La Corse célèbre cette année le 80ème anniversaire de sa libération. Retour sur la conférence de Porri, et les réunions clandestines du Front national dans ce qui est désormais connu sous le nom de la Grotte des résistants.
C'est un petit village, le plus petit des sept qui s'étalent en Casinca. Une église au clocher à deux étages ajourés, des rues joliment dallées, quelques bâtisses pour accueillir la quarantaine d'habitants, et de ses hauteurs, une vue spectaculaire, du phare d'Alistro jusqu'à la côte du Cap Sagro.
Fleurie, charmante, la commune de Porri-di-Casinca s'illustre aussi et notamment par son histoire, partagée entre les ruines de l'ancien site médiéval de Saghjapicu, datées du XIIe ou XIIIe siècles, et un passé bien plus récent de village résistant, au cœur de la Seconde Guerre mondiale.
La décision d'une "insurrection populaire"
En 1943, l'île est occupée par plus de 80.000 soldats italiens. En interne, dans le maquis, la résistance s'organise. Les 2,3 et 4 mai 1943, une conférence régionale - et clandestine - se réunit à Porri, dans la maison de la famille Vittori. Dans l'assemblée, 25 militants, pour la plupart communistes, venus de toute la Corse.
C'est à cette occasion qu'est défini le principe d'une "insurrection populaire", et que sont réparties les responsabilités du Front National de libération de la Corse. François Vittori est proposé comme responsable du pendant militaire, Arthur Giovoni pour celui politique. Jean Nicoli - dénoncé par un collaborateur et exécuté par les militaires italiens à Bastia le 30 août 1943 - organise la réception des armes sur l'île. André Giusti - tué par balles le 17 juin 1943 - distribue partout dans l'île des munitions et est en charge du renseignement. Paulin Colonna d'Istria coordonne les mouvements de résistance insulaires. Nonce Benielli et Jérôme Santarelli prennent la direction du Front national à Ajaccio.
Des règles organisationnelles sont actées, rappelle le comité Corse de l'Association nationale des anciens combattants et amis de la résistance : "l’élément de base doit être le groupe de cinq dont seul le chef est en liaison avec le responsable du comité local, composé de trois membres. Dès qu’il y a plus de cinq groupes dans une localité, on doit interposer un échelon intermédiaire: le groupement. Au comité cantonal, composé de trois membres, le responsable politique, et lui seul, est en liaison avec les comités locaux, le responsable militaire organise le combat avec le concours d’un adjoint spécialisé dans la recherche de renseignements sur l’ennemi. L’organisation bien cloisonnée sera moins vulnérable aux coups de l’ennemi."
Trois membres sont élus à la direction régionale : Raoul Benigni, Pierre Pagès, Etienne Micheli, plus connu sous le prénom de Léo. alias Léo. Vient ensuite la désignation des responsables de secteurs : Albert Fontana pour Bastia, Moïse Ferrandi à Corte, Maurice Choury à Ajaccio, et Toussaint Mary pour Sartène.
La conférence de Porri terminée, les 25 militants repartent chacun dans leurs communes respectives, sans être arrêtés. L'esprit de résistance prend, avec le Front national, un nouvel élan en Corse, avec deux principales résolutions : "affaiblir l'occupant en démoralisant la troupe, en la dissociant des chefs fascistes et de l’Allemagne hitlérienne", et "créer les conditions de la lutte de masse armée contre l’occupant".
Plusieurs autres réunions clandestines prendront régulièrement place à Porri-di-Casinca. Le 7 septembre 1943, les principaux chefs de la résistance s'y donnent à nouveau rendez-vous, cette fois, pour mettre au point les derniers détails du soulèvement de l'île. Le 8 septembre, l'armistice signé cinq jours plus tôt entre l'Italie et les Anglo-Américains à Cassibile est révélé par la BBC. En Corse, un ordre d'insurrection est immédiatement lancé par le comité départemental du Front national.
Le mouvement est alors fort de près de 12.000 hommes. Les combats, violents, prennent part partout sur l'île - contre les troupes Allemandes, l'Italie ayant capitulé - et durent près d'un mois, débutant par la libération d'Ajaccio, le 9 septembre, jusqu'à celle de Bastia, le 4 octobre 1943. 172 résistants corses y trouvent la mort. Mais la Corse est le premier département français libéré, plus d'un an et demi avant l'ensemble du territoire national.
L'impression d'un journal résistant
C'est aussi à Porri, dans une grotte, ou plutôt une excavation, enfoncée dans la végétation, à 400 mètres du village et difficile d'accès, que sont imprimés, dès 1942, plus de 100.000 tracts d'appel à la résistance. Surtout, c'est là qu'est conçu le journal "Le Patriote", organe du Front national, véritable outil d'information et de militantisme. Dans chacune de ses éditions - illégales -, le journal n'aura de cesse d'exalter la population à la rébellion, tout en rendant compte de l'évolution de la guerre.
Un quotidien tiré sur du papier de mauvaise qualité, et pour lequel les auteurs comme les lecteurs risquaient jusqu'à la peine de mort. La Une de sa première édition légale, le 9 septembre 1943, titrera sur "la Corse enfin libérée".
Au-delà de la Grotte de Porri, c'est tout un village qui a pris part, chacun à sa manière, au mouvement de résistance en pleine Seconde guerre mondiale, cachant dans les diverses maisons des tracts, des armes, ou faisant passer des messages aux résistants. Une commune encore aujourd'hui considérée comme un haut lieu de la résistance insulaire.