La tempête Ciaran a engendré de lourds dégâts dans la Vallée de la Restonica. Des reconnaissances aériennes pour estimer l'étendue des dommages sont organisées depuis plusieurs jours. Mais ni le délai, ni le montant des travaux n'ont encore été estimés.
Casquettes et lunettes de soleil, gourdes, sandwiches, et même des imperméables "au cas où" dans leur sac à dos, ce groupe de touristes toulousains avait tout prévu... Sauf la fermeture de la partie haute de la Vallée de la Restonica.
"On pensait monter jusqu'à la brèche du Capitellu, racontent-ils. On avait pris des informations au moment de planifier notre voyage, mais nous n'avons pas pensé à regarder ce matin. On ne l'a pas fait ailleurs, pourquoi l'aurais-t-on fait ici ? On ne s'attendait pas du tout à ce que tout soit interdit d'accès."
Arrivé en voiture, le groupe n'ira pas plus loin que le camping de Tuani, où un panneau route barrée et une barrière ont été installés. "On va peut-être se promener à Corte du coup, où partir directement en Balagne, on ne sait pas encore vraiment. C'est dommage, on avait vraiment envie de découvrir la Vallée Restonica."
Le problème, c'est que l'accès ne devrait à priori pas rouvrir de si tôt. Le passage de la tempête Ciaran, dans la nuit du 2 au 3 novembre dernier, ne s'est pas fait sans laisser de traces. Du pont de Tragone - emporté par les flots - aux Grutelle, les dégâts déjà recensés sont conséquents, et la route impraticable en l'état.
Un planning des travaux à définir
Ce mardi 7 novembre, l'heure est encore aux constatations, réalisées par voie aérienne - et peut-être bientôt avec l'appui de drones -. Impossible, en l'état, indique-t-on du côté de la mairie comme de la Collectivité de Corse, de donner une date possible de réouverture... ni même de faisabilité réelle des travaux.
Surtout qu'une fois les dommages recensés, viendra le temps de lancer un appel à projet, puis de comparer les devis, avant d'enfin entamer les travaux - qui seront eux-mêmes soumis aux contraintes météorologiques, glisse un Cortenais qui randonne régulièrement dans la Vallée -. "Et puis il y aura aussi la question des sous, continue ce même homme. Qui va payer, et combien ? Si la commune est reconnue en état de catastrophe naturelle, l'Etat et les assurances avanceront de l'argent, donc ce sera déjà ça, mais si ce n'est pas le cas, comment pensez-vous que la ville pourra s'en sortir pour payer les travaux ? Ce ne seront pas des petites factures."
De quoi laisser craindre que la Vallée reste inaccessible pour la prochaine saison estivale. Selon certaines informations que nous avons pu récolter, il semble peu probable que des travaux puissent être réalisés et terminés d'ici là. Un scénario que redoutent les professionnels qui y travaillent.
Route barrée et interdiction de circuler
Propriétaire du restaurant "Chez César", au niveau du pont de Tragone, César s'estime chanceux : son établissement est ressorti sans dommage des deux tempêtes de la semaine passée. La catastrophe n'est pourtant pas passée loin : "Un rocher de plus de 60 tonnes a glissé de 50 mètres et s'est écrasé juste à côté, sur la route, montre-t-il. Il a été dévié par les pins. Si les arbres n'avaient pas été là, il aurait détruit le chalet".
De mémoire de restaurateur, "c'est la première fois en 53 ans que je vois ça dans la Vallée de la Restonica. J'ai vu des crues, j'ai vu des rivières pleines, mais là, une tempête qui emporte les ponts et fait des dégâts comme ça, avec tout ce bois, toutes ces pierres qui sont tombées.... Je n'avais jamais vu ça."
Mais si son restaurant est indemne, la route pour y accéder reste barrée trois kilomètres plus bas. "On ouvre d'avril à septembre, donc ce n'est pas un souci pour le moment. Mais la question, c'est si on pourra le faire à Pâques pour le début de la saison. On ne peut pas encore savoir si ça va impacter la saison, on est obligés d'attendre que tous ceux qui sont responsables de ces questions se réunissent et décident. Mais si on reste fermés, oui, ça peut m'embêter."
Au point d'impacter durablement son activité ? "Je ne peux pas vraiment le dire pour le moment. La question c'est : est ce qu'ils vont décider de fermer complètement la vallée, et pour combien de temps. Je sais qu'ici, chez moi, il y a des gros dégâts, et que plus haut, ils sont terribles aussi. Et maintenant on est bien forcés d'attendre pour savoir ce qu'il en sera."
Le poumon économique de la région
Une inquiétude et des questionnements qui s'étendent au-delà des professionnels de la Vallée. Si son accès restait fermé l'an prochain, c'est la fréquentation touristique dans la région cortenaise tout entière qui pourrait être durement impactée.
Poumon aussi vert qu'économique de la micro-région, principal pôle d’attractivité touristique, le site naturel et les activités qui en découlent sont "essentielles pour faire vivre les commerçants et socio-professionnels de la commune et au-delà", soulignait l'an dernier auprès de France 3 Corse le maire de Corte. Xavier Poli prenait dans ce cadre pour exemple le terrible incendie d’août 2000. Pendant deux semaines, les flammes avaient ravagé la zone, brûlant plus de 2700 hectares sur les 7000 qui la composent.
“Le site était interdit d’accès avec le feu. Résultat, en deux jours, il n’y avait plus personne en ville, se souvenait-il. Les hôtels et campings se sont vidés, et il a fallu attendre longtemps avant de retrouver un fonctionnement normal, que le maquis repousse, que la nature commence à panser ses plaies. Les gens ne viennent pas à Corte pour le musée. lls viennent pour la Restonica et peuvent après s’arrêter au musée et faire un tour en ville, mais il faut être réaliste, ce n’est pas l’inverse.”
Croisés à pied sur le chemin entre le camping de Tuani et le restaurant "Chez César", Axel et Konstanze Schroeder semblent confirmer cet avis. Ce couple d'Allemands fait part de sa déception de ne pas pouvoir rejoindre le lac de Melu, comme il l'avait prévu.
"On a découvert en arrivant que l'accès était barré. Comme on était déjà sur place, on s'est garé au niveau de la barrière et on a décidé de continuer quelques kilomètres à pied, sur la route, pour profiter des paysages, indiquent ces touristes allemands. Mais si on avait su avant de venir qu'on ne pourrait pas se promener là-haut, nous ne serions sûrement pas montés", ni même passés par Corte, reconnaissent-ils.
À l'office de tourisme de la ville, on indique être prêt à réorienter les touristes vers d'autres endroits à découvrir, tels que le Tavignanu ou encore le sentier du patrimoine. Mais on reste réaliste : la Vallée est bien l'axe touristique principal de la région. En admettant que sans y avoir accès, "on ne sait pas si la fréquentation suffira pour cet été."
Le reportage de Frédéric Danesi et Guillaume Leonetti :