Ce samedi 4 mai, 52 médecins de ville de Corse ont annoncé leur déconventionnement à partir d'octobre. En cause, le refus de l'Assurance maladie de prendre en compte leur spécificité dans la future convention. En marge de cette action, le docteur Antoine Dolovici a accordé un entretien à France 3 Corse Via Stella afin de revenir sur les raisons de cette colère.
Aujourd'hui, vous demandez votre déconventionnement. Est-ce un acte facile pour un médecin ?
Jamais de la vie. Nous, médecins généralistes, avons un ADN qui est plutôt dans le médico-social. Quand on décide de faire médecine générale, le but c'est de soigner tout le monde et avec le plus faible coût possible pour le patient. Mais nous sommes dans une situation que nous n'aurions jamais imaginée il y a quelques années. Nous n’aurions jamais imaginé de menacer de nous déconventionner, ou en tout cas de menacer de faire la grève de la convention pendant le temps qu'il faudra, afin de faire bouger les lignes en matière de sécurité sociale et de prise en charge par l'État des soins qui sont réalisés en ville.
Comment en est-on arrivé là ?
Par de petites humiliations successives. Prenons, par exemple, le tarif de la visite à domicile qu'on nous demande toujours de faire - et c'est normal, car il y a des patients qui sont en difficulté, qui sont grabataires. On nous dit d’aller voir ces patients, cela va nous prendre une heure parce que ce sont toujours des patients lourds, les patients à domicile, et cela nous est payé 10 euros.
Ce montant n’a pas évolué depuis 2001, cela fait donc 23 ans que le tarif de la visite à domicile n'a pas été revalorisé. Le tarif des indemnités kilométriques en montagne n'a pas changé depuis 1995. Le tarif de la consultation a été augmenté de 4% en novembre, il n'avait pas bougé depuis 7 ans et il ne devrait pas évoluer. Si on ne se bat pas, ce tarif de la consultation est susceptible de prendre 4 % pendant 10 ans.
La situation est devenue difficile ?
Avec l'inflation, actuellement, les charges du cabinet explosent. On nous demande de plus en plus de choses. L'équilibre économique des cabinets devient fragile. Pour ma part, je travaille 50 semaines par an pour arriver à équilibrer les comptes du cabinet, à ne pas perdre d'argent d'un mois sur l'autre. Je prends 15 jours de vacances par an. Je pense que beaucoup de mes confrères sont dans cette situation et travaillent plus que la normale pour maintenir notre niveau de vie. Je ne sais pas si beaucoup de professions en France accepteraient cette situation et cette maltraitance institutionnelle.
Vous avez encore espoir d'être entendu ?
On ne sait pas, on verra bien. C'est un peu le mouvement de la dernière chance et on espère semer une espèce de germe de révolution des praticiens libéraux en ville. Nous ne sommes pas solidaires, nous les médecins libéraux. Mais là nous espérons que le mouvement fasse tache d'huile sur le continent et qu'il y ait un petit tremblement de terre, un petit séisme pour qu'enfin nous soyons entendus au niveau de nos revendications.
Quelles sont les conséquences de ce que vous dénoncez pour les patients ?
La Sécurité sociale veut que nous fassions de l'abattage en mettant la consultation à 26,50 euros. Or, il faut beaucoup d'actes par jour pour arriver à équilibrer les comptes d'un cabinet et pour faire beaucoup d'actes, il faut qu'ils durent moins longtemps. Et nous, ce que nous voudrions, c'est pouvoir voir les gens plus de 20 minutes. C’est une durée trop courte.
Nous voyons tous les jours des patients qui ont des pathologies lourdes, pour un tarif qui est très faible. Dans la poche, il nous reste 8 euros après le paiement des charges. Et pour ce tarif, on nous demande de faire le cardiologue, le dermatologue, le psychiatre, le gastro-entérologue, le cancérologue... C'est tout simplement impossible et c'est de la maltraitance pour le médecin qui est en burn-out, mais aussi bien sûr pour les patients, parce qu'on les soigne de moins en moins bien, compte tenu de cette situation.
Le reportage de Maïa Graziani et Océane Da Cunha :