Huit ans après les assassinats de Joseph Sisti et Jean-Louis Chiodi, les investigations ont été confiées à un magistrat instructeur basé sur le Continent. Signe que les dossiers de règlements de comptes en Plaine orientale peinent à aboutir en Corse ?

Après huit ans d’enquête, le dossier dit du "double assassinat de Pietroso "vient d’être "dépaysé" à Lyon. Dans le jargon judiciaire, cela signifie que la procédure est envoyée dans une juridiction différente de celle où elle a débuté.

C’est donc désormais un magistrat relevant de la juridiction Auvergne-Rhône-Alpes qui aura la charge de faire toute la lumière sur la mort de Joseph Sisti, éleveur de 58 ans et de son beau-frère Jean-Louis Chiodi, commerçant de 51 ans, assassinés le 8 avril 2012 en Plaine orientale.

"Une bonne administration de la justice"

L’objectif affiché de ce transfert est justifié par une phrase concise : "dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice". La formule pourrait cependant cacher une situation plus complexe.

Dans ce dossier, la partie civile demande en effet que les gendarmes en charge de l’enquête viennent rendre des comptes devant le juge d’instruction.

Selon nos informations, c’est cette réclamation qui aurait justifié le choix du magistrat bastiais de passer la main à un homologue continental.

"Cela peut se comprendre, concède une source proche de l’affaire. Auditionner des enquêteurs avec qui il travaille tous les jours, c’est un peu délicat pour un juge".

Enquête au point mort

Si le sujet est aussi sensible, c’est sans doute parce que l’enquête est au point mort depuis longtemps.

Huit ans après le double homicide, aucun coupable potentiel n’a en effet été identifié et les chances de voir l’affaire arriver un jour devant une cour d’assises semblent bien minces.

Pourtant, depuis 2012, quatre magistrats instructeurs du tribunal de grande instance de Bastia se sont succédé à la tête des investigations. En vain.

Suspect blanchi

En janvier 2015, l’enquête avait connu un rebondissement avec la mise en examen pour "complicité d’assassinats par instigation" d’Olivier Sisti, restaurateur de Plaine orientale bien connu de la police.

Le suspect avait finalement bénéficié d’un non-lieu. Depuis, les familles des victimes s’opposent à ce que le dossier soit clôturé et ne se solde par un non-lieu total.

Contactés, leurs avocats n’ont pas souhaité s’exprimer sur le dépaysement de l’enquête à ce stade, préférant attendre d’être reçus par le juge d’instruction lyonnais.

Le cas du juge Cornu

Reste désormais à savoir si le magistrat aura plus de facilités que ses prédécesseurs à démêler les fils d’une affaire complexe, ancrée dans le contexte très sensible de la série de règlements de comptes qui a ensanglanté la Plaine orientale dans la décennie 2010.

Particulièrement délicate, l’affaire Chiodi-Sisti a par ailleurs été à l’origine des déboires professionnels du juge d’instruction François-Marie Cornu.

En charge de la quasi-totalité des dossiers d’assassinats en Plaine Orientale, le magistrat s’était ému de l’attitude des gendarmes dans plusieurs enquêtes criminelles, leur reprochant leur inertie.

Notamment concernant la personne d’Olivier Sisti. Un temps suspect dans plusieurs dossiers criminels, puis mis hors de cause, le restaurateur avait lui-même été victime de cinq tentatives d’assassinats.

Série de règlements de comptes

Dans la décennie 2010, la micro région de Plaine orientale a été ensanglantée par une série de règlements de comptes.

En quatre ans, on recense ainsi 15 homicides et 8 tentatives d’assassinats. Aucune de ces affaires ou presque n’a été élucidée.

Fait notable : contrairement aux autres dossiers relevant du crime organisé en Corse, les affaires de règlements de comptes de la Plaine orientale semblent avoir peu intéressé la juridiction interrégionale de Marseille (Jirs), spécialisée dans ce type de dossiers.

Ainsi, deux procédures seulement sont pilotées par la Jirs. Elles concernent des victimes en lien avec le monde politique insulaire.

Aucunes affaires résolues

Selon le parquet de Bastia, huit dossiers se sont soldés par un non-lieu et quatre sont toujours en cours. Un est instruit à Bastia, deux confiés à la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille et le dossier Chiodi-Sisti, dépaysé à Lyon depuis la fin de l’été 2020.

S’il a été impossible aux autorités d’établir les motivations précises de ces divers meurtres, la justice les ancre pour la majorité d’entre eux dans un contexte global de règlements de comptes entre plusieurs bandes criminelles, sans considérer pour autant que les victimes aient toutes fait partie du crime organisé.

Au centre des enjeux financiers : les secteurs de la promotion immobilière et des déchets.

Le double assassinat de Pietroso

Dimanche 8 avril 2012 : Jean-Louis Chiodi et Joseph Sisti sont tués par arme à feu sur l’exploitation agricole familiale située au lieu-dit Quinzena, sur la commune de Pietroso.

Alors qu’ils s’apprêtent à aller nourrir les bêtes, ils sont pris pour cible par des tueurs armés. Leurs corps seront retrouvés par des proches inquiets de ne pas les voir revenir à la mi-journée.

Inconnu de la police et de la justice, Jean-Louis Chiodi était un commerçant de 51 ans sans histoires. Son beau-frère Joseph Sisti était, lui, connu comme un militant nationaliste engagé de longue date.

Militant à la Cuncolta puis à l’ANC, il avait été élu à l’assemblée de Corse en 1992. En 1999, il avait été signataire des accords de Migliacciaru pour l’ANC.

Retiré de la vie publique pendant des années, il avait fait une réapparition en novembre 2011 lors d’une conférence de presse organisée en soutien à son fils, recherché par la police dans le cadre d’une enquête antiterroriste.

Marche contre la violence

Dans la région déjà marquée par plusieurs assassinats, le double homicide de Jean-Louis Chiodi et de Joseph Sisti avait créé une onde de choc.

Trois semaines après le crime, 500 personnes avaient participé à une marche silencieuse contre la violence à Ghisonaccia.

Le frère de Joseph Sisti avait, à cette occasion, prononcé un discours pour déplorer, déjà, "l'absence de résultats des enquêtes policières et du peu de moyens des enquêteurs".

Assassinats en Plaine Orientale, chronologie
  • Août 2010 : Tentative d’assassinat de Jacques Paoli à Solaro. Le commerçant est pris pour cible alors qu’il se trouve à l’intérieur de sa paillotte "U Libecciu".
  • 25 octobre 2010 : Tentative d’assassinat d’Olivier Sisti à Ghisonaccia. Le commerçant est poursuivi par des hommes armés sur le parking d’une société de BTP sur la route de la mer.
  • 16 décembre 2010 : Assassinat de Marc Paolini à Prunelli di Fiumorbu. Le président du club de l’Union sportive de Ghisonaccia est assassiné devant chez lui alors qu’il rentre d’une réunion au club de football. Sa femme et son fils cadet sont présents. Le crime va provoquer une forte réaction dans la population. Une marche blanche est organisée après son assassinat. 3000 personnes y participent.
  • 9 février 2011 : Tentative d’assassinat de Jacques Paoli à Prunelli di Fiumorbu. Le commerçant est une nouvelle fois pris pour cible, par le biais d’un engin explosif placé dans son véhicule.
  • 21 mars 2011 : Assassinat de Dominique Domarchi à Sant’Andria di u Cotone. Le conseiller de Paul Giacobbi est assassiné dans son village, alors qu’il rentre d’une réunion au conseil général de Haute-Corse faisant suite aux élections territoriales.
  • 28 juin 2011 : Assassinat de Charles Philippe Paoli à Taglio Isolaccio. Militant nationaliste, membre présumé du FLNC, le promoteur immobilier est assassiné par deux hommes en scooter.
  • 24 juillet 2011 : Assassinat de Dominique Ferrari à Ghisonaccia. Le restaurateur est tué par balles sur le chantier de son établissement, qui était en reconstruction après avoir été détruit par incendie.
  • 28 octobre 2011 : Assassinat de Christian Leoni à Moriani. Le promoteur immobilier est assassiné à la sortie d’un restaurant. Le crime est revendiqué par le FLNC UC en riposte à l’assassinat de Charles Philippe Paoli. Cédric Courbey, principal accusé, sera acquitté par la cour d’assises spéciale en juillet 2019.
  • 4 décembre 2011 : Assassinat de Jacques Paoli à Prunelli di Fiumorbu. La victime est assassinée à son domicile, sous les yeux de sa femme, par un individu cagoulé et armé qui s’introduit à l’intérieur de la maison.
  • 23 janvier 2012 : Assassinat d’Albert Pieri à Brando. Originaire de la Plaine orientale, il est assassiné par deux hommes à moto alors qu’il quitte la carrière de pierre de Brando à bord de son véhicule professionnel.
  • 8 avril 2012 : Assassinat de Joseph Sisti et Jean Louis Chiodi à Pietroso. Les deux hommes sont tués par arme à feu alors qu’ils s’apprêtent à aller nourrir leurs bêtes sur l’exploitation agricole familiale.
  • 21 mai 2012 : Tentative d’assassinat d’Olivier Sisti à Aleria. Le restaurateur est pris pour cible alors qu’il circule en voiture. Atteint au visage il parvient à s’échapper et à se rendre chez les pompiers.
  • 28 mai 2012 : Tentative d’assassinat d’Olivier Sisti à l’hôpital de Bastia. Hospitalisé à la suite de la tentative d’assassinat dont il a fait l’objet, Olivier Sisti est à nouveau visé, sur son lit d’hôpital, par un homme qui escalade la façade et fait feu à travers la fenêtre. Olivier Sisti est gravement atteint, mais survit.
  • 20 novembre 2012 : Assassinat de Victor Manuel Ribeiro Ferreira de Faria à Cervione. Entrepreneur dans le bâtiment, il est assassiné à Prunete. Il aurait fait l’objet d’un racket.
  • 6 février 2013 : Tentative d’assassinat de Christophe Pieri à Prunelli di Fiumorbu. Fils de Charles Pieri, la victime est prise pour cible à bord de son véhicule.
  • 31 mai 2013 : Assassinat de François Masini à Moriani. Entrepreneur dans le bâtiment de 48 ans, il est pris pour cible par des tueurs alors qu’il circule en voiture en direction de Moriani plage.
  • 3 juillet 2013 : Assassinats de Jean Dominique Cortopossi, Nicolas Boschetti, Jean Dominique Bonavita et tentative d’assassinat sur Jean-François Servetto à Silvareccio. Les quatre hommes sont pris dans un guet-apens dans la nuit du 2 au 3 juillet alors qu’ils se trouvent dans un véhicule volé, armés et équipés de gilets pare-balles. Ils parviennent à s’échapper dans le maquis. Jean-Dominique Cortopossi décède à l’arrivée des pompiers, le corps de Nicolas Boschetti sera découvert quelques jours plus tard et Jean-Dominique Bonavita succombera à ses blessures à l’hôpital trois semaines plus tard. Jean-François Servetto sera le seul rescapé de la tuerie.
  • 23 mars 2014 : Assassinat de Jean Leccia à San Gavinu di Fiumorbu. Directeur général des services du conseil général de Haute-Corse, il tombe dans un guet-apens alors qu'il regagne son domicile à Bastia, à l'issue d'une soirée électorale à San-Gavinu-di-Fiumorbu.
  • Août 2017 : Tentative d’assassinat d’Olivier Sisti à Santa-Lucia di Moriani. La victime signale elle-même les faits et assure avoir été prise en chasse par deux hommes à moto avant de parvenir à les faire fuir.
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