Jusqu’au 5 mai se tient, en Corse, la 3e édition des « Semaines Santé sexuelle ». Une journée a été consacrée à la transidentité. Les personnes concernées ne se reconnaissent ainsi pas forcément dans le genre « femme » ou « homme » assigné à la naissance. Témoignage.
L’identité de genre est la conviction intime et personnelle de se sentir « homme », « femme », ni l’un ni l’autre ou les deux à la fois. Parfois ce sentiment est en accord avec le genre donné à la naissance sur la base des organes génitaux, parfois il ne l’est pas.
En France, comme en Corse, les questions de la transidentité émergent. Si sur l’ensemble du territoire national il est estimé entre 20.000 et 60.000 le nombre de personnes transgenre, en Corse aucun chiffre n’est disponible car les personnes concernées entament leur prise en charge sur le continent.
Entre 2012 et 2020, selon les chiffres de l’agence régionale de santé, le nombre de demandes de prises en charge de chirurgie mammaire et pelvienne de réassignation ont été multipliées par quatre. « Il y a une visibilité croissante des personnes trans depuis quelques années, explique Lee Ferrero, membre fondateur de l’association Transat. Ça peut paraître fallacieux pour certaines personnes parce qu’on se dit, ok il y en a de plus en plus, mais non. C’est simplement que cette parole est rendue possible. Il y a toujours eu un discours sur les transidentités mais il a toujours été accaparé par des paroles d’experts, de médecins et très peu de personnes concernées. Et ces personnes étaient souvent choisies sous un angle sensationnaliste et c’est encore un petit peu le cas aujourd’hui. »
Néanmoins, cette communauté reste marginalisée et confrontée à de nombreux actes transphobes volontaires ou involontaires. « Dans notre société on est sensé adhérer à l’assignation de genre et c’est un fait social qu’il s’agit de déconstruire, reprend Lee Ferrero. C’est sur ce point que repose la transphobie. Sur la croyance populaire que à un individu donné va correspondre une certaine identité de genre qui lui-même correspond à un ensemble de goût, de comportements, d’apparences et d’attirances. Cela est supposé constituer un bloc associé soit au féminin, soit au masculin. »
L’émergence de discours multiples, qu’ils soient très violents, ou de discours de personnes concernées, est une vraie force pour que l’on puisse avancer
Lee Ferrero, membre fondateur de l'association Transat
Des actes transphobes qui ont des conséquences directes sur la santé mentale des personnes concernées. Ainsi, ces dernières sont nettement plus à risque face aux tentatives de suicide lié aux discriminations, harcèlements, agressions. Les personnes transgenres présentent également des troubles anxieux nettement supérieurs à la population hétérosexuelle cisgenre (en accord avec le genre assigné à la naissance) : 40 % chez les femmes transgenres et 50 % chez les hommes transgenres.
Le responsable d’association reste toutefois confiant. « On ne peut pas faire en sorte de recréer du lien entre des personnes qui ne se comprennent pas, on ne peut pas travailler sur les représentations sociales s’il n’y a pas un discours. L’émergence de discours multiples, qu’ils soient très violents, ou de discours de personnes concernées, est une vraie force pour que l’on puisse avancer », estime-t-il.
"Je suis une femme transgenre depuis l'âge de 12 ans"
Présente lors de la conférence sur la transidentité, Jean-Dominique a accepté de témoigner pour France 3 Corse ViaStella.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Jean-Dominique, Jean-Do mon surnom. J’ai bientôt 32 ans, je viens d’un petit village en Corse-du-Sud, pas loin d’Ajaccio, Sari d’Orcino où j’ai grandi et où je continue à vivre. Je suis en couple depuis un peu plus de 14 ans. Je suis une femme transgenre depuis l’âge de 12 ans. Je suis non hormonée, aucune chirurgie esthétique et je le vis très bien.
Je mène très bien ma vie. J’ai quatre casquettes professionnelles, artiste transformiste, actrice confirmée depuis très peu, je suis auto-entrepreneuse en tant qu’artiste dessinatrice et créatrice de bijoux fantaisie et l’entreprise du mari où je m’occupe, en tant que secrétaire, des factures, des devis.
On parle beaucoup de libération de la parole, tu as commencé ta transition à 12 ans, en Corse, penses-tu que ça peut être plus difficile ici ?
La période difficile durant ma transition ça a été pendant l’adolescence, la période collège et lycée. Au lycée, ça a commencé à se calmer. Mais à partir du moment où je me suis trouvée, les portes se sont ouvertes toutes seules. Clairement, je n’ai jamais eu d’agression physique. Verbale, je ne sais pas si on peut appeler ça une agression, oui. Mais comme on dit, on ne peut pas plaire à tout le monde et bien évidemment on reçoit toujours des bonnes choses comme des mauvaises, mais jamais d’agression physique.
Je pense aussi qu’il y a une forme de respect total ici, chez nous, en Corse. Sur le continent, je n’en sais rien. Je n’y ai jamais vécu non plus de choses horribles que ce soit dans la rue, dans des établissements ou ailleurs. Encore une fois, une pense qu’ici il y a vraiment une forme de respect. Et en tant que transgenre, si je l’avais vraiment mal vécu, avec des agressions non-stop physiquement, verbalement, je pense que je serais passée par la fenêtre, clairement.
Donc il y a une forme de respect, et je pense que c’est du moment que l’on s’accepte soi-même, on se respecte, on respecte notre entourage. Ici je pense que c’est un peu cette problématique. C’est-à-dire que du moment où on dépasse un peu les bornes, c’est quelque chose qui n’est pas tolérée.
Quelle importance donnes-tu à ces conférences et tables rondes ? Considères-tu ta participation comme un acte militant ?
Je le fais avec grand plaisir. On a toujours des choses à apprendre, on en apprend tous les jours et je pense que c’est comme ça dans tous les domaines. J’ai appris certaines choses et ça m’aide beaucoup. Ça me permet de rencontrer des personnes que je connais via une association LGBT corse dont j’ai été la vice-présidente et qui n’existe plus. Je croise des familles que j’ai pu aider par exemple.
Ces conférences me conviennent et j’y assiste, que ce soit pour le bien d’autrui que pour les collègues qui y travaillent.
En écoutant les échanges entre les différentes personnes du public, on peut se poser la question d’un manque d’informations des personnes concernées par la transsexualité…
C’est possible et sans rabaisser ces personnes, loin de là, j’estime qu’en tant qu’humain on se projette un peu trop vite sur certaines choses de la vie sans savoir, ou sans se renseigner. Ou on peut être renseigné mais pas par les bonnes personnes ou des personnes non compétentes. Et je m’inclus là-dedans. J’ai fait des choses dans ma vie, où je n’étais pas renseignée comme il aurait fallu et bien évidemment on se trompe. C’est pour ça que ces personnes-là s’aident entre elles et essayent de savoir le pourquoi du comment. Je pense que c’est très important et ces journées sont faites pour ça, pour se mettre un peu au point et déballer cartes sur table, savoir la vérité.