Les Suisses se prononcent le 18 mai sur la création d'un salaire minimum. Le SMIC à la suisse serait deux fois plus élevé que le SMIC français, et son acceptation serait une grande surprise.
Des salaires justes pour un pays fort, c’est le slogan des initiateurs de la votation pour le salaire minimum généralisé en Suisse. Leur argument principal : l’économie suisse est florissante, la Confédération est un pays cher où le coût de la vie est élevé, et ceux qui gagnent le moins en souffrent le plus - ceux qui travaillent dans la vente, dans l’agriculture, l’hôtellerie-restauration, la coiffure ou le nettoyage.
« J’ai fait une estimation du salaire qui me permettrait de vivre correctement, voire de faire des économies », explique Markus Kümin, un chauffeur de taxi bâlois. « Et je suis tombé pile sur 4000 Francs Suisses brut ! ». Kümin est chauffeur de taxi depuis plus de 30 ans, et n’a guère vu son salaire évoluer : en Suisse, les taxis font partie des salariés les moins bien payés. Engagé syndicalement, il est un militant fervent du salaire minimum en Suisse, « parce que, si dans l’industrie, les salaires sont corrects, ils sont trop bas dans les commerces et les services à la personne », dit-il. Et d’ajouter que « la menace des patrons de délocaliser nos activités si les salaires augmentent est ridicule, puisque dans nos métiers - taxi, vendeurs, aidé à domicile ou serveur - , il faut des salariés sur place , en Suisse ! ».
L’initiative « pour la protection de salaires équitables » a été introduite par les syndicats suisses qui demandent 3240 euros brut mensuel pour 42 heures travaillées par semaine.
Les syndicats suisses à la manoeuvre
A l’UNIA de Bâle, dépliants, drapeaux et gadgets témoignent du combat mené ces dernières semaines. Les militants ont tracté, tenu des réunions d’information et des stands, et si il y a quelques semaines, les sondages étaient plutôt favorables à leur initiative, à quelques jours de la votation, les lignes ont bougé : 64% des votants rejetteraient le salaire minimum. « Mais ce salaire minimum, 22 francs suisses bruts de l’heure, ne ruinerait pas notre économie ! C’est une mesure de justice sociale que nous réclamons, pour des salariés sous-payés, souvent des femmes, dans des métiers pénibles ! », explique Hansüli Scheidegger, le co-directeur du syndicat UNIA de la Suisse du Nord Ouest. « Au contraire, c’est une création de richesse : l’Etat suisse économiserait 81 millions d’euros de prestations sociales et encaisserait plus de 240 millions d’euros de cotisations ! Et des salaires plus élevés signifieraient aussi une augmentation de la consommation, qui bénéficierait à notre économie. ».
Une économie florissante, et le problème en Suisse n’est pas le chômage, mais le niveau de vie. Si le revenu moyen des ménages, issu du travail, est de 5137 euros, 330 000 salariés sur les 4 millions que compte le pays gagnent moins de 3300 euros. Et ce sont eux qui ont le plus de mal à joindre les deux bouts, dans un pays où tout est plus cher qu’en France : plus 30% pour les produits alimentaires, plus 20 % pour l’habillement, plus 36% pour se loger.
Mais l’initiative pour le salaire minimum est combattue sur plusieurs fronts. Une mauvaise idée selon le gouvernement, les partis de droite et les organisations patronales, qui craignent une baisse des embauches et un accès plus difficile au marché de l’emploi pour les jeunes et les travailleurs peu qualifiés.
Les employeurs dans l'opposition
Instaurer le salaire minimum aurait des conséquences économiques : augmentation des prix, disent les employeurs ; plus de jeunes au chômage, selon le gouvernement. La proposition du salaire minimum généralise se heurte aussi à la longue tradition helvétique de conventions collectives adaptées à chaque entreprise et aux différents secteurs de l’économie, et qui couvrent la moitié des salariés suisses. Eux bénéficient de salaires minimums ou d’avantages particuliers, contrairement aux salariés du commerce ou de l’hôtellerie- gastronomie. Les Suisses sont attachés au partenariat social et les réticences face à une intervention de l’Etat sont grandes : selon la majorité des salariés suisses, la concertation permet au pays de s’adapter aux aléas économiques et limite le recours à la grève.
Une initiative qui porte déjà ses fruits !
Mais selon les promoteurs du salaire minimum, leur initiative, même si elle devait être repoussée lors de la votation du 18 mai 2014, est déjà un succès : en décembre, un grand discounter a augmenté le salaire minimum de ses salariés à 4000 FS, une chaîne de magasins de prêt à porter suédoise a annoncé l’adoption du salaire minimum à 4000 FS en 1015, et l’industrie des métaux accepte l’introduction de la notion de salaire minimum dans sa convention collective.