Au fil de la garde à vue De Franck Elong Abé, quelques informations fuitent, qui nous donnent une idée un peu plus précise de la version soutenue par l'agresseur d'Yvan Colonna. C'est un manque de respect affiché pour le "Prophète" qui serait à l'origine des faits.
Le parquet national antiterroriste (Pnat), qui s'est saisi de l'enquête tente de faire la lumière sur ce qui s'est vraiment passé, mercredi 2 mars matin, dans la salle de musculation de la maison centrale d'Arles.
Au cœur des suppositions, le mobile de l'agression, d'une extrême violence, d'Yvan Colonna par Franck Elong Abé. Lors de son interrogatoire dans les locaux de la DGSI, à Levallois-Perret, où il a été transféré, l'agresseur présumé aurait justifié son geste, selon plusieurs sources proches du dossier, par un " blasphème" d'Yvan Colonna, qui aurait " mal parlé du prophète".
Dans son édition du jour, le quotidien le Parisien se veut plus précis. Maître Benoît David, l'avocat d'Abé, rapporte que d'après ses déclarations, "Yvan Colonna aurait craché sur Dieu et moqué [son] client sur ses croyances".
Les faits ses seraient déroulés lundi 28 février, soit deux jours avant les faits, dans une cuisine où se réuniraient parfois les prisonniers, et où Colonna et Abé auraient créé des liens, autour d'un plateau d'échecs.
Franck Elong Abé, toujours selon son conseil, aurait quitté la salle après la dispute, et les deux hommes, qui faisaient parfois leur jogging ensemble, selon un autre détenu, ne se seraient plus vus.
Le jour du drame, ils avaient prévus de courir, mais Franck Elong Abé ne se serait pas présenté. Et c'est par hasard, selon ses dire, qu'il serait tombé sur Yvan Colonna dans la salle de musculation qu'il s'apprêtait à nettoyer.
Et c'est là qu'il aurait décidé de faire payer au Corse ses supposés propos...
On le voit, l'agresseur nie le caractère prémédité de son acte. C'est l'enquête qui déterminera s'il est entré dans la salle en sachant déjà ce qui allait s'y dérouler.
Blasphème
Trois principales versions des faits fleurissent dans les médias et sur les réseaux après que l'on a appris l'agression. La première est soutenue par plusieurs sources, dont certaines sont médicales, fait état de coups à l'arme blanche portés au militant nationaliste corse. Elle sera rapidement écartée.
Une seconde décrit un Yvan Colonna assommé, puis étouffé à l'aide d'un sac plastique.
La dernière parle d'une violente attaque à mains nues. C'est cette troisième version qui est soutenue par les instances judiciaires au soir du drame. Elle sera rapidement confirmée par le biais d'une communication du procureur de la République de Tarascon, Laurent Gumbau, en fin de journée mercredi.
Selon le parquet, Yvan Colonna effectue seul une séance d'entraînement physique, dans la matinée du mercredi, quand pénètre Franck Elong-Abé, 36 ans. Incarcéré pour des chefs d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, ce dernier assure alors un service d'entretien, " en qualité d'auxiliaire d'étage".
" Les premiers éléments recueillis permettent d'établir qu'Yvan Colonna a été victime d'une strangulation à mains nues, puis d'un étouffement", indique le parquet de Tarascon.
De longues minutes
Un déroulé des faits considérablement adouci par rapport à celui que révèlerait le dispositif de vidéosurveillance de la maison centrale, qui aurait filmé toute la scène, selon le quotidien Le Monde. On y verrait Franck Elong Abé rejoindre la salle de musculation de l'établissement pénitentiaire pour y effectuer le ménage. Il est alors aux environs de 10h15, et le détenu est accompagné de surveillants.
Le journal du soir décrit dans son édition du 3 mars la scène : " Sitôt la porte refermée, il se précipite sur Yvan Colonna [...], saute à pieds joints sur le dos de son codétenu, le roue de coups de poing avant de lui écraser la trachée pendant plus d'une minute avec son pied. Après quoi, il couvre la tête de sa victime d'un sac en plastique."
Par la suite, le procureur de la République de Tarascon raconte le massage cardiaque prodigué à la victime par les secours internes, moins de 3 minutes après sa découverte " inanimée par un surveillant pénitentiaire".
Le berger corse est pris en charge par les pompiers, transporté au centre hospitalier d'Arles, puis à l'hôpital Nord de Marseille mercredi en fin d'après-midi, dans un coma post-anoxique.
Plusieurs questions en suspens
De nombreuses approximations existent dans ce récit de cette journée.
Plusieurs questions reviennent notamment parmi celles posées par les élus insulaires : Comment se fait-il qu'un détenu particulièrement signalé ait pu être agressé de la sorte par un autre détenu particulièrement signalé, durant de longues minutes, alors même que le régime de DPS implique une surveillance toute particulière ?
Comment les deux hommes ont-ils pu rester seuls dans la même pièce, et combien de temps s'est écoulé entre l'agression et la découverte du corps inanimé d'Yvan Colonna ?
Comment Franck Elong Abé, emprisonné pour islamisme radical, a-t-il pu être habilité en tant qu'auxiliaire d'étage, privilège rémunéré et accordé aux détenus aux " bons comportements", quand ce dernier était connu pour sa dangerosité, selon une source de l'administration pénitentiaire ?
Enfin, Franck Elong Abé a-t-il agi seul ?
Des points que les enquêteurs devront tâcher d'éclaircir, alors le ministère de la Justice a indiqué son intention de faire " toute la lumière sur les conditions de cette agression d'une particulière gravité".
De son côté, l'exécutif de Corse, par l'intermédiaire de son président, Gilles Simeoni, a demandé "la désignation immédiate d'une commission d'enquête mixte composée de parlementaires et d'élus de la Collectivité de Corse".