Ce lundi 13 mai, les examens de personnalité se sont poursuivis à l’audience. Cathy Chatelain, l’ex-surveillante de la prison de Borgo accusée "d’assassinats en bande organisée", s’est exprimée devant la cour. Il a notamment été question de son rapport à la Corse et "au clan".
Debout, les deux mains posées sur la partie en bois du box vitrée, Cathy Chatelain (ex-épouse Sénéchal) fixe l’écran de la salle d’audience du palais Monclar d’Aix-en-Provence. Elle attend patiemment que la connexion soit établie avec l’enquêtrice de personnalité qui intervient par visioconférence.
Accusée "d’assassinats en bande organisée" - comme quatre autres personnes sur les quatorze qui comparaissent depuis le 6 mai devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône pour le double homicide de Bastia-Poretta –, l’ex-surveillante de la prison de Borgo est amenée à s’exprimer sur son parcours de vie. Les faits en eux-mêmes seront évoqués dans les prochains jours.
Comme l’avaient fait les frères Guazzelli et Ange-Marie Michelosi la semaine dernière, Cathy Chatelain aussi a changé de place dans le box pour venir se positionner devant le micro le plus proche des jurés.
Selon l’accusation, elle aurait, le jour des faits, désigné au tueur les deux victimes - Jean-Luc Codaccioni et "Tony" Quilichini - en leur disant bonjour. Deux hommes - présentés par les services d'enquête comme deux figures du grand banditisme insulaire - qu’elle connaissait par rapport à son métier de surveillante pénitentiaire.
Parmi les accusés, elle est la seule à avoir reconnu son implication dans les faits lors de l’instruction. Son ex-époux, Dominique Sénéchal, qui comparaît libre pour "association de malfaiteurs", en a fait de même lors de la première journée d’audience.
Visage fermé, joues creuses sur lesquelles tombent de longs cheveux raides et bruns, l’accusée, mère de cinq enfants, écoute l’enquêtrice de personnalité effectuer le compte rendu de son entretien, réalisé en 2020 à la maison d’arrêt de Riom, où Cathy Chatelain est incarcérée depuis juin 2018.
En préambule, le président Martorano avait indiqué qu’elle avait refusé qu’aucune personne de son entourage ne soit auditionnée dans le cadre de cette enquête de personnalité.
"Pourquoi ce refus?", lui demande-t-il à l’audience.
"Ils souffrent assez de la situation, je ne veux pas les mettre dans l’histoire, ils gardent leur vie tranquille. Je ne veux pas en rajouter une couche", explique-t-elle d’une voix douce, quelque peu éraillée.
"Cette enquête a donc été réalisée sur mon regard et uniquement sur ma perception", confiait quelques minutes auparavant l’enquêtrice en visioconférence. "Madame Chatelain n’a pas souhaité aborder certains thèmes avec moi. Cela reste une enquête particulière", souligne-t-elle, tout en concédant qu’il lui "manque des éléments pour avoir une idée de ce qui a pu se passer".
Au rapport de l’enquêtrice, s’ajouteront également ceux d’un expert psychologue et d’un expert psychiatre. Tous deux en ont fait le résumé devant la cour.
"Abandon paternel"
Sur le banc des accusés qui comparaissent libres, Dominique Sénéchal, l’ex-mari de Cathy Chatelain, regarde attentivement la mère de ses cinq enfants dérouler sa biographie : un frère, une enfance passée en région parisienne, des parents qui se séparent lorsqu’elle a deux ans, puis un beau-père, le brevet, le bac et un départ de la "maison familiale vers 18-19 ans".
"Elle s’orientait vers le métier de sage-femme, mais elle va travailler dans différents domaines et un bilan de compétence fera ressortir le poste de surveillant pénitentiaire en 2006", précise l’enquêtrice de personnalité.
"Comment avez-vous vécu la séparation de vos parents ?", demande le président à l’accusée âgée de 48 ans.
"Comme une petite fille de deux ans dont le père s’en va", répond-elle, presque timidement, tout en réajustant sa barrette accrochée à sa veste, ce qui laisse entrevoir furtivement ses tatouages sur l'avant-bras.
À la barre, l’expert psychologue évoquera quant à lui un "abandon paternel". Et d’ajouter que Cathy Chatelain "porte le manque de l’autre".
Sur son rapport à son beau-père, qu’elle a connu à l’âge de 8 ans, elle sera un peu plus diserte, après avoir laissé un long silence entre la question du président et sa réponse :
"Cet homme-là, dès le début, je ne l’ai pas senti. Mon instinct était le bon : il avait un comportement inadapté et malsain avec les enfants. Ma mère ne le savait pas mais elle a fait rentrer le loup dans la bergerie. Je ne vais pas rentrer dans les détails, je pense que tout le monde a compris. Je suis assez gênée d’en parler ici devant tout le monde."
En visioconférence depuis Clermont-Ferrand, l’expert psychiatre fait état de "beaucoup de froideur et de rigidité" lors de son entretien avec l’accusée, mentionnant qu’elle "ne s’exprimerait pas sur les faits précis".
"Je me suis fabriqué ce masque de froideur qui m’a bien rendu service et que l’on me reproche depuis 6 ans", déclare face à la cour l’ex-gardienne de prison, arrivée dans l’île en 2014 afin de travailler au centre pénitentiaire de Borgo. Une destination qu’elle avait choisie pour que son fils aîné, "harcelé au collège en région parisienne", ne le soit plus en Corse.
"Je discutais beaucoup avec un détenu corse lorsque je travaillais à la Santé. Je lui parlais des problèmes de mon fils. Un jour, il m’a dit : en Corse, c’est l’enfant roi. Ton fils il n’aura jamais de problème. J’en ai parlé au papa qui, au début, n’était pas trop chaud, puis nous sommes partis pour l’île. Au début, on habitait à Furiani", situe-t-elle, prononçant le nom de la commune en atténuant la dernière syllabe.
Sur sa vie sociale dans l’île, elle déclare : "j’avais mes détenus avec qui je discutais. J’aurais préféré avoir des amis à l’extérieur, pour aller boire un verre, faire des réunions avec les copains. On se sent seule, je ne vais pas dire malheureuse", confie celle dont la proximité avec certains détenus a été soulevée dans des rapports de l'administration pénitentiaire.
"Étiez-vous heureuse?", l'interroge son avocat, Me Romain Neiller.
"Dans l’endroit où j’étais oui, mais pas dans ma vie."
J'ai pu voir une femme forte qui n’a fait aucune erreur jusqu’à ce moment-là.
Le fils aîné de Cathy Chatelain
Cité en tant que témoin "à la demande de la défense", précise le président Martorano, son fils aîné apparaît alors sur les trois écrans de la salle d’audience. Le visage de Cathy Chatelain s’éclaire.
Assis à une table, le jeune homme de 24 ans prend la parole, face caméra, devant la cour :
"Ma mère est une femme exemplaire à mes yeux. Je peux comprendre que les gens puissent se dire que j’ai un jugement subjectif car je suis son enfant, mais j’ai pu voir une femme forte qui n’a fait aucune erreur jusqu’à ce moment-là. Malheureusement, elle a commis une erreur, c’est pourquoi nous sommes là aujourd’hui. Elle a commis une erreur mais elle ne devrait pas être jugée sur cette seule erreur quand on voit que toute sa vie elle a été exemplaire."
"Je suis fière de lui et je l’aime", déclare l’accusée, émue, les yeux rivés sur l’écran, répondant ainsi à une question de son autre avocat, Me Renaud Portejoie.
"Corsicalisée"
À travers les comptes rendus des trois experts qui se sont succédé face à la cour, s’est dessinée en filigrane la relation de Cathy Chatelain à la Corse. "Elle a un attachement à une île, une culture, une musique, une langue et à une cause", note le psychologue clinicien.
À la barre, rapport entre les mains - avec certains passages surlignés -, il poursuit sur la "notion de clan" :
"Lors de notre entretien, elle ne parlera jamais de mafia. Le mot qui revient c’est clan. Elle sert la cause du clan : elle dit moi je peux servir au clan. Le clan a une valeur positive pour elle. Elle parle d’allégeance se disant, je la cite, "corsicalisée". Elle parle de fidélité, de confiance aveugle dans l’autorité du chef. Il y a un dédoublement : passer de surveillante à soldat. Le dédoublement, c’est aussi le changement de statut, de vie du continent à la Corse, en faisant table rase du passé."
Face à la cour, le psychologue qualifie sa personnalité de "complexe", et fait état d’un "travail à long terme de déradicalisation", allant jusqu’à parler de "décorsicalisation".
"Elle a des comportements radicaux", avance-t-il. Dans les expertises, elle dit : "j’avais un travail à faire, je suis un soldat." Elle dit "être la dernière boucle du cercle", indique l'expert.
Pour illustrer son propos, il évoque cette phrase prononcée par l’accusée lors de leur entretien : "Tony (Quilichini, ndlr), j’ai participé beaucoup à sa mort ; je l’aimais bien, mais c’était mon clan ou lui."
L'avocat général s'étonne qu'une "femme forte se place dans une situation de soumission vis-à-vis du clan". "N’y a-t-il pas là une contradiction ?"
"C'est une femme forte, acquiesce le psychologue, mais être un soldat, c’est aussi incarner quelque chose qu’elle ne maîtrise pas. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas un sujet fort. Elle a évoqué les traumatismes de son adolescence. Force et soumission vont ensemble, c'est adapté au contexte."
"A-t-elle été influencée ?", demande le président, cette fois à l’expert psychiatre en visioconférence.
"J’ai estimé que non, répond-il. Elle participe pleinement à cet acte et on sent qu’elle est attachée à ce clan et qu’il y a une fascination."
Quant à la "déradicalisation" évoquée par le psychologue dans la matinée, le psychiatre nuance : "Ce n’est pas le même niveau que les terroristes mais elle a pu trouver une revalorisation à travers son appartenance à ce clan". Et de faire remarquer : "sa fragilité psychologique favorise son adhésion : elle maintient son mode de fonctionnement avec une ligne de conduite et une droiture."
Derrière la vitre du box, Cathy Chatelain s’est assise, toujours avec sa main droite posée sur son visage, avec, parfois, le regard dans le vide.
Son avocat, Me Renaud Portejoie s’approche du micro, à la barre, pour poser une question à l’expert psychiatre en visioconférence :
"Concernant le fait de savoir si elle a pu agir sous la contrainte, vous écrivez : "nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour répondre avec certitude à cette question", cite le pénaliste en reprenant le rapport.
"Il n’y a pas eu de menace, précise le médecin. Concernant la contrainte psychique, je n’ai pas le degré d’informations. L’intensité de la contrainte est difficile à déterminer", concède-t-il.
À l’instar de son ex-épouse, Dominique Sénéchal, 47 ans, se tient lui aussi assis, avec la main droite posée pour soutenir sa tête. Son visage est peu expressif, comme celui de la mère de ses enfants. En fin d'après-midi, il a également été amené à s’exprimer sur sa personnalité, après son ex-épouse qu’il avait rencontrée en 1997.
Les événements ont été très douloureux.
La mère de Dominique Sénéchal
Son avocate, Me Émeline Giordano, a rappelé que cet ancien facteur avait "joué à plusieurs reprises le rôle de père au foyer", notamment lorsque la famille était arrivée en Corse.
Citée en tant que témoin au moment de l’examen de personnalité de son fils, la mère de Dominique Sénéchal n’a "pas souhaité évoquer sa relation" avec son ex-belle-fille. Un peu plus tôt dans la journée, face à la cour, Cathy Chatelain n’avait pas fait mystère de ses "rapports difficiles" avec son ex-belle-mère.
L’avocate de Dominique Sénéchal interroge quand même la mère de son client sur son silence concernant l’ex-surveillante pénitentiaire. La réponse fuse :
"Les événements ont été très douloureux, je ne souhaite pas m’exprimer sur le sujet. Cela a été un tsunami dans la famille. Cela reste très douloureux..."