Témoignage. "J'ai toujours la crainte d'être mal vu, d'être rejeté du fait de ma maladie", 40 ans après sa découverte, le Sida reste encore tabou

Publié le Écrit par Axelle Bouschon
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Le 20 mai 1983, une équipe de chercheurs français identifient le virus du Sida. Quarante ans après, et grâce à l'évolution des traitement médicamenteux, le quotidien des malades s'est considérablement amélioré. Mais entre clichés et fausses informations, le regard de la société peut être toujours difficile à affronter.

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"C'était en 2010, j'avais 23 ans, et j'étais en troisième année de licence d'économie. Comme à peu près tous mes amis, je passais plus de temps dans les bars que sur les bancs de la fac... Et j'avais beaucoup de rapports sexuels non-protégés. Ce n'était pas une question de prendre des risques, c'est plutôt que je n'y avais jamais vraiment pensé. Pour moi, le sida, c'était presque une maladie moyenâgeuse."

Nathan* [le prénom a été anonymisé, ndlr] s'en souvient comme si c'était hier : "Je fréquentais depuis un an un garçon, et un jour, il m'a proposé d'aller nous faire tester. Une campagne de sensibilisation était organisée sur le campus, donc c'était l'occasion. On y est allés très tranquillement, un peu comme on part au marché. Et puis les analyses sont revenues positives, et je me suis complètement effondré."

"Je n'osais plus sortir, je n'osais plus aller en cours, j'avais même du mal à me motiver à aller faire mes courses. C'était un choc énorme."

D'étudiant insouciant "toujours un pied entre deux soirées", Nathan devient anxieux et replié sur lui-même. "Je n'osais plus sortir, je n'osais plus aller en cours, j'avais même du mal à me motiver à aller faire mes courses. C'était un choc énorme. On se dit toujours : ça n'arrive qu'aux autres, pas à moi. Moi, je fais attention. Et puis ça vous arrive et vous vous demandez à quel moment vous avez plus fauté, et ce que vous auriez dû faire, mais c'est trop tard, il n'y a plus de retour en arrière."

Rapidement, les rendez-vous médicaux s'enchaînent pour les deux hommes. Et avec la pression et l'angoisse naît aussi un ressentiment, source de nombreux conflits. Nathan et son ami s'accrochent malgré tout, veulent croire en leur capacité de tenir ensemble, et s'inscrivent même à des thérapies de couple spécialisées. Rien n'y fait. "Au final, la maladie aura eu raison de notre couple, soupire-t-il. Je pense qu'on s'accusait l'un et l'autre d'être responsable de notre contamination, sans vraiment se le dire."

La crainte de l'exclusion sociale et du qu'en dira-t-on

Les premiers mois après la découverte de sa séropositivité ont été "difficiles" et rythmés par "de nombreuses crises d'angoisse" admet Nathan. "Pas vraiment pour la question médicale, puisque je suis suivi depuis le début". Un bon point, quand certains patients tardent à contacter des professionnels de santé, ce qui complique par la suite leur prise en charge.

"C'était plutôt l'aspect vie au quotidien : comment allais-je l'annoncer à ma famille, à mes amis ? Comment allaient-ils recevoir la nouvelle ? Je venais déjà tout juste de leur apprendre mon homosexualité, et je me préparais déjà aux réflexions et aux attaques sur mon mode de vie et mes fréquentations."

Douze ans après son diagnostic, Nathan explique n'être toujours pas "apaisé" sur ce point. "Mes très proches sont au courant, mes médecins aussi, mais c'est tout. Au boulot, dans la vie courante, j'ai toujours la crainte d'être mal vu, d'être ou de me sentir rejeté du fait de ma maladie."

Le poids des clichés et des fausses informations

Sa vie sentimentale tourne, elle, "au ralenti", regrette-t-il. "Sur la dernière décennie, je n'ai fréquenté que quelques personnes avec lesquelles ça ne s'est à chaque fois pas bien terminé. J'ai rencontré récemment un homme qui me plaisait beaucoup qui a tout simplement refusé de continuer à me voir dès que je lui ai parlé de ma maladie. Et quand ce ne sont pas les gens qui me repoussent, c'est moi qui met sans le vouloir des barrières."

"Un ami à moi séropositif a fini à l'hôpital en très mauvais état après avoir été roué de coups par une de ses fréquentations qui l'accusait de vouloir lui transmettre le sida."

La faute à des malheureux épisodes vécus par des connaissances et qu'il craint de voir un jour lui arriver. "Un ami à moi séropositif a fini à l'hôpital en très mauvais état après avoir été roué de coups par une de ses fréquentations qui l'accusait de vouloir lui transmettre le sida, alors qu'il prenait toutes les précautions. Son agresseur pensait qu'il pouvait lui transmettre juste par un baiser, ce qui est complètement faux."

Pour Nathan, c'est aujourd'hui tout le paradoxe du VIH, ou virus de l’immunodéficience humaine : "Aujourd'hui, les personnes séropositives comme moi souffrent toujours d'un certain nombre de clichés et méconnaissance de ce qu'est la maladie et ses risques de contamination, et sont mises de fait au ban de la société. Mais dans le même temps, quasiment plus personne ne se soucie du sida, qui n'est plus considéré comme un risque au quotidien."

180.000 personnes vivent avec le Sida en France

En France, selon Santé Publique France, 180.000 personnes vivent avec le VIH. Sur ce total, elles ne sont que 86% à connaître leur séropositivité, à raison d'environ 5000 découvertes par an.

Depuis la découverte du virus responsable du sida, le 20 mai 1983, les scientifiques ont effectué des progrès considérables dans sa prise en charge. Le quotidien des malades s'est grandement amélioré, notamment grâce aux trithérapies, traitement médicamenteux qui a permis d'augmenter l'espérance de vie moyenne, leur permettant de vivre presque comme tout le monde. La PrEP, traitement préventif empêchant le VIH d'entrer dans le corps, et qui peut être inoculé dans le cadre d'un rapport à risque, a également fait ses preuves.

Mais aucun vaccin efficace n'a à ce jour encore été trouvé. Récemment, un essai a dans ce cadre été lancé par l'Institut de recherche vaccinale français, sans que l'efficacité clinique du vaccin conçu n'ait encore pu être prouvée.

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