La Cour administrative d’appel de Marseille vient de rendre son arrêt sur la Délégation de Service Public (DSP) maritime (2007-2013). Elle avait fait l’objet d’un recours devant le Tribunal Administratif de Bastia (TA) de la part de la Corsica Ferries France (CFF).
La Collectivité Territoriale de Corse (CTC) avait tort en 2007, mais la DSP qu’elle a adopté n’est pas, pour autant résiliable. C’est en substance la conclusion de la Cour.
Ce mercredi 6 avril, la Cour administrative d’appel de Marseille rend une décision d’une grande subtilité. Elle estime, comme l’a dit la Commission Européenne (CE) que les subventions ("compensations financières") de la DSP présentaient une "aide d’Etat" et auraient du être notifiées à la CE. Faute de notification, la cour estime qu’il s’agit d’une "irrégularité". Pour la cour "cette irrégularité entache la légalité de la délibération et de la décision litigieuse du 7 juin 2007".
Mais dans le même arrêt on peut lire que "(.. .) ce vice non régularisable n’est pas d’une gravité telle qu’il justifierait la résolution de la convention (contrat de DSP signé entre la CTC et les deux compagnies SNCM et Méridionale NDLR)". Par ailleurs cette convention s’étant terminée le 31 décembre 2013 et ayant été totalement appliquée par les deux compagnies, la cour estime que "(…) il n’y a donc pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à sa résiliation".
Annulée ou pas ?
La cour dit que la DSP (2007-2013) est annulée mais qu’il n’y a pas lieu de réclamer les sommes versées aux deux compagnies maritimes.Qu’en pensent les différentes parties concernées ?
Pour le plaignant, CFF : contacté par France 3 Corse, le Directeur général de Corsica Ferries France Pierre Mattei "les conditions d’attribution sont illégales, il y a donc annulation".
En ce qui concerne CFF, il faut rappeler que l’arrêt arrive neuf ans après son recours. Le service a bien été effectué par les deux compagnies délégataires. Ceci n’a pas empêché CFF de se développer pour effectuer aujourd’hui plus de 80% du trafic passagers entre le continent français et la Corse.
- Pour les actuels dirigeants de la MCM (ex SNCM), nous ne pouvons actuellement obtenir une position officielle dans la mesure où l’équipe de direction est en plein chambardement pour cause de fusion avec le nouveau repreneur la Corsica Maritima.
- L’Exécutif de la CTC, joint par France 3 Corse, constate simplement la décision de la Cour de Marseille.
Mais pour les personnes informées dans ce dossier, la décision de ce mercredi 6 Avril n’est pas intéressante pour l’actuelle majorité de la CTC.
Le remboursement espéré
Sans déclarations officielles, l’Exécutif et notamment l’OTC (Office des Transports de la Corse) espérait bien voir les compagnies être obligées de rembourser les subventions versées. Les sommes en jeu s’élevaient à plusieurs centaines de millions d’euros. Si cela avait été le cas, la CTC aurait pu s’appuyer sur ces montants - que les compagnies n’auraient pas pu rembourser - pour récupérer les flottes, en vue de créer une compagnie régionale sans débourser un centime.L’actuelle majorité estime qu’elle est en droit de récupérer les bateaux des deux délégataires pour créer une compagnie maritime régionale. Seulement la marge de manœuvres est étroite. Au prix du marché (près de 300 millions), la CTC n’a pas les moyens et en "droit de reprise" un des arguments vient de tomber avec la décision de la Cour de Marseille. Le débat sur la compagnie régionale n’est pas clos.
S’il on revient à l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille de ce 6 avril, pour plusieurs observateurs, es interprétations sont ouvertes.
On notera que la Cour appuie une partie se sa décision sur le fait que le contrat de DSP "a été entièrement exécuté à la date de l’arrêt".
Ce constat confirme qu’en matière commerciale, après contrat, tout service fait est du. Déjà plusieurs connaisseurs du dossier rappellent que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) avait demandé à l’État français de récupérer 220 millions de subventions auprès de la SNCM en Juillet 2015. Il s’agit également de la convention de DSP (2007-2013), mais seulement sur le "service complémentaire", c'est-à-dire celui de la haute saison qui était effectué par les cars ferries. Cette injonction de la CJUE avait empêché toute reprise convenable de la SNCM, car le repreneur risquait de payer cette "amende".
Le principe du "service fait, service payé" reconnu par la Cour administrative d’appel de Marseille peut-il être appliqué au dossier "service complémentaire" ? Cela ouvre des perspectives.
Pour plus d’un observateur, la SNCM a gagné une partie importante des conflits judiciaires, mais… post mortem.
Dernière subtilité de ce dossier, qui n’en manque pas : C’est la même magistrate qui présidait le TA de Bastia en Juin 2007 et qui préside aujourd’hui la Cour administrative d’appel de Marseille.
En 2007, le TA de Bastia avait rejeté le recours de Corsica Ferries France contre la DSP et avait donné raison à la CTC qui attribuait le contrat à la SNCM et à la Méridionale.
Aujourd’hui la Cour de Marseille critique, en grande partie, la décision du TA de Bastia. L’anecdote est savoureuse.
Une des parties peut se pourvoir en cassation auprès du Conseil d’État. Ce même Conseil d’État qui avait rejeté une partie d’une première décision de la Cour de Marseille en Novembre 2011. Décidément la voie judiciaire est aussi agité que les voies maritimes.
On peut lire l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 6 avril ici.