Le Hartmannswillerkopf devient le symbole de mémoire et de réconciliation. C'est ici que les présidents français et allemand commémoreront ensemble, le 3 août, le centenaire de la déclaration de la Grande Guerre.
Le reportage de M. Pouchin - G. Bertrand - E. Horrenberger. Interviews : Gilbert Wagner, guide au Hartmannswillerkopf - Jean Klinkert, vice-président délégué du comité central du Hartmannswillerkopf
Les présidents François Hollande et Joachim Gauck poseront dimanche la première pierre d'un historial franco-allemand au Hartmannswillerkopf, ou Vieil Armand (Haut-Rhin). Vestige unique du front des Vosges, ce champ de bataille méconnu de la Grande Guerre s'est mué en symbole de réconciliation.
"Mangeuse d'hommes", "montagne de la mort": les surnoms de l'éperon rocheux qui surplombe le sud de la plaine d'Alsace, à 956 mètres d'altitude, sont évocateurs. Entre 20.000 et 30.000 soldats français et allemands y ont été emportés lors de furieux combats, surtout en 1915. La vue plongeante sur l'Alsace, alors dans le giron allemand, depuis 1871, fut le premier enjeu de la conquête du Hartmannswillerkopf, véritable nom du sommet rebaptisé Vieil Armand côté français. Au gré des attaques et contre-attaques, il changea huit fois de camp, avant que le front se fige à partir de 1916.
'Un lieu extraordinaire"
Les combats intenses, livrés dans des conditions extrêmes et dans un espace confiné, laissèrent un paysage lunaire. Un siècle plus tard, le sol reste troué d'obus, mais une forêt verdoyante a repris ses droits sur le site, le recouvrant en partie, mais formant aussi un écrin protecteur. "C'est un lieu extraordinaire", souligne l'historien Nicolas Offenstadt, spécialiste de la Première Guerre mondiale. "Sur de nombreux champs de bataille, on retrouve des bribes éparses, mais là, on a un ensemble remarquablement préservé". Le visiteur peut s'aventurer dans un étonnant labyrinthe de tranchées aménagées qui ont bravé le temps, jalonnées d'abris. Des fortifications bétonnées épousent encore les ondulations de la roche, tandis que la forêt reste parsemée de fatras de barbelés et de tuyaux métalliques."A chaque fois qu'on creuse un peu on déterre des objets, c'est un musée à ciel ouvert", s'enthousiasme Michel Petitjean, un des passionnés qui participent bénévolement à l'entretien du lieu. "On tombe aussi régulièrement sur des ossements, c'est un gigantesque cimetière", bien au-delà de l'imposante nécropole voisine et de la crypte, qui contient les restes de 12.000 soldats inconnus. Cette crypte souterraine, et l'Autel de la Patrie construit au-dessus, ont été élevés au rang de Monument national de la Grande Guerre, au même titre que Douaumont, Dormans et Notre-Dame-de-Lorette. Le champ de bataille a lui été classé monument historique en 1921.
"Histoire transnationale"
Mais le Vieil Armand, situé en territoire allemand lors des combats et sans véritable vainqueur, n'a jamais fait partie des lieux phares de la mémoire de la Grande guerre. "Le front des Vosges a été un peu effacé de la mémoire nationale", constate Jean Klinkert, vice-président délégué du Comité du Monument national, soulignant que François Hollande ne sera que le deuxième chef d'Etat français à se rendre au "Vieil Armand" après Albert Lebrun en 1932. L'historial franco-allemand dont François Hollande et son homologue Joachim Gauck poseront le 3 août la première pierre - cent ans jour pour jour après la déclaration de guerre de Berlin à Paris - finira de donner une unité au lieu, après une importante réhabilitation menée ces dernières années sur le champ de bataille et ses monuments. Cet historial unique en son genre, dont l'ouverture au public est prévue pour 2017, proposera un contenu historique franco-allemand dépassant le seul conflit de 1914-1918, et s'appuiera sur un dispositif riche en sons et en images."Ce sera un événement symbolique et historique, un laboratoire de l'amitié franco-allemande", se réjouit M. Klinkert. "Ce n'est pas chose facile, parce qu'au-delà de la barrière de la langue, il a fallu que chaque pays accepte l'approche mémorielle de l'autre", note-t-il. L'initiative ravit également l'historien Nicolas Offenstadt: "Ce nouveau lieu va donner la possibilité de sortir des discours nationaux sur la guerre, et d'écrire une Histoire transnationale du conflit".