Des banderoles et des pancartes au milieu de caravanes : en avril de cette année, les Yéniches suisses ont squatté des terrains inoccupés, pour protester contre la raréfaction des lieux d’accueil que la Suisse est pourtant tenue de leur réserver.
Ils sont des "gens du voyage" d’origine Yéniche, une ethnie qui vit en Suisse depuis le XIXe siècle, et sont citoyens suisses. Ils travaillent et payent des impôts. 30 000 Yéniches vivent dans la Confédération, 3000 d’entre eux prennent la route une partie de l’année, du printemps à l’automne. Et ils ont des droits dans le pays dont ils sont citoyens, la Suisse a ratifié la convention du Conseil de l’Europe, qui leur garantit le droit de vivre à leur façon, en voyageant. Et ce droit, bafoué depuis des décennies du fait de la diminution constante des aires d’accueil qui leur sont nécessaires, les jeunes yéniches ont décidé de le revendiquer, de se battre pour qu’il soit enfin respecté par les autorités de la Confédération.
La Confédération leur reconnaît des droits
Dans ce combat, ils sont soutenus par des historiens de leur peuple et de leur culture, pas les associations des droits de l’homme aussi, comme par exemple Amnesty Suisse : "C’est un droit fondamental des Yéniches que la Suisse ne respecte pas", déclare Denise Graf ; la représentante d’Amnesty Suisse. "Et de ce fait, c’est leur droit à vivre selon leurs tradition et leur culture qui est nié".
La Cour suprême confédérale a reconnu leur droit à disposer d’aires d’accueil en Suisse, mais ces dernières années, de plus en plus de ces aires de séjour et de transit disparaissent, sans être remplacées. En Suisse, la place se fait rare, l’urbanisation avance, et sur les rares terrains d’accueil restants, les conditions de vie sont parfois précaires : les Yéniches se sentent exclus de la communauté nationale.
"Nous sommes Suisses, mais nous nous sentons comme des citoyens de seconde zone", témoigne Mike Gerzner de la nouvelle association "Jenische Schweiz", créée par des jeunes yéniches. Des jeunes choqués par la réponse des autorités à leur mouvement de protestation : un terrain à Berne a été évacué par la police, qui a attribué des numéros aux familles plutôt que de les appeler par leurs noms. "Nous avons tous des papiers et une identité, c’est honteux de nous traiter comme des choses auxquelles ont donne un numéro", s’indigne Gérard Mülhauser, de l’association "Schweizer Reisende".
L’accueil des gens du voyage, une compétence des cantons, qu’ils négligent, laissant les communes seules face aux occupations illégales de terrains. Les élus de terrain sont démunis face au mouvement de protestation, et ont établi le dialogue avec les occupants, espérant trouver des solutions provisoires. Sandra Hess est à la tête de la commune de Nidau, dans laquelle un terrain a été occupé fin avril. "Nous en appelons aux cantons, dont c’est la compétence, et à la Confédération, qui doit mettre en place un plan d’action national", dit-elle ; "nous ne sommes pas armés pour répondre au besoin des gens du voyage, qui sont, on le voit bien, dans une situation précaire et parfois désespérée. C’est simple, ils ne savent plus où aller !".
La Suisse redécouvre sa cinquième minorité culturelle
En cette fin avril 2014, la Suisse a redécouvert ses Yéniches. Des citoyens colporteurs, vanniers, rémouleurs, qui ne voyagent qu’en Suisse, leur patrie depuis 1000 ans. «Les relations entre Yéniches et sédentaires ont été bonnes jusqu’au milieu du XXe siècle, le paysan permettait que la caravane reste sur son prés, les femmes avaient recours aux services du rémouleur, les hommes faisaient de la musique le soir au bistrot», raconte Venanz Nobel, de l’association bâloise « Schäft Qwant ». "mais les autorités ont poursuivi les Yéniches, depuis les années 1920 jusqu’en 1973, elles pouvaient nous prendre nos enfants et les placer. Nous avons toujours dû nous battre pour pouvoir vivre à notre façon, et depuis les années 80, avec l’urbanisation et l’anonymisation des relations humaines, les Yéniches ont du mal à trouver leur place dans le pays et dans la société suisse".
Pour Venanz Nobel, le mouvement des jeunes yéniches est une occasion de reparler de ceux qui représentent le 5e groupe culturel officiellement reconnu dans la Confédération. Des Suisses, qui sont trop souvent perçus comme des étrangers par leurs concitoyens : une situation que n’acceptent plus les jeunes Yéniches, qui mettent aujourd’hui la confédération face à son engagement à reconnaître le mode de vie de cette minorité.