Cette semaine, notre série se penche sur le maraîchage en Corse. Comment s’organise la filière ? Quelles techniques et mode de production sont utilisées par les professionnelles du secteur ? Que recherchent les clients ?
En permaculture, il se dit que la beauté fait partie de la récolte. Les fleurs bien disposées dans les potagers ne sont pas là par hasard. Elles attirent les insectes et favorisent la pollinisation des légumes. Dans un jardin, ces derniers sont subtilement mélangés.
« D’un côté, il y a les poires de terre qui ombragent les pieds de tomates et les courges, de l’autre côté, il y a les tomates qui vont grimper sur le tuteur, et juste en dessous il y a les potimarrons ou des courges qui vont couvrir le sol et garder l’humidité pour les tomates. […] Entremêler les plantes, car chacune est bénéfique pour une autre. Donc il y a plus de récolte sur la même surface, avec moins de travail », explique Patrick Perrin, maraîcher à la retraite et formateur en permaculture.
Le grand principe de la permaculture consiste avant toute plantation à préparer longuement le sol sur un ou deux ans. Le jardinier va apporter du fumier ou des végétaux pour qu’ils se décomposent et la plante va alors puiser elle-même dans la terre ce dont elle a besoin.
« La première erreur, c’est d’essayer de nourrir les plantes avec des apports solubles, parce qu’on court-circuite tous les systèmes du sol, qui lui, du fait de milliards de bactéries […] d’insectes qui vivent là, font tout un cycle de digestion qui fait que la plante peut extraire ce dont elle a besoin de façon proportionnelle. Si on court-circuite tout ça par des engrais solubles, on court-circuite tout le système de digestion. C’est comme si nous, au lieu de manger un bon repas, on nous faisait une intraveineuse avec un extrait chimique, avec les même éléments chimiques que le repas que l’on aurait mangé », complète Patrick Perrin.
Kolkhozes et Sovkhozes
En permaculture, les engins mécaniques sont proscrits car ils polluent. C’est paradoxal, mais il faut aussi intervenir le moins possible manuellement. Pour cela de la paille, est déposée au pied des plantes afin de garder l’humidité, ce qui diminue les besoins en arrosage. L’important est de rester efficace. « Le rendement global […] est bien plus élevé qu’une monoculture. Une des preuves très simple, c’est que pendant l’Union soviétique, ceux qui produisaient la nourriture du peuple russe, c’étaient les petits jardins des grands-mères plutôt que les grands kolkhozes et les grands sovkhozes. Ils produisaient des millions de tonnes, mais à perte totale de sol et avec un tas de traitements qui coûtait des fortunes », continue Patrick Perrin.
Faut-il changer de modèle économique en matière de maraîchage ? À 35 ans, Sébastien Bonardi en est persuadé : nous sommes en période de transition. « Tout le savoir scientifique qui a été accumulé est bon à prendre, du moment que cela nous fait avancer vers des systèmes durables, que ce soient des systèmes agricoles, des systèmes de vie ensemble ou des systèmes urbains. À partir du moment où on copie des modèles d’organisation qui sont moins coûteux en temps et en énergie, et plus efficaces, là, on est dans le sens de la permaculture », estime-t-il.
En refusant d’utiliser des engins mécaniques, les maraîchers en permaculture intègrent une donnée économique incontournable : la fin de l’ère du pétrole. Produire sans polluer et consommer local, de nombreux citoyens les soutiennent déjà dans leur parcours.
Ferme-auberge et vente directe
Pour mettre leur production en avant les professionnels de la filière maraîchère ont quelques astuces. Certains pratiquent la vente directe, d'autres ont carrément sauté le pas et cuisinent eux même leurs produits.
Dans le Nebbiu, c’est un petit coin de paradis. Un régal aussi bien pour les yeux que pour les papilles. L’été, cette ferme-auberge affiche souvent complet le midi comme le soir. Son succès est basé sur le pari de Jérémie et de sa femme Pauline. « Quand j’ai dit que je m’engageais dans l’agriculture biologique, on me disait que j’étais fou. On a ouvert au public en 2009-2010, les gens commençaient à s’intéresser à faire attention à ce qu’ils mangeaient, à parler de saisonnalité, à parler d’autonomie alimentaire, de vente directe. Ça s’est structuré, et la Corse est la bonne élève de l’agriculture biologique en ce moment », raconte Jérémie Verdeau, maraîcher restaurateur.
Au total, 13 000 hectares sont cultivés en bio en Corse. Chez Jérémie et Pauline, le luxe réside dans la proximité. Le potager est à quelques mètres du restaurant. Le responsable du maraîchage prend soin de cultiver plusieurs variétés pour chaque légume ou chaque fruit. Un choix qui permet d’approvisionner l’auberge sur plusieurs semaines.
50 couverts et pas plus
Une partie de la production est vendue dans les magasins spécialisés en produits biologiques. L’autre est commercialisée sur place, à l’auberge. Mais les clients ne sont pas les seuls à faire leur marché. Avec des étales à portée de main, le chef cuisinier reste prioritaire sur le choix des légumes. Quant aux herbes aromatiques, il suffit de faire deux pas dans le jardin pour les trouver. « On adapte la carte et ce qui est bien, c’est que ça change régulièrement », indique Lionel Fabbri, chef cuisinier.
Ce jour-là au menu : des nems aux gambas, un royal de courgettes à la menthe. Des plats qui ont de quoi satisfaire les végétariens et les clients les plus carnassiers. En une dizaine d’années, cette table maraîchère s’est forgé une solide réputation. On y sert 50 couverts par jour et pas un de plus, histoire de ne pas vendre son âme. « Je pourrais prendre les 20 ou 30 couverts en plus. Mais je pense que l’on perdrait en qualité et on perdrait un tas de choses. Même si je gagne plus d’argent, je ne pourrais pas m’acheter la qualité de vie ici. Je préfère rester comme je suis. Ca nous va très bien », reprend Jérémie Verdeau.
Ce principe de ferme-auberge donne une plus-value à la production maraîchère. Des emplois ont été créés, et ce modèle économique inspire d’autres producteurs insulaires.
Le maraîchage pour lutter contre la désertification
Le monde rural est en proie à la désertification. À Barrettali, commune située sur la côte ouest du Cap Corse, où la moyenne d'âge des habitants atteint les 70 voire les 80 ans, on mise sur le travail de la terre pour installer de jeunes et nouvelles familles.
C'était un des objectifs de la commune : fournir des légumes aux habitants, tout au long de l'année. Car les marchands ambulants ne passent plus dans le village.
Avec l'association du village « Da mare e a monte », William a pu s'installer avec sa famille et cultiver des terres. Sa situation est encore précaire, les revenus tirés de son exploitation sont encore insuffisants. « C’est une année charnière. L’idée, c’est que l’on continue à développer l’activité, mais à l’heure actuelle, on n’est pas du tout à cet objectif, mais on y travaille », indique William Collet, maraîcher à Barrettali.
Afin d'utiliser au mieux toutes les ressources du terroir, William, récupère et utilise des semences anciennes. Ces graines ont été échangées et partagées lors d'une journée portes-ouvertes sur les potagers.
Cette initiative a permis, non seulement de dynamiser le village, mais aussi de créer une grainothèque. « Ca, c’est ce qui se fait depuis que l’homme fait de l’agriculture. La révolution industrielle et agricole a tout balayé, mais c’est ce qui s’est toujours fait », complète William Collet.
Toutes ces initiatives suffiront-elles à enrayer la désertification du village ? Pas sûr, car le chemin est sinueux. Il y a trois ans, William et sa famille ont eu l'opportunité d'utiliser des terrains communaux.
« C’est à ma famille »
D'autres couples devaient s'installer, mais l'isolement du village et les problèmes fonciers ont fait échouer d'autres tentatives. « On dit : ‘C’est à ma famille’. Certes, mais ça remonte parfois à l’arrière-arrière-grand-père ou à l’arrière-arrière-grand-oncle. Souvent, ils sont plusieurs héritiers. Personne n’est d’accord, et les coûts pour faire les titres de propriété sont élevés », explique Antony Hottier, maire de Barrettali.
Pour la commune, une des portes de sortie, serait de récupérer « les biens sans maître », des biens immobiliers dont le propriétaire est inconnu ou disparu. « Les communes font l’analyse des terres qu’elles veulent récupérer, commencent à faire une première recherche généalogique complète, une fois que l’on a fait notre choix, on envoie tout ça au Girtec [Groupement d'Intérêt public pour la Reconstitution des actes de propriété en Corse] pour confirmation et après, c’est la procédure. Au bout d’une année, la commune se retrouve propriétaire », complète le maire du village.
Il y a 40 ans, Barrettali se démenait dans la même problématique, alors qu'autrefois, les jardins s'étendaient de la mer aux collines. Comme d'autres communes, ce village a besoin d'un soutien politique et économique. Il est urgent d'agir si on ne veut pas voir disparaître tout un patrimoine sous un immense roncier.