La rixe qui s'est déroulée, dans la nuit du 5 au 6 janvier, à Furiani, a suscité l'émotion dans la région. Une semaine plus tard, plusieurs centaines de personnes se sont réunies à Paese Novu pour dénoncer un climat d'"insécurité" et de "violence".
"Cette fois-ci, c'est tombé sur mon frère. C'est tombé sur notre famille. Mais cela aurait pu arriver à chacun d'entre vous. À vos enfants. À vos cousins. Toccu u legnu, que ça ne vous arrive jamais. Il faut que s'arrête. Il faut que ça s'arrête".
Au centre de la pelouse synthétique du city-stade de Paese Novu, entouré des grandes barres d'immeubles du quartier, Guillaume, micro dans une main, notes dans l'autre, s'adresse aux centaines de personnes, jeunes et moins jeunes, qui ont fait le déplacement pour témoigner leur soutien.
Il est le seul représentant de sa famille, présent à ce rassemblement dont elle n'est pas "à l'origine", mais qui la "touche beaucoup". "Mon frère est à la maison, avec mes parents. Au-delà de ses blessures physiques, il est effondré psychologiquement".
Exaspération
Alors que l'affaire a agité les réseaux sociaux et la classe politique au cours des derniers jours, et que l'enquête poursuit son chemin, Guillaume entend bien faire la version de son frère.
Selon lui, tout a débuté au printemps dernier, lors d'une séance de cinéma où une dizaine de jeunes gens multiplie les manifestations bruyantes, perturbant la séance. Raphaël aurait fait entendre son mécontentement. Quelques mois plus tard, les mêmes croisent Raphaël dans un fast-food de Montesoro. "Ils l'ont obligé à s'excuser. Mon frère a pris quelques coups, et malgré leur nombre, il a réussi à s'échapper".
Dans le public, les manifestations d'exaspération, voire de colère, se font de plus en plus sonores, au fil du récit. Les gens qui sont sur place sont venus pour témoigner leur soutien au jeune homme, mais également pour dénoncer un climat qu'ils jugent de plus en plus délétère dans les quartiers sud.
Le communautarisme a tout foutu en l'air
"Je suis contente qu'on bouge enfin. Je suis née et j'ai grandi à Paese Novu", confie Armelle, 64 ans. "Et depuis quelques années, je ne reconnais plus mon quartier. Le communautarisme a tout foutu en l'air. C'est devenu la zone. Il y a des gens, quand je les croise, je change de trottoir".
Dominique, la cinquantaine énergique, veste de treillis et regard noir, est très remonté. "En Corse, ça ne se voyait pas, ça. C'était pas comme sur le continent. On n'avait pas des petits caïds comme dans la banlieue parisienne. Et depuis quelque temps, on dirait qu'ils veulent faire la loi. Mais ils devraient savoir qu'ici, on ne se laissera pas faire".
Pas d'amalgame
L'irritation est palpable, mais tout se déroule dans le calme, malgré les craintes de la préfecture de Haute-Corse, et les camions de CRS postés quelques mètres plus loin.
Aucune provocation, aucun geste déplacé, aucune parole à même de faire dégénérer les choses.
Guillaume prend soin de le rappeler, au micro : "Paese Novu fait partie de la ville de Bastia. Nous ne stigmatisons pas les habitants du quartier. Eux aussi subissent la pression de ces individus".
L'appel à la mobilisation a été largement entendu, mais on ne sait toujours pas, alors que les manifestants se dispersent, qui en est à l'origine.
L'association Palatinu, omniprésente durant la mobilisation, l'assure. Elle n'a fait qu'"encadrer une initiative qui a été lancée sur les réseaux sociaux du quartier". Mais l'association identitaire et culturelle nationaliste, qui tient un discours plus à droite que les autres partis nationalistes, ne s'est pas privée de faire entendre sa voix.
Nous refusons que la Corse ressemble à un quartier du 9.3
Nicolas Battini
Pour Nicolas Battini, son président, il était de la responsabilité de Palatinu d'être là. "Il faut que nous marginalisions ces comportements qui sont nouveaux chez nous. S’ils ne se heurtent pas à des réactions populaires vives et pacifiques, il est évident qu'ils tendront à se multiplier, et nous le refusons totalement. Nous refusons que la Corse ressemble à un quartier du 9.3".
Parmi les figures du milieu politique insulaire, quelques caciques de l'extrême droite insulaire, passés et présents, tels que Jean-Michel Lamberti, Alexis Fernandez, Filippo de Carlo, Jean-Antoine Giacomi, ou Christophe Canioni. Personne du côté des partis nationalistes, pas même chez Core in Fronte ou le PNC, qui avaient manifesté leur soutien à Raphaël sur les réseaux sociaux, ou du côté des partis "traditionnels", hormis Julien Morganti, élu de l'opposition municipale, qui a fait une discrète apparition en début d'après-midi.
Mais Nicolas Battini prend soin de le préciser, les problématiques soulevées aujourd'hui "ne sont pas des problématiques d'extrême droite. Elles concernent le peuple, les ouvriers, les chômeurs qui vivent loin des centres-villes plus protégés".
Le fondateur de l'association Palatinu ne s'est pas privé de pointer du doigt les responsabilités politiques qui, selon lui, ont laissé s'installer un tel climat. "Ces situations sont possibles, et ont tendance à se multiplier, en ce que le discours public de la majorité territoriale et d'un certain nombre de forces politiques, qui n'ont pas l'exclusivité de la culpabilité en la matière, ont décidé d'évacuer et d'exclure totalement les réalités politiques qui nous touchent tous ici, et qui rendent possible ce genre de situation. La question migratoire les questions sécuritaires qu'elle implique nécessairement."
Et l'association Palatinu, qui n'a pas fait mystère de sa volonté d'investir le terrain électoral, semble bien décidée à mener ce combat.