C’était le 7 mai dernier, le Kunstmuseum de Berne apprenait qu’il était l’unique légataire de la collection d’œuvres d’art de Cornelius Gurlitt…
Cornelius Gurlitt avait hérité de son père Hildebrand d’une magnifique collection d’œuvres d’art. Hildebrand Gurlitt, un célèbre marchand d’art et galeriste allemand, avait été chargé par les nazis de confisquer les œuvres d’art dites « dégénérées » ou appartenant à des familles juives. C’est ainsi qu’il s’est constitué une magnifique collection, composée de plus de 1400 œuvres et estimée aujourd’hui à un milliard d’euros.Gurlitt fils, qui s’était engagé avec la justice allemande dans un processus de rétrocession des œuvres spoliées, est décédé le 6 mai dernier ; le lendemain, le monde de l’art apprenait qu’il léguait sa collection au Kunstmuseum de Berne, en Suisse. Un legs embarrassant pour le musée bernois, qui annoncera début juin s’il accepte d’accueillir cette collection, qui amène avec elle des problèmes juridiques puisqu’il s’agit en partie de biens spoliés.
Le Kunstmuseum et la collection Gurlitt ont fait la Une dans le monde entier début mai, une notoriété soudaine qui a engendré une augmentation de la fréquentation du musée. « Cette notoriété, cet intérêt pour nous, c’est à nous de les gérer », explique le directeur du musée, Matthias Frehner. « Nous devons entretenir cet intérêt, et montrer que nous en sommes dignes. C’est l’occasion de présenter nos collections et notre politique d’expositions à un public plus large encore ».
Huit siècles d’histoire de l’art
« Nous avons cette chance de pouvoir toujours, quand nous exposons de l’art contemporain, regarder dans le rétroviseur et mettre les choses en parallèle avec le passé, la création antérieure », raconte Kathleen Bühler, commissaire d’exposition en charge de l’art contemporain. « Et quand nous exposons des artistes d’autres époques, nous pouvons toujours avoir à l’esprit ce que leurs successeurs ont crée, puisque notre collection est assez riche pour donner un panorama de la création artistique depuis 800 ans ! ». Depuis les origines du musée au milieu du XIXième siècle, la collection est constituée de dons de particuliers collectionneurs, ou d’acquisitions faites par le musée. En Suisse, pas de collection appartenant à l’Etat, issue des commandes royales, princières ou impériales ! Les musées se nourrissent des collections privées et du mécénat. Le Kunstmuseum de Berne possède ainsi dans son dépôt des milliers d’œuvres. « Il y a ici, dans ce dépôt sécurisé et surveillé, 3000 tableaux et sculptures », raconte Roman Studer, technicien en charge du dépôt. « Et puis nous possédons 48 000 dessins, des photographies, des vidéos et des films ». Des trésors entreposés dans des conditions strictement surveillées, 18 degrés Celsius, 55 degrés d’humidité.
Une collection fabuleuse qu’il faut conserver
Mais malgré toutes les précautions, le temps laisse des traces sur ces œuvres fragiles. Alors c’est au tour de Nathalie Bäschlin et de ses collègues du service restauration d’intervenir : « nous faisons de la restauration préventive, nous maintenons en l’état, et nous évaluons les dégâts quand une œuvre nous arrive, ou avant qu’elle ne nous quitte pour être exposée ailleurs ». Nathalie Bäschlin est une passionnée : « Mon travail me fait pénétrer l’œuvre par toutes les micro fissures qu’elle comporte. Je deviens un peu le peintre, j’essaye de comprendre quels procédés il a utilisé, quels matériaux, et comment il imaginait le vieillissement de son œuvre ».
Et si le musée de Berne accepte le legs de Cornelius Gurlitt, Nathalie Bäschlin aura l’occasion de se plonger dans des œuvres de Otto Dix, de Henri Matisse, Max Beckmann, Chagall ou Kirchner… Et le musée pourrait être le premier à exposer ces œuvres, soustraite au regard du public pendant des décennies.
Le Kunstmuseum de Berne, c’est aussi une politique d’exposition qui encourage les collectionneurs privés à montrer leurs œuvres au public…
Une dizaine d’expositions figure tous les ans au programme du Kunstmuseum…
Ainsi, en ce moment, et pour la première fois, la collection du mécène suisse Bruno Stefanini s’expose à Berne, sous le nom de « Sésame, ouvre-toi » : une caverne aux trésors qui s’ouvre au public pour la première fois…