Six membres de l'association l'Arche de Zoé doivent être jugés à Paris dès lundi pour avoir tenté d'exfiltrer du Tchad vers la France 103 enfants, présentés comme des orphelins du Darfour, en réalité Tchadiens.
Il y aura deux grands absents au procès de l'Arche de Zoé qui s'ouvre lundi à Paris. Son président Eric Breteau et sa compagne, qui ont fait savoir qu'ils ne seraient ni présents ni représentés. Un marnais, en revanche, sera bien là : Alain Péligat, le logisticien bénévole de l'association. Il plaide non-coupable. Caroline Moreau et Yves Biron l'ont rencontré : reportage dans le 19/20
Dans une récente interview à lexpress.fr, l'avocate d'Eric Breteau et Emilie Lelouch avait évoqué leur "sentiment de ne pas avoir été écoutés jusqu'ici, ni par les médias ni par la justice" et leur crainte "que le même phénomène se reproduise devant le tribunal" correctionnel de Paris. Quatre autres prévenus seront jugés: le médecin Philippe van Winkelberg, le logisticien Alain Péligat, la journaliste Agnès Pelleran et Christophe Letien, un membre de l'association resté en France.
A l'exception des deux derniers, tous ont été condamnés par la justice tchadienne à N'Djamena pour tentative d'enlèvements d'enfants à huit ans de travaux forcés. Ils avaient été transférés en France, leur peine avait été commuée en années de prison, avant que le président tchadien Idriss Deby ne les gracie fin mars 2008.
Dans ce nouveau procès, ils sont poursuivis pour escroquerie, exercice illégal de l'activité d'intermédiaire à l'adoption et aide à l'entrée et au séjour irrégulier de mineurs étrangers en France. La peine encourue pour ce dernier délit est de 10 ans de prison et 750.000 euros d'amende.
Les deux grands absents de ce procès vont "manquer à tout le monde" lors des débats, estime l'un des avocats de la défense, Me Simon Miravette. Conseil d'Alain Péligat et Christophe Letien, il estime que l'intention frauduleuse n'est "pas du tout établie". Alors qu'ils entendaient participer à une opération humanitaire, les voilà "au rang de voyous", sur le banc des prévenus, souligne-t-il. Pour Me Jean-Claude Guidicelli, conseil de Philippe Van Winkelberg, les prévenus "ont déjà été largement condamnés". L'avocat fustige un "bal des faux-culs et des amnésiques", car "tout le monde était au courant" de l'opération. Evoquant un simple "accueil" par des familles qui avaient parfois versé plusieurs milliers d'euros pour financer l'opération, l'association est accusée d'avoir entretenu le flou sur d'éventuelles adoptions.
Une vingtaine de familles se sont constituées partie civile. L'une des premières à avoir déposé plainte avait estimé que l'association avait abusé de son désir d'enfant, en jouant sur "les sentiments, l'affectif".
Le procès doit durer jusqu'au 12 décembre.
Retrouvez ci-dessous notre rencontre avec Alain Péligat, en septembre 2008. Professeur à Châlons, il tentait de reprendre le cours "normal" de sa vie après ses ennuis judiciaires dans cette affaire :
Au Tchad, les familles victimes de l'Arche de Zoé attendent toujours une indemnisation
Cinq ans après, les parents des 103 enfants tchadiens que l'Arche de Zoé avait tenté d'emmener en France en les faisant passer pour orphelins, réclament toujours les indemnités qu'on leur a fait miroiter et attendent un geste de la France où s'ouvre lundi le procès de l'association."Tant que nous ne serons pas indemnisés, nous ne tournerons pas la page. Nous ne pardonnerons pas aux autorités françaises le tort qu'elles nous ont fait" a affirmé à l'AFP Harba Mahamat Ali, président de l'Association des parents de victimes de l'Arche de Zoé, joint au téléphone à Adré, ville située sur la frontière soudanaise dans l'est du Tchad. C'est là que vivent la majorité des enfants, dont la plupart sont scolarisés à l'école de la ville.
Mahamat Ali, père d'une fille de 10 et d'un garçon de 9 ans, a failli les perdre. "Tous les deux vont à l'école. Je n'ai pas raconté aux enfants ce qui leur est arrivé il y a 5 ans. Si Dieu me prête vie quand ils seront majeurs, je leur dirai que j'ai failli les perdre quand ils étaient petits. Ils ont perdu leur maman il y a deux ans donc je ne veux pas les troubler", assure-t-il. "Les Français ont voulu nous séparer de nos enfants sans nous en informer et refusent de nous verser ce que la justice nous a donné. Dieu merci, je cultive mon champ et je m'occupe de mes enfants", poursuit-il.
La France a toujours nié cet accord
En mars 2008, le régime tchadien avait gracié les membres de l'Arche de Zoé de leur condamnation à huit ans de travaux forcés, mais la question des dommages et intérêts reste entière, l'Etat réclamant 6 millions d'euros pour les familles. "Pour avoir le transfèrement des membres de l'Arche de Zoé (vers la France), le gouvernement français s'était engagé à payer l'indemnisation aux parents de victimes, mais jusqu'à maintenant, rien n'a été fait", a affirmé à l'AFP une source à la présidence de la République tchadienne. "Il s'agit d'un engagement de l'Etat français et non d'une équipe gouvernementale, on ne comprend pas pourquoi ça traîne. Il n'est pas exclu que le problème soit posé lors de la visite du président tchadien Idriss Deby Itno la semaine prochaine en France", selon la même source.
La France a toujours nié cet accord, affirmant ne rien devoir au Tchad. En octobre 2011, l'Etat tchadien avait été débouté par la justice française de sa demande de 6,3 millions d'euros de dommages et intérêts au Dr Philippe van Winkelberg, médecin de l'Arche de Zoé.
L'affaire est sensible au Tchad, et le président Deby avait débloqué entre 1,5 et 2 milliards de francs CFA (2 et 3 millions d'euros) pour les familles en 2009. Toutefois, une partie de cette somme a été utilisée pour payer les honoraires des avocats. Personne ne sait combien les avocats ont touché, et combien est revenu aux familles. Preuve de la tension dans le dossier, Me Amady Nathé, qui défend les familles, a été agressé dans son bureau en février dernier par des parents des enfants réclamant leur argent. Il avait assuré en octobre 2011 que des "sommes consignées pour les enfants et pour les oeuvres sociales ou communautaires ont été reversées au Trésor public à notre insu et à l'insu des parents".