Dominique Garcia à l'Inrap : "la culture corse est une sorte de tableau où l'archéologie arrive à faire des zooms"

Alors que les fouilles préventives se multiplient en Corse, Dominique Garcia, président de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) est revenu sur les découvertes récentes et sur les perspectives d'avenir. Bientôt, des fouilles auront lieu dans les profondeurs de la mer.

Dominique Garcia, président de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) était en visite en Corse dans le cadre d'un séminaire au musée archéologique de Lucciana. Il est revenu sur les fouilles et diagnostics récents menés par son institut en amont de certains projets de construction sur l'île.

France 3 Corse ViaStella : On entend de plus en plus parler de fouilles archéologiques en Corse. Est-ce que les archéologues sont plus actifs ou est-ce qu'ils communiquent davantage ?

Dominique Garcia : Il y a des fouilles depuis toujours en Corse, une tradition archéologique qui est ancienne. Il y a ensuite la loi sur l'archéologie préventive qui s'applique, en Corse comme ailleurs, depuis 2002, avec la création de l'Inrap. Mais en revanche, ce qui manquait en Corse c’est peut-être l'installation d'une équipe sur place, ce qui est le cas maintenant depuis trois ans à Vescovato.

Pour vous donner un ordre d'idée, il y a eu depuis 2018 environ 70 diagnostics et une trentaine de fouilles qui en ont découlé. Il n'y en avait pas eu autant depuis 100 ans.

Avant, quand il y avait des prescriptions, les archéologues venaient du continent. Il leur fallait deux jours pour arriver. Ils n'avaient pas forcément une culture des ensemble archéologiques parce que le principe de l'archéologie, c'est de bien connaître les objets que l'on découvre.

Ces fouilles de sauvetage préventives sont aujourd'hui perçues en Corse comme des outils importants du développement économique et culturel. Alors qu'au départ, les gens avaient la crainte de voir de l'archéologie préventive lors des travaux.

Aujourd'hui, cette archéologie préventive commence à dessiner un cercle vertueux. Car à la fois on extrait de la connaissance, on commence à la valoriser d'un point de vue scientifique et culturel, mais on libère également du terrain pour l’aménagement. Donc on voit des particuliers qui sont à la fois heureux de pouvoir construire leur maison dans des endroits où normalement ils ne devraient pas y être autorisés et en même temps, ont voit des vestiges archéologiques qui ont été extraits par l’Inrap étudiés, exploités, partagés avec les médias, avec les scolaires et au sein du musée de Mariana à Lucciana. 

France 3 Corse ViaStella : Quand des découvertes importantes sont faites, nous (médias, habitants de la Corse) sommes prévenus. Mais nous savons que l'archéologie se fait dans un temps long, que l'état des connaissances progresse même après la fin des fouilles sur un site. Que nous apprennent les fouilles récentes sur l'histoire de la Corse ?

Dominique Garcia : Nous avons accumulé de la donnée que nous avons présentée au public, dans les musées, dans des petites expositions et auprès des scolaires. Mais le but, dans trois ou quatre ans, c'est de faire une exposition récapitulative.

Souvent, la Corse était présentée par son côté insulaire local typique, un petit peu enfermée. Aujourd'hui, la richesse de son archéologie lui permet peut-être de retrouver une place sur la carte de la Méditerranée. On peut faire des liens avec l'âge de bronze, avec la Sardaigne, etc.

La culture Corse, c'est l'adoption d'influences extérieures, venant de l'Orient, de l'Occident, du sud de la Méditerranée au nord. La Corse est à la fois un endroit de passage, d'influence et chacune de ces influences, chacun de ces passages ajoutent un peu de matière dans une sorte de forge qu'est la culture originale. Ce qu'on appelle aujourd'hui l'identité corse ou la culture corse, c'est une sorte de tableau. L'archéologie arrive à faire des zooms sur chaque partie de ce tableau en dénichant les influences.

On connaissait plus ou moins les échanges avec la Méditerranée mais l'archéologie permet de matérialiser ce savoir.

Un exemple me tient à cœur. Les éditions Flammarion ont demandé à l'Inrap, au niveau national, de faire un livre qui s'appelle La Fabrique de la France, il vient de paraître. 

Ils nous ont demandé d'écrire une sorte d'Histoire de France. Il était hors de question qu'on fasse un roman national. On a donc établi un bilan des belles découvertes archéologiques partout en France. La Corse y apparaît à plusieurs reprises. Cela donne une vision tout à fait nouvelle. Ce n'est pas une histoire de la France vue de Paris mais bien une histoire de France vue depuis les territoires. Les particularités régionales apparaissent plus fort.

Les découvertes d'Aléria, le Mithraeum (sanctuaire dédié au culte de Mithra) à Mariana, y apparaissent clairement. Donc c'est à la fois une richesse qui est mise en évidence ici, sur le territoire de l'île, mais qui permet également de réécrire une Histoire de France.

France 3 Corse ViaStella : Est-ce que vous pouvez nous dire ce que les découvertes récentes nous ont appris ?

Dominique Garcia : La tombe d’Aléria est un élément essentiel parce que même en Italie, il n'y a pas de de fouilles récentes des tombes étrusques. La fouille de la tombe étrusque à Aléria est un patrimoine corse singulier. On savait depuis longtemps qu'Aléria était un site étrusque, il y avait longtemps qu'on n'avait pas fouillé avec autant d'attention une tombe étrusque. Donc outre l'aspect patrimonial, c'est  également un coup de projecteur sur une forme d'archéologie méditerranéenne qui aujourd'hui intéresse nos collègues anglais, italien, allemands, etc.

À Lucciana, on a pu fouiller un lieu de culte romain qui est spécifique, qui s'appelle le culte à Mithra, une divinité d'origine orientale. On dit que ce sont les soldats romains qui sont revenus d'Orient, qui ont apporté ces pratiques cultuelles. C'est un culte influencé par les cultes orientaux avec notamment des offrandes nombreuses, de la statuaire, de la sculpture, des petites inscriptions. 

On connaissait quelques exemples en Italie, quelques exemples dans le nord de la Gaule. Mais toujours assez mal conservés. Là, par chance, la fouille qui a eu lieu à Lucciana a permis de découvrir dans un sanctuaire à Mithra qui est un des mieux conservés de tout l'Empire romain.  

France 3 Corse ViaStella : Quel avenir envisagez-vous pour l'archéologie en Corse ? Est-ce que cette accélération du rythme des fouilles entamé en 2018 va se poursuivre ?

Dominique Garcia : Au stade où on va, les choses vont se stabiliser. Les archéologues ne vont pas fouiller beaucoup plus. Il n'y a pas de grands travaux a prévus en Corse, donc on va continuer à dérouler nos pratiques comme on le fait actuellement.

Ce qui peut-être dans l'avenir va émerger, c'est que  l'Inrap a désormais une cellule d'archéologie subaquatique.  Les prescriptions pourraient démarrer dès 2022. Par son insularité et son lien avec le commerce maritime, la Corse offrira sans doute des découvertes intéressantes, parce que le patrimoine sous-marin est encore mésestimé. 

Comme pour les fouilles terrestres, nous interviendrons en amont des projets d'aménagement. Les prochaines fouilles que nous devons réaliser se feront dans le cadre de l'installation de câbles sous-marins entre l'Italie et la Corse. Nous intervenons car ces travaux peuvent impacter des zones archéologiques qui sont riches, parce que les zones littorales sont souvent, pour l'Antiquité et pour la Préhistoire, des zones extrêmement importantes.

France 3 Corse ViaStella : Comment cela va-t-il se passer, concrètement ?

Dominique Garcia : Une fois que l'opérateur aura proposé un tracé précis pour la mise en place des câbles, on va suivre le tracé soit en faisant ce qu'on appelle de la géophysique, c'est-à-dire qu'on étudie les images des zones qui sont sous l'eau, soit ensuite, s'il y a des endroits où il y a des anomalies, des endroits où il nous semble qu'il y a des vestiges, à ce moment-là, on envoie des plongeurs. 

Pendant longtemps l'archéologie sous-marine se cantonnait à des profondeurs de 10, 15, 20 mètres. Il y avait des limitations techniques. Aujourd'hui on a des moyens mécaniques qui permettent d'aller à plusieurs centaines de mètres, donc il n'y a plus de problème de profondeur. Nous envoyons des sortes de petits robots sous-marins qui sont capables de prendre des photos de prélever certaines pièces, certains objets, etc. 

L'important, ce n'est pas la prouesse en tant que telle. C'est que souvent, les épaves qui ont été coulées dans des zones peu profondes jusqu'à 30 mètres peuvent être détruites soit par des filets de pêche, soit par du pillage. Alors que dans les profondeurs on va avoir des épaves sont parfaitement conservées. 

France 3 Corse ViaStella : Récemment une affaire de vols de bien culturels a été mise au jour en Corse. Sept interpellations ont eu lieu en octobre. Est-ce que c'est un phénomène que vous rencontrez fréquemment ?

Dominique Garcia : Il faut savoir que le phénomène des pillages existe partout en France. Ce n'est pas pire en Corse qu'ailleurs.

L'usage de ces détecteurs, qui est parfois présenté de manière sympathique, comme une activité de loisirs, est en fin de compte quelque chose de lucratif.   On s’aperçoit aujourd’hui, dans les affaires qui sont sorties récemment, que les objets extraits sont ensuite vendus. Ils alimentent le marché de l'art, permettent de blanchir de l’argent, etc. Donc ce n’est pas une activité sympathique. Les pilleurs vont avec une pioche et une pelle abîmer des sites restés intacts pendant des millénaires.

C'est à la fois les propriétaires des terrains à qui on vole ces objets. Et ensuite ces objets qui ont été pris, qui vont alimenter un commerce international. Donc les pillages engendrent à la fois une perte de matérialité et une perte de connaissance. 

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