Les présidents des groupes de l'Assemblée de Corse se sont réunis hier pour évoquer le refus d'aménagement de peine du prisonnier incarcéré sur le Continent depuis 22 ans. A l'unanimité, ils ont décidé d'organiser une session extraordinaire. Elle se tiendra le 22 octobre prochain.
Un choix unanime. Réunie à Corte hier, mardi 12 octobre, la conférence des présidents – qui rassemble la présidente de l'Assemblée de Corse et les présidents du conseil exécutif de Corse et des différents groupes au sein de l'hémicycle- a décidé de la tenue d'une session extraordinaire de l'Assemblée de Corse, le 22 octobre prochain, "avec pour seul point à l’ordre du jour une résolution solennelle portée conjointement par le Conseil exécutif de Corse et l’Assemblée de Corse", indique un communiqué.
Quelle sera la teneur de la résolution? Il est pour l'instant difficile d'en préjuger. Une chose est certaine: la réunion en urgence de la conférence des présidents a été provoquée par la décision de la chambre d'application des peines de Paris de rejeter la demande de semi-liberté présentée par Pierre Alessandri.
Incarcéré depuis 22 ans sur le Continent, l'agriculteur cargésien de 63 ans avait pourtant bénéficié d'une décision favorable en première instance. Outre le rejet de son projet de retour à Borgo, ce sont les motivations de l'arrêt de la chambre d'application des peines qui inquiètent la classe politique insulaire.
"Les juges d’appel, dans leur décision précitée, ont rappelé expressément que la décision sur le rapprochement relevait exclusivement de la décision de l’administration pénitentiaire", indique la conférence des présidents dans un communiqué. En clair, que le transfert en Corse des prisonniers est, de fait, impossible, puisque la prison de Borgo assure ne pas être en mesure d'accueillir des détenus isncrit au répertoire DPS.
"C'est en résonance avec la respiration de la Corse"
Contacté, Jean Biancucci, président du groupe Fà Populu Inseme majoritaire dans l'hémicycle de l'Assemblée de Corse, décrit un "choix qui s'impose" et se félicite d'un "accord général quelle que soit la sensibilité politique." "On ne pouvait pas rester les bras croisés, car la société a été choquée par la décision qui a été prise et nous sommes là pour être en résonance avec la respiration de la Corse. Il est temps de tourner la page, notre souhait est que cela aboutisse", complète-t-il.
Il y a, de la part de l'État, une volonté de faire mourir ces gens en prison et loin de leur famille.
Pour Jean-Christophe Angelini, président du groupe Avanzemu-PNC, il est temps "de commencer à prendre politiquement acte d'une situation qui devient délétère." Selon lui, cette dernière "dure depuis une éternité et est à rebours du droit et de la justice. Il y a, de la part de l'État, une volonté de faire mourir ces gens en prison et loin de leur famille." Le groupe Avanzemu-PNC compte notamment demander, le 22 octobre prochain, la stricte application du droit.
La même demande sera défendue par le groupe indépendantiste Core in Fronte, présidé par Paul-Félix Benedetti. "Nous sommes dans une logique de vengeance d'État qui est en contradiction avec toutes les règles françaises et mondiales. L'administration pénitenciaire a validé la possibilité de lever leur statut de détenu particulièrement signalé qui leur permettrait un rapprochement à Ajaccio ou Borgo. Je pense que cette session sera très politique, courte et consensuelle", estime-t-il.
Laurent Marcangeli, président du groupe de droite Un Soffiu Novu, plaide pour une motion qui "rappellerait des notions de droit pour la levée du statut de DPS qui favoriserait leur rapprochement. Mon groupe ne s'éloignera pas d'un certain nombre de ses principes et ne signera pas un tract militant." Pour le maire d'Ajaccio, "il est question de droit individuel et de respect de la législation. Ces hommes sont détenus depuis 23 ans et ont admis leur acte. Ce rapprochement contribuerait à tourner la page judiciaire et non mémorielle. Ce sujet politiquement douloureux doit être derrière nous et ces hommes ne doivent pas avoir à leur encotre des décisions qui rendent leur sortie difficile."
Statut de "détenu particulièrement signalé"
Pierre Alessandri, arrêté avec Alain Ferrandi en 1999, a été condamné en 2003 à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude Erignac, le 6 février 1998. Depuis plusieurs années, leurs demandes de transfert dans une prison corse au titre du rapprochement familial se heurtent systématiquement à un refus. Par ailleurs, les deux hommes, aujourd'hui incarcérés à Poissy, sont depuis quatre ans arrivés au terme de leur période de sûreté, et donc fondé à demander leur libération conditionnelle.
Néanmoins, avant tout rapprochement dans l'île (et toute libération conditionnelle ou semi-liberté en Corse), la levée de leur statut de "détenus particulièrement signalés" (DPS) est nécessaire. Si en mars 2020, la commission pénitentiaire locale de Poissy avait émis un avis favorable à cette levée, le Premier ministre, Jean Castex, l’avait refusée le 21 décembre. Trois jours plus tôt, il avait écarté le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, de toute décision relative "aux conditions d’exécution des peines et au régime pénitentiaire" des détenus impliqués dans des dossiers qu’il aurait, en tant qu’ancien avocat ayant défendu Yvan Colonna, eus à traiter.
En Corse, une forte mobilisation - toutes tendances confondues - s'est organisée pour demander la levée de leur statut de DPS. Le 30 janvier dernier, environ 2.000 personnes s'étaient rassemblées dans les rues de Corte. Trois semaines plus tard, une quinzaine de jeunes avait occupé la préfecture de région en signe de protestation. Les CRS étaient intervenus pour les évacuer. Cinq manifestants avaient été blessés.