Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : merci

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées. Ce dimanche, elle remercie son ami "Toinou", et toutes ses petites attentions.

Pour retrouver le chapitre 25 :
  • CHAPITRE 26 : Comme un couplet de Brassens…


« Tu peux être en bas de chez toi dans 5 minutes ? ». Je remuais tranquillement la crème de ma (future) tarte au citron tandis que la pâte cuisait à vide dans le four quand le message est tombé sur mon portable. J’ai répondu que je pouvais, oui, descendre. Alors il a dit, « je t’attends ». 


À la manière d’un grand festin…

Il m’avait déjà fait le coup le 29 février dernier pour mon anniversaire, mais là, en plein confinement, je ne savais plus trop quoi penser. De Toinou, je connais toute la tendresse, sans avoir besoin qu’il y revienne. Il y quelques années, je venais de sortir de l’hôpital après une méchante chute qui était intervenue peu de temps avant un de mes anniversaires justement, quand s’est joué le moment que je vais vous raconter maintenant.

Souffler des bougies, avec le bras immobilisé de la main à l’épaule et le pas boiteux, était loin de mes préoccupations d’alors. Je savais déjà que j’avais peu de chances de retrouver l’entière mobilité de mon membre supérieur droit et de ma main, alors je vous laisse imaginer l’état de ma tête ! Ma mère, elle, insistait, l’air de rien. Elle tenait - de toute sa tendresse - à fêter ce chiffre rond, marqué d’un jour qui ne reviendrait que quatre ans après.

J’ai fini par dire, « je n’ai envie de rien, mais allons toutes les deux chez Toinou à midi ». Toinou tient une bonne table sur la Rive Sud du golfe d’Ajaccio. J’ai connu le restaurateur lorsqu’il était installé sur Ajaccio, mais nous n’étions pas encore amis, même si j’appréciais déjà sa gentillesse… et la cuisine de Christine, son épouse ! Lorsque nous sommes arrivées chez lui ce jour d’anniversaire avec ma mère, il a bien senti que le cœur n’y était pas malgré les sourires.

En regardant sa carte, j’ai même dû me dire, « mais qu’est-ce que je suis venue faire ici, je suis incapable de manger correctement d’une seule main, et la gauche de surcroît ». Au moment où Toinou est venu prendre la commande, j’ai regardé ma mère pour lui dire la boule au ventre, « si je prends une viande, tu pourras la couper pour moi ? ». Evidemment, elle a répondu « oui, ne t’inquiète pas ». Il n’empêche, cela me coûtait énormément.


Tendresse

Nous avons pris l’apéritif en attendant que les plats arrivent et quand Toinou les a déposés sur la nappe blanche, il m’a dit tendrement, « régale-toi ma grande ». J’avais pris un pavé de bœuf  au poivre avec sa sauce délicieuse et m’apprêtais à le faire trancher par ma mère quand j’ai réalisé que, sous la sauce, la pièce de viande qui me paraissait intacte était en fait entièrement découpée. Je crois que personne ne peut réaliser ce qu’a représenté ce geste à ce moment là de ma vie.

On aurait pu rajouter une strophe à la chanson sur l’auvergnat de Brassens… il n’était rien, il était tout ce petit geste. L’espace d’un repas, il me permettait de ne pas être une assistée, condition qui allait être la mienne pendant des mois. Toinou avait simplement tendu l’oreille et fait ce qu’il fait le mieux : être tendre. Pour imaginez ce que cette attention signifie pour moi, je vous demande de convoquez un beau souvenir, un de ceux qui font sourires longtemps après et qui vous vient d’un petit rien que vous n’attendiez pas. Je vous dis, la chanson pour l’auvergnat…

Au moment du dessert, Toinou a enfoncé le clou de cet anniversaire de chagrin en ajoutant une bougie qui fait « pchittttttt » sur mes « nems au chocolat ». Puis, quand est venu le moment de régler le repas, dans la petite boîte prévue à cet effet, au lieu de l’addition, avait été déposé un petit morceau de papier avec deux mots inscrits dessus, « Joyeux anniversaire ». Il avait été au bout de son idée, Toinou. Je crois que la chaleur de ce moment, je m’en souviendrai toute ma vie. Voilà, c’est dit.
 

 

Et d’un feu de joie…

Mais peut-être m'en restera-t-il un autre de moment maintenant. Hier soir, quand j’ai reçu le message de Toinou, je me suis dit, « Qu’est-ce qu’il va encore me faire comme surprise après le vacherin d’anniversaire qu’il avait amené à ma porte il y a un mois (parce que, cette année, le calendrier comptait un 29 février !), accompagné d’un petit ours composé de roses ? ». J’ai souri en pensant qu’il lisait tous mes papiers et qu’il m’avait dit, « tu viendras avec Delphine (l’infirmière) et Georges (le premier patient sorti de « réa ») manger au restaurant après le confinement ! ».
 
Son soutien aux personnels soignants n’est pas factice. Lui et son épouse savent ce qu’est l’engagement de services hospitaliers : un cancer a emporté l’un de leurs trois enfants. Je descendais les escaliers en pensant à tout ce que Toinou donnait déjà et, machinalement, j’ai appuyé sur la touche vidéo de mon téléphone que j’avais pris avec moi. Je voulais garder ce moment, et montrer à cet homme que j’aime énormément ce qu’il est. Le montrer aux autres aussi, pour partager ce moment autrement que par des mots.

C’est un signe du moment que d’avoir envie de partager des images lorsqu’on ne se voit pas. Je me contente très bien des mots en temps normal. Mais là, je savais que je ne pourrais pas m’approcher pour embrasser Toinou, que filmer ne mettrait pas davantage de distance, alors je l’ai fait. Je suis sortie dans ma rue et j’ai vu mon restaurateur préféré. Il était là avec son sourire et sa simplicité.

Il venait de la Rive Sud qu’il ne quitte pas vraiment depuis le confinement. Il avait une bonne raison de faire le déplacement, il montait au centre hospitalier. Oh, rassurez-vous, pas pour son cœur, l’organe, qu’il a fragile, mais pour le cœur, celui qu’il a grand. A l’avant de son véhicule, il avait disposé un énorme fraisier ainsi qu’un message en croquant à l’attention du personnel de « réa » et des urgences. Bizarrement, je n’ai vu que tout cela après. Parce que Toinou avait surtout désigné un petit paquet installé au pied de sa grande livraison, côté passager. Je n’avais vraiment aucune idée de ce dont il pouvait s’agir.


Amitié 

J’ai entrouvert le sac en papier et j’ai tout de suite compris aux petites boules foncées que je voyais flotter dans la sauce de quoi il en retournait : mon pavé de boeuf aux trois poivres ! Je n’ai pas de mots, cette fois, pour décrire ce petit moment de bonheur. Il y avait dans cette boite transparente, beaucoup plus qu’une pièce de viande. Il y avait dedans tout un monde. Je le réalisais en remontant l’escalier après avoir quitté Toinou sans le serrer dans mes bras.

Je pensais à Christine, sa femme, à leurs enfants… J’avais le sourire aux lèvres. Arrivée au palier juste en dessous du mien, j’ai sonné chez Nicolas. Quand il a ouvert, j’ai montré mon paquet en disant, « Toinou m’a emmené mon plat préféré ». Il a souri tendrement Nicolas. Il ne connaît pas Toinou mais il commence à me connaître, il a dû comprendre que cela représentait beaucoup pour moi.
 
Je suis rentrée chez moi pour trouver ce que je n’avais pas vu au préalable : une enveloppe. J’en ai sorti une carte postale intitulée « amitié ». Le petit mot parlait de donnant-donnant, du plaisir qu’il avait à me lire et de celui qu’il avait envie de m’offrir par ce dîner. Je ne lui ai pas écrit, hier, en soirée, pas une ligne pour lui dire encore une fois merci. Parce que je voulais qu’il le lise ici ce « merci ».

Lui dire par cet écrit que mon  dernier couplet de la chanson pour l’auvergnat parle de lui. Que sûrement, aujourd’hui, en parcourant cette histoire, d’autres ont dû songer aux « Toinou » de leur propre vie. Une manière de se dire que ce « croquant » de virus n’aura pas eu raison de tout…
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