute cette affaire remonte à novembre 2018. À cette époque, une enquête préliminaire est ouverte après un contrôle du comité départemental antifraude dans les quatre exploitations détenues par la famille Rossi à Letia, dans le canton des Dui Sorru. Il est également reproché à Jean-Dominique Rossi d’avoir exercé en tant qu’agriculteur alors que sa fonction de directeur de la chambre départementale d’agriculture le lui interdisait. "Je suis à la chambre d’agriculture, j’ai une formation de conseiller agricole. À aucun moment, je n’ai géré les exploitations de ma famille", s’était-il défendu.
Il avait expliqué que "son fils était hospitalisé ce jour-là, que sa mère ne se sentait pas bien et que sa femme était un peu sous pression". "Les conditions n’étaient pas réunies pour un bon contrôle, avait-il ajouté. On a préféré arrêter le contrôle mais on ne l’a pas refusé."
Dans un reportage diffusé en novembre 2018 sur notre antenne, son fils, Pierre-Marie Rossi, avait présenté l’exploitation de sa mère. "On a eu des contrôles surfaces, des contrôles bovins chaque année. On nous reproche de travailler en famille mais en Corse, ça se passe comme ça, on travaille tous en famille", confiait-il alors devant notre caméra.
4 jours d'audience
À l'origine, l'enquête préliminaire avait pour mission de s'assurer de la validité de ces déclarations concernant les animaux et les surfaces. À ce sujet, Eric Bouillard, procureur de la République d'Ajaccio à l'époque, avait alors indiqué : "Les premières investigations nous laissent à penser qu’on a eu une sur-estimation des surfaces exploitées et un plus grand nombre de bêtes déclarées."
Le point de départ d'une enquête qui s'inscrivait alors dans un contexte médiatique particulier : Josiane Chevalier, préfète de Corse à l'époque, et Éric Bouillard avaient notamment organisé en novembre 2019 une conférence de presse commune pour dire que les fraudeurs étaient dans le collimateur de la justice. Ce qui avait alors fait réagir Camille Romani. "Le couple préfet-procureur est un couple incestueux, avait tancé l'avocat ajaccien. Nous sommes en démocratie et le principe qui prévaut, c'est la séparation des pouvoirs."
Autant d'éléments qui ont alimenté un dossier complexe sur lequel le tribunal correctionnel d’Ajaccio devra donc statuer à partir du 19 avril prochain, lors d'un procès qui durera quatre jours.