L'Assemblée de Martinique a adopté une délibération, en mai dernier, visant à faire du créole sa langue officielle, au même titre que le français. Le vote n'a pas plu au préfet local, qui a demandé le retrait du texte. Une situation qui n'est pas sans rappeler celle en Corse.
Près de 7300 kilomètres séparent la Corse et la Martinique, mais les combats politiques d'élus des conseils exécutifs sont pourtant parfois particulièrement similaires.
Serge Letchimy, le chef de l'exécutif martiniquais, a annoncé, ce 19 août, s'opposer à une requête du préfet de l'île, Jean-Christophe Bouvier. Ce dernier demandait le retrait de l'article 1er de la délibération de l'Assemblée de Martinique, qui consacre le créole comme sa langue officielle, au même titre que le français.
Adoptée le 25 mai dernier, soit trois jours après les célébrations du 175e anniversaire de l'abolition de l'esclavage en Martinique, la décision était symbolique. Elle permettait ainsi la reconnaissance des différences et spécificités locales, et de cette langue "qui nous dessine, nous définit, nous attache à un lieu et à un moment", défend Serge Letchimy auprès du journal France-Antilles.
Mais ce vote est avant tout contraire à la Constitution et "entaché d'illégalité", estime le préfet, rappelant que "le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution du 4 août 1958 dispose que la langue de la République est le français."
Les mêmes débats en Corse et en Catalogne nord
La situation n'est ni unique ni nouvelle. Avant le créole au sein de l'Assemblée Martinique, c'est l'usage du catalan dans les débats des conseils municipaux de cinq communes des Pyrénées-Orientales qui avait été retoqué par le tribunal administratif de Montpellier. Et encore précédemment, celui du corse dans les débats à l'Assemblée de Corse, par le tribunal administratif de Bastia.
Seule exception : la Bretagne, où, depuis l'an dernier, pendant les séances plénières du Conseil régional, les élus locaux peuvent s'exprimer en breton et en gallo lors des discours de politique générale ou des questions orales, avec une traduction simultanée en direct en français.
Dans un tweet posté ce mercredi 23 août, le président du conseil Exécutif de Corse, Gilles Simeoni, apporte son "soutien fraternel au peuple martiniquais".
"Me contraindre à oublier la langue créole [...] c’est mésestimer ce qu’il y a de plus précieux en moi, mon identité"
Serge Letchimy reste, lui, pour l'heure ferme sur ses positions, et indique avoir déjà anticipé la saisine du tribunal administratif par le préfet.
"Je nous sais d'ores et déjà condamnés par les institutions judiciaires qui ne reconnaîtront pas la légitimité de ce combat, admet-il dans un communiqué. Pourtant, c'est avec dignité, que j'assumerai cette condamnation". Ce refus d'obtempérer aux demandes du préfet est, estime-t-il, "une déclaration de dissidence dans le débat contemporain mais historique que nous ouvrons entre droits naturels imprescriptibles et droit à l’égalité".
"Me contraindre à oublier la langue créole, à l’ignorer ou même à la minorer, c’est mésestimer ce qu’il y a de plus précieux en moi, mon identité", ajoute-t-il sur ses réseaux sociaux.
Changer les relations entre la France et les territoires ultramarins
Depuis son retour au pouvoir en juin 2021 - son dernier mandat remontait à 2010-2015 -, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de la Martinique a manifesté à plusieurs reprises son intention de changer les relations entre la France et les territoires d'Outre-mer, et singulièrement la Martinique.
Serge Letchimy est ainsi l'un des instigateurs de l'Appel de Fort-de-France, en mai 2022, qui a conduit à l'ouverture de congrès des élus en Martinique, Guadeloupe et Guyane. Des rencontres durant lesquelles ont été évoqués de possibles changements institutionnels pour ces territoires.
En février 2023, la collectivité de Martinique a par ailleurs également adopté le drapeau rouge-vert-noir, symbole des mouvements indépendantistes, comme emblème régional.