Portrait : Freddy Olmeta, la guitare dans le sang

Depuis 40 ans, le musicien bastiais vit, dort, et respire guitare. Avec son premier groupe, Les Varans, il a donné un coup de fouet salutaire au rock en langue Corse. Et depuis, il a collaboré avec les plus grands artistes insulaires, tout en continuant à creuser son propre sillon. Jusqu'à son premier album solo, Più che mai. Portrait.

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"Ca fait 25 ans, tu imagines... C'est François qui me l'a dit tout à l'heure. J'avais même pas réalisé". François, c'est François Spinelli, le chanteur du groupe Eppò, qui se produit ce vendredi soir sur la scène du Spaziu culturale Charles Rocchi, à Biguglia.

Freddy Olmeta, lui, attend en coulisse, guitare en bandoulière. Et malgré la pénombre, on devine son sourire. 

Dans quelques instants, il va rejoindre le groupe sur scène, le temps d'un morceau, Icaru Blues. Eppò s'apprête à reprendre la chanson qui donnait son nom au premier album des Varans, sorti en 1997 en Corse. C'était hier, c'était il y a une éternité... 

Lumière

Lorsque les premières notes d'Icaru Blues résonnent dans le théâtre, où les 500 places ont trouvé preneur, c'est l'ovation. Dans le public, nombreux sont ceux qui se souviennent de la sortie de cet album, et du vent de fraîcheur qu'il avait fait souffler sur la chanson corse. Ils ne cachent pas leur joie de retrouver, réunis sur la même scène, Freddy Olmeta, Ange Torre, François Spinelli et Ange Bianchini, pierres angulaires des Varans, séparés depuis de longues années. 

On avait la jeunesse avec nous, la passion, et puis un peu de scimità, je vais pas dire le contraire... Mais on prenait toujours la musique au sérieux.

Freddy Olmeta

A peine entré dans la lumière des projecteurs, Freddy prend un premier solo. Au fil du morceau, les notes tirées de sa guitare viendront poser un contrechant heureux à la voix de François Spinelli, avant, cela n'étonnera personne, que le Bastiais ne se lance dans deux autres solos. Trois solos mis au service de la chanson, qui transpirent le talent et l'humilité.

On est loin du jeune spadassin plein de sève, qui, il y a un quart de siècle, grimpait sur scène, conquérant, bien décidé à mettre K.O. le public, et à ratiboiser la concurrence, au moment d'entamer le solo de Sultans of Swing de Dire Straits

Oser

Le lendemain matin, lorsqu'on lui rappelle les glorieuses années où les Varans prenaient d'assaut le Pietrabugno Bar, près de Bastia, pour des prestations homériques, des concerts où les amplis étaient poussés à 11, où le groupe jetait des canistrelli dans le public, où les musiciens sautaient à pieds joints sur leur instrument, et où Alain Guaitella, tenancier du lieu, les rejoignait sur scène, portant une tenue de prêtre, pour hurler U Saccu suspendu aux rampes de projecteurs, Freddy esquisse un sourire qui en dit long : "On avait la jeunesse avec nous, la passion, et puis un peu de scimità, je vais pas dire le contraire... On prenait la musique au sérieux, mais on s'autorisait tout, on n'avait aucune ligne de conduite établie".  

Il serait trop facile de réduire les Varans à cela. Durant les quelques années où il a tourné à travers la Corse, le groupe a initié un mouvement, celui du rock chanté en langue corse. Freddy, assis dans son salon, sur les hauteurs de Bastia, s'empresse d'apporter un bémol : "on n'était pas les seuls. Avant nous, il y avait eu Zia Devota, et puis après, I Cantelli, et d'autres..."

Il n'empêche. Le groupe a prouvé à celles et ceux qui étaient adolescents dans les années 90 que la langue corse pouvait se mêler harmonieusement aux riffs de guitare saturée, et aux inflexions vocales d'un chanteur qui avait écouté toute sa vie Robert Plant et Ian Gillan.

Quand on lui demande comment cela a été vu dans le milieu de la chanson insulaire, pas particulièrement aventureux à l'époque, Freddy hausse les épaules. "Il n'y a pas eu d'opposition, mais c'est vrai qu'on voulait tester plein de trucs, et certains, en nous entendant étaient un peu déstabilisés"

Grand écart

Il faut dire que ces éléments perturbateurs sortaient brutalement d'un moule qu'il connaissaient par cœur. Et qu'ils ne voulaient surtout pas faire table rase du passé.

Freddy Olmeta a commencé à jouer de la guitare à l'âge de douze ans, en écoutant et tentant de reproduire les morceaux de Paulo Quilichi et d'Antoine Bonelli dont les disques traînaient chez lui, à Solenzara, où son père était gendarme. "Mon père jouait, mes cousins jouaient, mon frère jouait... Un matin, je me suis levé, et je m'y suis mis". Pendant son adolescence, alors que toute la famille est retournée vivre à Bastia, il prend des cours au conservatoire, avec Lucien Ferreri, puis "rue du Castagnu, chez Tatich"

La guitare électrique, alors, n'est pas vraiment à l'ordre du jour, même si son frère lui a fait découvrir Deep Purple, Led Zep et Pink Floyd, et que Freddy use leurs albums. Son talent, une guitare sèche à la main, est vite reconnu, et il commence à jouer dans les cabarets, comme au Rataghju, où il fera la connaissance d'Ange Torre, avec qui il fondera bientôt les Varans, un groupe qui enchaîne les reprises de classiques du rock avant de commencer à écrire ses propres chansons, mélange de ces deux influences, le rock et la chanson corse. "C'est là que je suis passé à l'électrique", se souvient Freddy. 

A l'âge de 21 ans, en parallèle, il joue sur l'album Corsica, de Petru Guelfucci. Le succès est énorme, et pas seulement en Corse. Au Québec, l'album explose les compteurs, avec plus de 100.000 exemplaires vendus. Une tournée dans "la belle province" suit, que Freddy, malicieux, qualifie aujourd'hui encore de "rock'n'roll"

Si j'avais été à Paris, j'aurais pas été le plus mauvais !

Freddy Olmeta

Depuis plus de 30 ans, Freddy a accompagné tout ce que la Corse compte d'artistes, de Guelfucci à Patrizia Poli en passant par Canta U Populu Corsu ou I Muvrini. Sur scène, et en studio. "J'ai fait 22 albums, en tout, en plus des trois des Varans, et du mien, Più che mai". Des rumeurs, un temps, lui prêtaient des offres pour devenir musicien de studio à Paris. Le quinquagénaire le nie, assurant qu'il ne refuserait jamais "quoi que ce soit dans le domaine". Avant de rajouter, avec ce mélange d'orgueil et d'autodérision qui ne l'a jamais quitté : "mais si j'avais été à Paris, j'aurais pas été le dernier !"

 Guitar maniac

Derrière Freddy, 4 guitares trônent sur leur stand, au milieu du salon. Une guitare sèche, deux Fender Telecaster, une GIbson SG, celle avec laquelle il a sillonné les routes de l'île durant plusieurs années, habillé en écolier satanique, au sein du tribute band à AC/DC. Et le musicien s'empresse de préciser qu'il y en a une quinzaine d'autres à l'étage, avec les amplis Mesa Boogie et le reste du matériel.

"J'ai toujours aimé la guitare, toutes les guitares. Parce que j'aime tous les styles. Manouche, rock, hard, classique, blues, métal... C'est une histoire de passion". Et quand on lui demande comment il a fait pour arriver à maîtriser autant de styles différents, il balaie le compliment d'un revers de main. "C'est rien ça. Y a des gens, ils ont un degré de passion tellement important que leur cerveau leur envoie tout ce qui est nécessaire pour qu'ils puissent passer tranquillement 16 heures par jour à travailler, alors que moi, même si j'essaie, mon cerveau sature, au bout de 4 heures. Il me dit "maintenant tu te lèves, tu vas boire un coup, tu prends ton téléphone". Impossible d'être en immersion comme ils le font". 

Et pourtant. Il y a quelques années, lorsque Freddy Olmeta s'est pris de passion pour Dimebag Darrell, le guitariste de metal du groupe texan Pantera, il a travaillé sans relâche, pour apprendre une dizaine de ses morceaux. "Je ne comprenais même pas comment il faisait ! Il me fascinait, tout était infaisable ! En quelques mois, j'ai perdu 4 ou 5 kilos. Vraiment !"

Je pense que dans la vie, on est où l'on doit être. Il ne faut pas avoir de regrets. C'est le plus important

Freddy Ometa

Le vrai problème, finalement, c'est le manque de temps. Freddy donne également des cours de guitare. Et tous les jours, depuis 19 ans, trois élèves se présentent chez lui pour parfaire leur jeu.  Beaucoup, à l'image de Nico Torracinta, ont depuis fait leur chemin dans la musique.

Et puis, il y a encore autre chose. Contrairement à ses idoles, Freddy a un métier, depuis des décennies. Tous les matins, concerts ou plans à travailler, il doit se présenter au lycée Giocante de Casabianca, où il est magasinier. "Parfois, je ressens le décalage, c'est vrai. Mais moi, je pense que dans la vie, on est où l'on doit être. Il ne faut pas avoir de regrets, c'est le plus important." 

S'accepter

La place de Freddy Olmeta est sur scène, il le sait. Que ce soit à Paris, Glastonbury ou Biguglia. Même si cela n'a pas toujours été facile. "Les grimaces que je fais en jouant... Tu as vu ça ? J'ai du mal à me regarder en vidéo, ça me rend fou. J'ai longtemps essayé de m'en empêcher, mais c'est impossible. C'était aller contre ce que je suis. Alors j'ai décidé de m'accepter"

Le guitariste marque une pause, avant de reprendre : "de toute manière c'est impossible de se contrôler, de réfléchir à l'image qu'on renvoie. Sinon on sort du truc. A un moment, sur scène, je décroche, je ne suis plus moi-même, et tant pis pour ce qu'il se passe. Je me fous même des pains que je peux faire ! On peut pas tricher, sur scène."

J'avais pas le choix, il est venu devant la chambre, et il s'est mis à genoux pour me supplier de jouer avec lui

Marc-André Olmeta

L'année dernier, Freddy Olmeta a sorti son premier album solo, Più che mai, un album instrumental qui mélange avec audace ses influences. "Depuis le temps, il fallait que toutes les idées que j'avais dans la tête se concrétisent d'une manière ou d'une autre. On l'a fait chez Christophe MacDaniel, qui est mon ami, et un compagnon de route de la première heure"

Alors que l'on s'apprête à quitter Freddy Olmeta, son fils, Marc-André fait son entrée. Le jeune homme de 22 ans, également guitariste, l'accompagne sur scène depuis la sortie de l'album. Quand on lui demande ce que ça lui fait, il nous jette le genre de regard que l'on a vu mille fois chez son père, et répond, goguenard : "j'avais pas le choix, il est venu devant la chambre, et il s'est mis à genoux pour me supplier de jouer avec lui !", avant d'éclater de rire. 

On est rassurés. La relève est assurée. Et pas uniquement guitare en main. 

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