Les actions réclamant la mise en place d'une délégation de service public entre la Corse et la Sardaigne se multiplient depuis fin janvier, notamment à l’initiative du parti indépendantiste Core in Fronte. Le sujet n’est pas inédit, mais peine à voir le jour. L’exécutif de Corse assure de son côté que “tout ce qui devait être fait par la Collectivité de Corse en la matière a été fait” mais le chemin reste long.
Des liaisons maritimes pérennes entre la Corse et la Sardaigne sous forme de délégation de service public (DSP). C’est ce qu’a réclamé, ce vendredi 2 février, le parti indépendantiste Core in Fronte lors d’un rassemblement organisé dans le port de Bonifacio.
Une infrastructure qui n’a pas été choisie au hasard. Depuis 2018, une DSP, gérée par la région autonome de Sardaigne, permet de relier le port de l’Extrême sud corse à celui de Santa Teresa di Gallura. Si plusieurs rotations quotidiennes doivent être assurées entre les mois de novembre et mars, de nombreux dysfonctionnements sont constatés. Ainsi, des traversées sont régulièrement annulées pour cause de mauvaises conditions météorologiques ou d'incidents techniques. Fin janvier, un bateau est d'ailleurs resté bloqué en Sardaigne durant trois jours, obligeant les passagers corses à trouver, par eux-mêmes, une solution alternative pour rejoindre la Corse.
“Je pense qu’il faut établir un véritable service public maritime entre la Corse et la Sardaigne. Ça répond à une exigence naturelle, historique, culturelle, géographique de nos deux îles qui sont avant tout des peuples et des nations de la Méditerranée”, explique Olivier Sauli, membre de Core in Fronte, qui avait déjà organisé le blocage symbolique d’un ferry dans le port de Propriano, le 23 janvier dernier, réclamant déjà “une vraie logique maritime” entre les deux îles.
"106 traversées annulées depuis le 1er janvier 2018”
Le sujet a également animé une partie des questions orales hier, jeudi, lors de la première journée de la session de l’Assemblée de Corse. Deux élus territoriaux ont ainsi interpellé le conseil exécutif quant aux avancées du GECT (groupement européen de coopération territoriale).
Ce dernier, selon le site du Parlement européen, vise à faciliter la coopération transfrontière, transnationale et interrégionale entre les pays membres de l’Union européenne ou leurs collectivités régionales et locales. Les GECT permettent ainsi à ces partenaires de mettre en place des projets communs, d’échanger des compétences et d’améliorer la coordination en matière d’aménagement du territoire dans le but de renforcer la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union.
. @sbattestini au nom du groupe @CIF_Assemblea interroge le Conseil exécutif de Corse sur où en est le projet de GECT sur les rotations maritimes entre la Corse et la Sardaigne ? #ACinVivu
— Assemblea di Corsica (@AssembleeCorse) February 1, 2024
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“Depuis le 1er janvier 2018, 106 traversées ont déjà été annulée entre Bonifacio et Santa Teresa di Gallura. (...) Depuis 2015, les différentes majorités territoriales nationalistes ont régulièrement annoncé la mise en place de ce GECT. (...) Or à ce jour rien n’existe”, a soutenu Serena Battestini, membre du groupe Core in Fronte. “Tous ces dysfonctionnements empêchent les professionnels de travailler sereinement et démontrent, une fois de plus, que le mode de transport actuel est obsolète”, a complété Jean-Paul Panzani, membre du groupe Fà Populu Inseme.
“Une carence de l’État français”
Pour Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, la non-existance d'un GECT est d’abord lié à une “carence de l’État français”. Ainsi, il rappelle qu’en 2019, “la région autonome de Sardaigne a approuvé les statuts et les conventions du GECT que nous avions co-construit. Il y a également eu une délibération de l’Assemblée de Corse en des termes identiques.” Or, si “l’État italien a pris un décret”, celui de “l’État français” n’a pas été publié malgré “les relances de la collectivité de Corse”.
“Un décret est finalement intervenu le 13 janvier 2020, mais hors délai de six mois. Et donc l’Union européenne qui avait validé en son principe le GECT a constaté la carence de l’État français et nous a invité à redéposer un dossier et nous sommes repartis en instruction. Et nous sommes actuellement en instruction”, détaille Gilles Simeoni. Il en profite pour notifier que la délibération de l’Assemblée de Corse du 5 juillet sur l'autonomie, “prévoit que nous puissions négocier directement avec l’Union européenne sur les questions de coopération transfrontalière. Si nous avions pu le faire, nous n’aurions pas eu besoin d’attendre un agrément qui jusqu’à aujourd’hui n’est jamais venu”.
La question du financement d’une nouvelle DSP
Le président du conseil exécutif de Corse rappelle dans le même temps qu’une délégation de service public avait été actée, “par délibération du 20 décembre 2019”, entre les deux îles. “Aucun candidat ne s’est présenté et nous avons dû constater une carence”, souligne-t-il.
Si des “discussions sont en cours avec les délégataires qui desservent Porto-Vecchio et Propriano pour qu’ils optimisent leur flotte et qu’ils puissent éventuellement renforcer l’offre de transport avec la Sardaigne”, Gilles Simeoni alerte sur “le financement” d’une nouvelle DSP.
“Si on va au bout du GECT et qu’on arrive à mettre en place une DSP, il faudra le financer. L’enveloppe de continuité territoriale est aujourd’hui structurellement insuffisante pour près de 50 millions d’euros pour couvrir les besoins de services publics avec la France continentale. Je vous rappelle que la dotation de continuité territoriale ne peut au terme de la loi que financer des lignes entre la Corse et le continent français. Ce qui veut dire que si demain nous devons financer une DSP entre la Corse et la Sardaigne et bien se posera la question des crédits. (...) Si nous ne réfléchissons pas sur le pacte budgétaire fiscal et économique global, nous allons nous retrouver face à un plafond de verre”, analyse-t-il.
L’île d’Elbe
Outre la Sardaigne, une autre île italienne pourrait être reliée plus facilement à la Corse : l’île d’Elbe. Néanmoins, malgré seulement 50 km de distance entre les deux territoires, aucun transport maritime ne relie les deux îles en hiver par manque de rentabilité.
En été, deux compagnies exploitent ce marché, la Mobyline et la Corsica Ferries. Ainsi, la première qui assure 80 % des traversées entre l’Italie et le port de l’île d’Elbe, Portoferraio, propose un petit crochet par la Corse en passant par Piombino. La seconde a transporté 3.000 passagers en 2023 en la Corse et l’île d’Elbe et propose des allers-retours directs sans passer par Piombino. Mais ce type de marché ne serait pas assez attractif.
Pourtant, une des volontés politiques est bien de relier la Corse aux territoires italiens, insulaires ou non. La signature du traité international du Quirinal renforce les coopérations entre la France et l’Italie et la Corse s’est imposée dans ce binôme. Dans une publication sur X, anciennement Twitter, Gilles Simeoni s’était notamment félicité : “grâce au travail mené, la Corse siégera au comité de coopération avec notamment la Sardaigne, la Toscane et la Ligurie.”
Encore faut-il que les privés adhèrent à cette démarche et mettent suffisamment de moyens pour développer les transports.